Le rapport Soutenir et rehausser la recherche en langue française : vers une action structurante et concertée propose une réflexion sur les habitudes linguistiques de la relève en recherche. Signé par le Comité intersectoriel étudiant (CIE) du Fonds de recherche du Québec (FRQ), il met l’accent sur l’importance de mettre en valeur la science en français. Cet article résume les principaux constats du rapport au sujet de la mobilisation des connaissances en langue française et des facteurs qui influencent les orientations linguistiques de la relève.

En 2021, l’Acfas publiait son rapport Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, qui montre que la mobilisation des connaissances tend à s’angliciser et qui offre des recommandations visant à soutenir la communauté scientifique d’expression francophone partout au Canada. Dans la même lignée, le Comité intersectoriel étudiant (CIE) du Fonds de recherche du Québec (FRQ) s’est fixé comme objectifs de comprendre les raisons pour lesquelles la relève mobilise des connaissances dans une langue plutôt qu’une autre, et de proposer des solutions pour encourager la publication en langue française.
Le FRQ joue un rôle de premier plan dans le milieu de la recherche au Québec. Il a entre autres comme mandat de contribuer au soutien et au rehaussement de la recherche et de la science en français. Parmi les initiatives mises en place afin de valoriser la science en français, on peut citer les appels à propositions pour créer des chaires de recherche sur la langue française (2023 et 2024) comme la Chaire de recherche du Québec sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français, le Réseau québécois de recherche et de mutualisation pour les revues scientifiques (2024), les prix Publication en français (2021), et le partenariat Québec-France sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français. Le CIE souhaite apporter sa contribution à cet engagement du FRQ en identifiant des pistes de solution pour valoriser davantage la science en français, plus particulièrement chez la relève.
Le travail du CIE a mené à la publication, au printemps 2024, d’un rapport issu d’une démarche en trois temps :
- Consultation de membres de la relève lors des Journées de la relève en recherche (J2R) 2022 coprésentées par l’Acfas et le FRQ;
- Revue de la littérature scientifique et grise (politiques institutionnelles/rapports publics) au sujet de la science en français et de l’anglicisation globale de la production scientifique;
- Analyse des pistes d’action proposées dans le cadre du Forum sur la science en français organisé par le FRQ au printemps 2023.
Les pistes d’actions présentées dans ce rapport s’adressent d’abord au FRQ, mais aussi à tout autre acteur du milieu de l’éducation postsecondaire et de la recherche au Québec. D’ailleurs, le CIE a présenté sa démarche ainsi que ses principaux résultats à l’édition 2023 des J2R de l’Acfas. Cet évènement de quatre jours consacrés à la valorisation et à l’accompagnement de la relève en recherche réunit chaque année autour de 200 personnes étudiantes ou chercheuses postdoctorales de la francophonie canadienne.
Les principaux constats du CIE
La cinquantaine de membres de la relève consultés lors des J2R 2022 ont été répartis dans cinq groupes de discussion. Ils et elles ont discuté de plusieurs facteurs amenant les chercheuses et chercheurs à privilégier l’anglais plutôt que le français dans leurs activités de recherche. Il en ressort que les raisons structurelles (valorisation de la publication en anglais par les établissements universitaires et les directions de recherche, et perspectives d’avancement professionnel) ont plus de poids que les raisons individuelles (aisance linguistique, pertinence sociale, convictions). Ainsi, les incitations institutionnelles à mobiliser des connaissances en anglais se révèlent beaucoup plus significatives pour ces personnes.
Parmi les autres incitatifs, des personnes consultées partagent l’impression que les revues anglophones présentent des données plus actuelles. De même, le lectorat anglophone étant beaucoup plus important que celui d’expression francophone, plusieurs craignent de réduire la portée de leurs travaux s’ils sont publiés en français. Leur intuition est bonne. De fait, les chercheuses et chercheurs qui publient en français sont moins cités (Imbeau et Ouimet, 2012). L’indice d’impact des revues est donc une préoccupation, surtout si l’on songe à une carrière universitaire où l'avancement professionnel dépend encore bien souvent d'une évaluation de l'excellence basée sur de telles métriques.
L’utilisation de l’anglais est souvent vue comme une obligation posée par le milieu de la recherche. L’idée selon laquelle l’avancement professionnel passe par des publications en anglais persiste. Pour certaines personnes, écrire et travailler en anglais s’avère pourtant un défi. Préparer un article scientifique en anglais, par exemple, demande aux francophones deux à trois fois plus de temps que de le rédiger en français (Amano et coll., 2023; Bortolus, 2012). Ces enjeux soulèvent des questions d’équité pour les chercheuses et chercheurs francophones. En effet, dans un milieu de la recherche dominé par l’anglais, les anglophones bénéficient d’un avantage évident. Sans une prise en compte des obstacles supplémentaires que doit surmonter la relève francophone, les inégalités linguistiques risquent de se creuser davantage.
[...] dans un milieu de la recherche dominé par l’anglais, les anglophones bénéficient d’un avantage évident. Sans une prise en compte des obstacles supplémentaires que doit surmonter la relève francophone, les inégalités linguistiques risquent de se creuser davantage.
Néanmoins, à certains égards, on peut se rassurer. La relève tient à faire vivre la science en français : des personnes consultées affirment produire des recherches en français, quand cela est possible au sein de leur discipline. En agissant ainsi, la relève rend sa recherche plus pertinente dans la société québécoise, puisque les savoirs scientifiques deviennent accessibles aux publics francophones. Certains domaines scientifiques très pointus et universels, comme l’étude de certains phénomènes physiques ou biologiques, ne résonnent toutefois qu’en anglais, puisqu’il n’existe, en somme, aucune revue savante francophone qui y soit consacrée. Par ailleurs, les chercheuses et chercheurs peuvent utiliser la mobilisation des connaissances en français comme moyen de s’inscrire dans un réseau scientifique francophone. La proximité entre les membres y favorise l’établissement de collaborations (Burnay et Decleire, 2019). À titre d’exemple, le FRQ finance le Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS, 2022), qui contribue au renforcement des capacités en conseil scientifique dans l’espace francophone.
Recommandations du CIE
En réponse aux défis répertoriés, il s’avère essentiel d’agir de façon à promouvoir l’équité dans le milieu de la recherche. D’une part, la relève en recherche peut agir sur ses motivations individuelles, en priorisant quand elle le peut la publication ainsi que la vulgarisation en français des résultats de recherche et en consultant des plateformes francophones de mobilisation des connaissances.
D’autre part, le soutien et le rehaussement de la recherche en français passe par des actions structurantes qui peuvent être mises en place par les organismes de financement comme le FRQ et par les autres acteurs du milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, le rapport du CIE présente un total de 24 pistes d’actions, organisées selon neuf objectifs. D’abord adressées au FRQ, elles visent à renforcer la place du français en tant que langue des sciences, de diffusion des savoirs et de soutien à la relève en recherche.
- Mobiliser les parties prenantes sur la recherche en français
Ex.: Reconduire, sur une base triennale, le Forum sur la science en français et dans le monde, afin de réunir les membres de la communauté de recherche, les milieux économiques et les autorités politiques autour de la promotion de la recherche en français.
Sensibiliser la communauté de recherche sur la science en français
Ex.: Produire et tenir à jour des statistiques, notamment sur la langue de production des mémoires de maîtrise, des thèses de doctorat et des projets de recherche financés par le FRQ;
Rehausser la structure de financement de la recherche en français
Ex.: Offrir un supplément de subvention pour les projets de recherche financés par le FRQ qui prévoient la traduction des connaissances de l’anglais vers le français.
Soutenir l’accès à la publication en français dans les revues scientifiques francophones
Ex.: Prévoir une mesure permettant de couvrir les coûts associés à la publication en français dans les revues scientifiques.
Favoriser la découvrabilité des contenus scientifiques francophones
Ex.: Soutenir financièrement l'intégration des bases de données entre les différentes plateformes francophones de mobilisation des connaissances et encourager leur utilisation par la relève.
Soutenir les activités de mobilisation des connaissances en français
Ex.: Soutenir la vulgarisation en français des résultats de recherche des projets financés par les programmes de bourses et de subvention, notamment auprès des collectivités, des parties prenantes et de la société québécoise
Soutenir la formation de la relève en français
Ex.: Soutenir la création de nouveaux partenariats entre le FRQ et les médias spécialisés et généralistes au Québec et dans la francophonie afin de multiplier les occasions de stages en journalisme spécialisé en français
Encourager la recherche en français et sur le français chez la relève
Ex.: Bonifier le financement des programmes de recherche-action, d’action concertée et de recherche engagée dans la communauté qui concernent les réalités québécoises
Références
Acfas. (2021). Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada. https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_franc… nal_1.pdf
Amano, T., Ramírez-Castañeda, V., Berdejo-Espinola, V. et al. (2023). The manifold costs of being a non-native English speaker in science. PLoS Biol, 21(7) : e3002184. https://doi.org/10.1371/journal. Pbio.300218
Bortolus, A. (2012). Running Like Alice and Losing Good Ideas: On the QuasiCompulsive Use of English by Non-native English Speaking Scientists. AMBIO, 41(7), 769-772. https://doi.org/10.1007/s13280-012-0339-5
Burnay, N. et Decleire, C.. (2019). Publier en français… Oui mais pour quelles raisons?, SociologieS.https://doi.org/10.4000/sociologies.9533
Comité intersectoriel étudiant (2024). Soutenir et rehausser la recherche en langue française : vers une action structurante et concertée. https://frq.gouv.qc.ca/app/uploads/2024/06/20240329_rapport-langue-francaise_cie-frq_versionfinale.pdf
Fonds de recherche du Québec (2023). Réseau francophone international en conseil scientifique. https://frq.gouv.qc.ca/programme/reseau-francophone-international-en-conseil-scientifique/
Imbeau, L. M. et Ouimet, M. (2012). Langue de publication et performance en recherche: publier en français a-t-il un impact sur les performances bibliométriques des chercheurs francophones en science politique? Politique et Sociétés, 31(3), 39-65. https://doi.org/10.7202/1014959ar
Pour consulter un autre article du CIE sur l’écoresponsabilité en recherche : https://www.acfas.ca/publications/magazine/2023/11/releve-ecoresponsabilite-recherche-entre-preoccupations-ambitions
- Membres du Comité intersectoriel étudiant (CIÉ)
Fonds de recherche du Québec (FRQ)
Yan Bertrand
Candidat au doctorat en santé publique, Université de Montréal
Président du CIE, membre depuis 2020Maëlle Corcuff
Candidate au doctorat en sciences de la réadaptation, Université Laval
Membre du CIE depuis 2022Marie-Violaine D. Ponte
Étudiante au doctorat en sciences infirmières, Université Laval
Vice-présidente du CIE, membre depuis 2022Virginie Houle
Étudiante à la maîtrise en linguistique, Université du Québec à Chicoutimi
Membre du CIE depuis 2022Simone Têtu
Étudiante au doctorat en mathématiques appliquées, Brown University
Vice-présidente du CIE, membre depuis 2020Félix L'Heureux-Bilodeau
Étudiant au doctorat en Sols et environnement, Université Laval
Membre du CIE depuis 2024Corinne Leveau
Étudiante au doctorat en biochimie, Université de Montréal
Membre du CIE depuis 2024Ha-Loan Phan
Étudiante au doctorat en management, HEC Montréal
Membre du CIE depuis 2024Katerina Sviderska
Étudiante au doctorat en études slaves, University of Cambridge
Membre du CIE depuis 2024Mame Mbayang Thiam
Étudiante au doctorat en science de la Terre et de l’atmosphère, Université du Québec à Montréal
Membre du CIE depuis 2024Élisabeth Viau
Étudiante au doctorat en génie industriel, Polytechnique Montréal
Membre du CIE depuis 2024Cynthia Vincent
Étudiante au doctorat en éducation, Université du Québec à Montréal
Membre du CIE depuis 2024
Remerciements aux anciens membres du CIE ayant participé à la rédaction du rapport :David Carpentier
Membre du Conseil d’administration du Fonds de recherche du Québec
Membre du CIE 2021-2024Catherine Cimon-Paquet
Chercheuse postdoctorante, membre du Conseil d’administration du Fonds de recherche du Québec
Membre du CIE 2022-2024Gabrielle Duguay
Membre du CIE 2021-2024Mathilde Jutras
Membre du CIE 2020-2024Lawrence Labrecque
Membre du CIE 2020-2024Samuel Leduc-Frenette
Membre du Conseil d’administration du Fonds de recherche du Québec
Membre du CIE 2020-2024Félix Proulx-Giraldeau
Membre du CIE 2022-2024
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