En novembre 2024, au Cégep Garneau, l'Acfas a tenu la 25e édition de son Forum international Sciences Société. Nous publions pour l'occasion une diversité de regards portés par ceux et celles qui sont au cœur de la rencontre.
- Du côté des étudiant·es : Mickayla Boselawa, Cégep de Saint-Laurent
- Du côté des chercheur·ses : Isabelle Arseneau, Université du Québec à Rimouski
- Du côté des enseignant·es qui accompagnent : Geneviève Desjardins, Cégep de l'Outaouais
- Du côté des animateurs qui mènent les ateliers thématiques : Cameron Camillo, Cégep Garneau
Les questions posées par ces jeunes fort éveillé·es que j’ai eu la chance d’y côtoyer étaient justes, précises, réfléchies, créatives, nuancées, et elles témoignaient de leur volonté de prendre part aux changements sociétaux qu’exigent les grands enjeux socioécologiques qui traversent notre époque.
La pertinence du Forum international Sciences Société, qui célèbre cette année ses 25 ans, est évidente. Non seulement s’agit-il d’une occasion unique pour des chercheurs·euses francophones d’aller à la rencontre de jeunes citoyen·nes, mais elle offre également un contexte unique permettant de réfléchir avec elles et eux à des enjeux contemporains où s’enchevêtrent sciences, technologies, environnement et société.
Pour la chercheuse en didactique des sciences que je suis, qui s’intéresse en particulier à la participation des scientifiques et des citoyen·nes aux conversations sociopolitiques entourant la gestion des questions environnementales et sanitaires socialement vives, être invitée lors de la dernière édition du forum à parler avec des cégépien·nes de démocratie participative fut un réel bonheur, voire un grand privilège. Les questions posées par ces jeunes fort éveillé·es que j’ai eu la chance d’y côtoyer étaient justes, précises, réfléchies, créatives, nuancées, et elles témoignaient de leur volonté de prendre part aux changements sociétaux qu’exigent les grands enjeux socioécologiques qui traversent notre époque. Cela dit, et grâce aux riches échanges que j’ai eus avec les collègues et avec les jeunes, j’ai probablement appris autant, sinon plus, que les étudiant·es eux-mêmes. J’en ressors énergisée et confiante pour la suite.
La formule choisie, où divers moments d’échanges ont lieu, soit dans un bar des sciences, dans des ateliers autour de thématiques choisies, lors d’un panel ou encore lors de moments ludiques et festifs, nous permet, l’instant d’une fin de semaine, d’arrêter le temps et de réfléchir à la suite du monde. Parce que c’est bien ce dont il s’agit.
En effet, les problèmes de société d’aujourd’hui (développement durable, risques sanitaires et industriels, nouvelles technologies, etc.) concernent les sciences de la nature, de la santé et de l’ingénieur tout comme les sciences humaines et sociales (Vinck, 2007). Nous le savons, nulle journée ne passe désormais sans qu’il ne soit question, dans les médias ou à l’école, de la crise climatique, du déclin de la biodiversité, des enjeux énergétiques ou de la contamination des sols, de l’air et de l’eau. Dans ce contexte, le développement d’une alphabétisation technoscientifique critique chez les jeunes s’avère nécessaire à la participation démocratique dans les champs scientifiques et technologiques, ce qui est devenu un enjeu sociétal majeur. L’épistémologue des sciences, Gérard Fourez (1997), parle ainsi d’alphabétisation technoscientifique comme d’un pouvoir-agir (empowerment) au regard d’objectifs humanistes, socioéconomiques et démocratiques. En offrant aux jeunes des clés pour comprendre la dynamique des sciences et leurs implications sociétales, le forum contribue donc à développer leur pouvoir-agir sur des enjeux contemporains.
Ainsi, le fait de rassembler des chercheuses et des chercheurs de diverses disciplines autour d’un thème commun permet de présenter les savoirs de manière contextualisée et de discuter des sciences comme de pratiques sociales, ce qui contribue à la formation de citoyen·nes informé·es, critiques, soucieux·euses de justice sociale et environnementale, porté·es vers l’action et engagé·es sociopolitiquement. Autrement dit, les conversations qui se déroulent dans le forum permettent d’aborder les « sciences en train de se faire » – pour reprendre l’expression du socioanthropologue des sciences Bruno Latour – qui réfèrent à l’entreprise « de recherche » et qui impliquent des débats, des enjeux éthiques, des controverses ainsi que des incertitudes, et ce, afin de dépasser les « sciences faites » (soit les savoirs scientifiques établis) qu’on enseigne généralement à l’école.
...les conversations qui se déroulent dans le forum permettent d’aborder les « sciences en train de se faire » [...] – qui réfèrent à l’entreprise « de recherche » et qui impliquent des débats, des enjeux éthiques, des controverses ainsi que des incertitudes, et ce, afin de dépasser les « sciences faites » (soit les savoirs scientifiques établis) qu’on enseigne généralement à l’école.
Ce faisant, un horizon de voies possibles et d’action s’ouvre aux étudiant·es présent·es. Ils et elles en viennent ainsi à mieux comprendre les rôles sociaux des producteurs·trices de savoirs, mais aussi ceux des citoyen·nes en ce qui concerne l’usage et la circulation des savoirs dans la société, par exemple lorsqu’il s’agit de prendre des décisions individuelles ou collectives. En quelque sorte, les conversations entre cégépien·nes et chercheurs·euses qui se déroulent au forum favorisent le dialogue interdisciplinaire des savoirs, ce qui ouvre à la pensée complexe. Cela, en toute cohérence avec les principes pour une éducation du futur mis de l’avant par Edgar Morin (2000), qui, il y a 25 ans, coprésidait le premier forum aux côtés du sociologue Guy Rocher, fervent défenseur de l’éducation générale et citoyenne des jeunes et acteur de premier plan dans la création des cégeps.
En d’autres mots encore, les conversations rendues possibles par le forum invitent les cégépien·nes à réfléchir à l’avenir, tout en ayant la perspective d’un passé commun ou celle d’un univers lointain que nous offre tout ce bagage de savoirs développé par l’approche scientifique.
En terminant, il me faut souligner le travail inestimable de Johanne Lebel, qui réussit année après année à maintenir l’âme du forum en créant des rencontres entre chercheurs·euses parfois improbables, mais toujours salutaires, qui animent les débats avec aisance et pertinence, reformulant judicieusement les idées pour relancer les échanges, et j’en passe. J’espère donc qu’elle sera là encore longtemps, et qu’un jour, elle puisse passer le flambeau pour que le forum demeure un lieu d’échanges démocratiques pour penser la suite du monde. Je souhaite donc longue vie au Forum international Sciences et Société!
Références :
- Fourez, G. (1997). Scientific and Technological Literacy as a Social Practice. Social Studies of Science, 27(6), 903-936.
- Morin, E. (2000). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Éditions Poiints.
- Vinck, D. (2007). Sciences et société. Sociologie du travail scientifique. Paris: Armand Colin.
- Isabelle Arseneau
Université du Québec à Rimouski
Isabelle Arseneau est professeure en éducation à l’Université du Québec à Rimouski et titulaire de la Chaire de recherche en éducation transformatrice pour l’engagement climatique. Elle a obtenu le premier prix d’excellence de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval pour sa thèse, portant sur la participation des scientifiques aux affaires sociétales dans le contexte de questions environnementales et sanitaires socialement vives. Par l’enseignement de ces situations problématiques, elle met de l’avant une éducation aux sciences et à l’environnement critique et politique. Ses recherches actuelles, réalisées au sein d’équipes interdisciplinaires, visent à éclairer les rôles et les capacités d’acteurs de la transition socioécologique, dont des jeunes, des citoyen·nes et des scientifiques de la mer et du climat.
[Note de la rédaction : en lien avec le présent article, l’autrice a aussi écrit dans nos pages sur la participation des scientifiques aux affaires sociétales.]
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