L'anthologie virtuelle Parolefranco.ca est le résultat d’une vision : mettre les documents les plus emblématiques de l’histoire des francophonies canadiennes en situation minoritaire à la disposition d’un large public.

Penetanguishene, Ontario, 15 décembre 1977. Des parents demandent pour leurs enfants une école secondaire publique de langue française dans leur ville. Le conseil scolaire du comté de Simcoe rejette leur demande. Il propose plutôt de construire des salles de classe rattachées à l’établissement bilingue Penetanguishene Secondary School pour y accueillir les élèves francophones.
Ce refus ne décourage nullement ces parents déterminés. Au contraire, une école secondaire parallèle de langue française, appelée l’École de la Huronie ouvre ses portes le 3 septembre 1979, dans un ancien bureau de poste. La nouvelle institution a toutefois besoin de fonds. Que faire dans ces circonstances? Quatre jours plus tard, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens et l’Association canadienne-française de l’Ontario sollicitent par lettre tous les francophones de la province à donner des sous pour assurer le fonctionnement de ce nouvel établissement scolaire1. Ils espèrent ainsi forcer les dirigeants du conseil scolaire de Simcoe de créer officiellement une école secondaire de langue française.
Région de Prud’homme, Saint-Denis et Vonda, en Saskatchewan, le 19 janvier 1978. Des parents envoient une lettre au premier ministre canadien, Pierre E. Trudeau2. Ils réclament une école de langue française pour leur région. Certes, les provinces ont adopté des lois permettant le financement d’écoles de langue française à compter des années 1960; toutefois, les conseils scolaires refusent souvent de créer de telles écoles. Ces parents savent que le gouvernement fédéral ne paiera pas pour la construction d’une école de langue française, puisque l’éducation relève de la responsabilité des provinces. Ils ont plutôt besoin de ressources financières pour embaucher des avocats.
Nous n’avons pas la réponse du premier ministre Pierre Trudeau à cette lettre. Cependant, on sait que cette lettre rejoignait des demandes similaires provenant de Franco-Manitobains et d’anglophones du Québec qui quémandaient également des ressources financières pour poursuivre leurs gouvernements provinciaux respectifs afin qu’ils respectent leurs obligations linguistiques. Ces pressions incitent le gouvernement fédéral à créer le Programme de contestation judiciaire en 1978 qui offrira un soutien financier aux communautés de langue officielle pour faire respecter leurs droits linguistiques.
Un rassemblement de prises de paroles
Ces deux lettres se retrouvent dans l’anthologie virtuelle « Prises de parole dans les francophonies canadiennes », logée sur le site parolefranco.ca. Nous avons créé cette anthologie pour permettre au public de découvrir les aspirations, les besoins et les revendications des communautés francophones en situation minoritaire. Cette anthologie d’une cinquantaine de documents, qui couvre la période de 1867 à nos jours, rappelle que la lettre est une façon utilisée par ces communautés pour s’exprimer sur des enjeux cruciaux. Les prises de parole prennent aussi d’autres formes, telles que la rédaction de manifestes, la soumission de mémoires à l’occasion des nombreuses commissions royales d’enquête créées par le gouvernement fédéral depuis 1867 ou encore par des déclarations diverses proclamant le droit des francophones à vivre et à se faire servir dans leur langue, et à se doter d’espaces où ils peuvent s’épanouir dans leur culture.
Chacun des 50 documents est introduit par un texte expliquant son contexte de production. De plus, des références bibliographiques sont incluses pour permettre aux lecteurs d’en apprendre plus sur les enjeux mentionnés dans chacun des documents. Enfin, les 50 documents traitent de différents enjeux, tels que des revendications dans le domaine scolaire, l’organisation de campagne de financement pour la création de stations radiophoniques, la création de troupes de théâtre ou la fondation de maisons d’édition; institutions qui permettent à leur tour aux créateur·trices francophones de prendre la parole.
Nous avons créé cette anthologie pour permettre au public de découvrir les aspirations, les besoins et les revendications des communautés francophones en situation minoritaire [où] la lettre est une façon utilisée par ces communautés pour s’exprimer sur des enjeux cruciaux.
Ces prises de parole collectives n’ont pas été le monopole de quelques individus ou groupes en particulier. Au contraire, des jeunes, des femmes, des membres de la communauté LGBTQ+, des troupes théâtrales et des créateur·trices ont eu recours à l’écriture pour dénoncer, revendiquer et réclamer à tour de rôle, chacun à leur façon.
L’anthologie virtuelle parolefranco.ca, Prises de parole dans les communautés francophones, permet de découvrir divers documents qui renseignent sur comment les francophonies canadiennes en situation minoritaire se sont exprimées sur de nombreux enjeux depuis 1867, mais aussi de les mettre en contexte.
Nous comptons ajouter de nouveaux documents au cours des prochains mois et nous accueillerons les suggestions avec beaucoup d’intérêt.
Bonne découvertes!
- 1
Prises de parole dans les francophonies canadiennes, 7 septembre 1979. Pour une école de langue française à Penetanguishene, [En ligne], https://parolefranco.ca/7-septembre-et-21-aout-1979/ [consulté le 28 mars 2024]. Source : Université d’Ottawa, Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF), Fonds Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens, C50/107/7.
- 2
Prises de parole dans les francophonies canadiennes, 19 janvier 1978. L’argent : le nerf de la guerre pour le respect des droits de la francophonie canadienne, [En ligne], https://parolefranco.ca/19-janvier-1978/ [consulté le 28 mars 2024] Source : Université d’Ottawa, Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF), Fonds Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, C84/69/15.
- Marcel Martel
Université York
Marcel Martel est professeur d’histoire canadienne au département d’histoire de l’Université York. Spécialiste de l’histoire politique et intellectuelle, il a publié de nombreux articles et chapitres de livre sur les politiques gouvernementales, notamment en matière d’aménagement linguistique, la régulation morale et sociale, les droits linguistiques et les rapports entre le Québec et les communautés francophones en situation minoritaire. Parmi ses récentes monographies, on peut citer l’ouvrage co-dirigé avec Joel Belliveau, Entre solitudes et réjouissances : les francophones et les fêtes nationales (1834-1982) (Boréal, 2021), Une brève histoire du vice au Canada depuis 1500 (Presses de l’Université Laval, 2015). Il a également rédigé, avec Martin Pâquet, Langue et politique au Canada et au Québec. Une synthèse historique (Boréal, 2010).
- Joel Belliveau
Université de Moncton
Joel Belliveau a œuvré à l’Université Laurentienne, qui l’a nommé professeur émérite et a enseigné aux universités d’Ottawa et Sainte-Anne ainsi que sur les trois campus de l’Université de Moncton, où il enseigne présentement. Spécialiste de l’histoire culturelle et politique de l’Acadie des 19e et 20e siècles, il a aussi publié sur la Révolution tranquille québécoise, la naissance du militantisme franco-ontarien et les origines du nationalisme catalan. Il est l'auteur ou co-auteur de dizaines d’articles et de quatre livres, dont Le « moment 1968 » et la réinvention de l’Acadie (Presses de l’Université d’Ottawa, 2014) et Entre solitudes et réjouissances : Les francophones et les fêtes nationales, 1834-1982 (avec Marcel Martel, Boréal, 2021).
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