Dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes et de la Saison des francophonies canadiennes, l'Acfas-Acadie a organisé le 8 mars dernier une table ronde de discussion intitulée Les savoirs des femmes dans la communauté acadienne, présentée en collaboration avec le Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA) et l'Université de Moncton. Il fut question d'enjeux liés à la recherche au féminin dans le contexte francophone minoritaire. Nous avons demandé aux historiennes Phyllis Leblanc et Stéphanie St-Pierre, toutes deux panélistes de cette table ronde, de revenir sur leurs recherches et leurs réalisations en lien avec le savoir des femmes dans la communauté acadienne.
Parlez-nous de vos parcours. Qui sont les femmes de savoir qui vous ont inspiré au fil de vos carrières respectives?
Phyllis Leblanc : Au moment où je commençais ma vie professionnelle, l’étude de l’histoire des femmes s’inscrivait progressivement dans les programmes académiques. Un collègue m’a introduit à Gender and the Politics of History de Joan Scott. L’ouvrage était novateur dans sa représentation du genre comme une construction sociale et comme cadre conceptuel en études féministes. En ce qui concerne l’histoire acadienne, la notion du genre m’a permis de comprendre les nuances dans la construction et la représentation des valeurs et des normes de comportement touchant les femmes. À titre d’historienne, le genre - tout comme la classe sociale, la race ou l’ethnicité - représente un cadre d’analyse qui permet d’aborder le présent pour éclairer le passé.
Stéphanie St-Pierre : Si plusieurs personnes de savoir m’ont inspiré au fil des ans, j’ai côtoyé peu d’historiennes pendant mon parcours comme étudiante de premier et de deuxième cycle à l’Université Laurentienne. Lorsque j’ai commencé mes études doctorales, j’ai tranquillement développé un réseau dans lequel figurent des femmes exceptionnelles qui m’ont beaucoup influencée. La première femme de savoir à avoir marqué ma trajectoire est l’historienne Michèle Dagenais, avec qui j’ai eu la chance de travailler dans le cadre de mon très bref séjour à Montréal. Des femmes comme Lucie Hotte (littéraire) et Anne Hébert (géographe), qui travaillent sur des enjeux qui touchent la francophonie canadienne, ainsi que les chercheuses acadiennes Annette Boudreau (sociolinguiste) et Phyllis LeBlanc (historienne), m’ont aussi servi de modèles. Comme chargée de cours, j’ai aussi noué des relations importantes avec mes collègues du département d’histoire de l’Université Laurentienne, comme Linda Ambrose. Depuis mon arrivée en Nouvelle-Écosse, j’ai l’immense chance de travailler avec de nombreuses femmes exceptionnelles qui sont professeures et chercheuses à l’Université Sainte-Anne. Avec elles, je peux discuter ouvertement d’enseignement, d’approches pédagogiques, d’objectifs de carrière et, inévitablement, d’expériences vécues comme femme vivant en milieu minoritaire et œuvrant dans le monde universitaire.
La quasi-absence de modèles féminins lors de mon propre parcours, notamment au premier cycle, m’a sensibilisé à mon rôle potentiel auprès des jeunes gens de mes salles de classe. Au-delà de la matière à enseigner, j’essaye aussi d’amener mes étudiants et mes étudiantes à réfléchir à ce qui influence la production des savoirs que nous enseignons, à reconnaître l’influence notre histoire sur le présent, et à développer leur confiance comme jeunes chercheurs et chercheuses par le biais d’activités de réflexions et d’analyse.
Au-delà de la matière à enseigner, j’essaye aussi d’amener mes étudiants et mes étudiantes à réfléchir à ce qui influence la production des savoirs que nous enseignons, à reconnaître l’influence notre histoire sur le présent, et à développer leur confiance comme jeunes chercheurs et chercheuses [...]
Présentez-nous une de vos réalisations en lien avec ce thème du savoir des femmes dans la communauté acadienne.
Phyllis Leblanc : Je suis présentement engagée dans une étude sur la migration régionale (au sein des Maritimes) et transnationale (des Maritimes vers les États-Unis) des femmes célibataires d’origine française, pour la période 1906-1940. En plus de confirmer la participation en grand nombre des femmes célibataires à ce phénomène de mobilité géographique, l’étude affirme aussi l’importance de la famille dans les décisions prises sur les déplacements de ce groupe de migrantes. Nos données font aussi valoir la présence de réseaux familiaux aux États-Unis qui facilitent l’intégration de ces émigrantes en sol américain. Les résultats signalent aussi que ce sont surtout les femmes - sœurs, tantes et cousines des femmes célibataires des Maritimes - qui représentent les réseaux familiaux à destination.
Les résultats de cette étude contribueront à la création de deux expositions muséales en préparation : la première, en présentiel, est prévue pour 2024, sous la responsabilité du Musée acadien de l’Université de Moncton; la deuxième exposition, virtuelle, relève du projet Trois siècles de migrations francophones (1640-1940).
À titre d’historienne, le genre - tout comme la classe sociale, la race ou l’ethnicité - représente un cadre d’analyse qui permet d’aborder le présent pour éclairer le passé.
Stéphanie St-Pierre : Je suis d’abord spécialiste de l’histoire du Canada français et de la francophonie canadienne, et c’est plus tard que j’ai développé un intérêt de recherche pour l’histoire des femmes. Cela dit, j’ai toujours été attirée par celle-ci. Ma toute première charge de cours était d’ailleurs en histoire des femmes et des familles au Canada, mais cet intérêt ne s’est pas manifesté immédiatement dans ma pratique de chercheuse.
Plus récemment, je me suis interrogée plus particulièrement sur la place des femmes dans la production de savoirs historiques. Ma contribution de recherche à notre compréhension de l’histoire des femmes au Canada s’inscrit à même mes intérêts de recherche de plus longue haleine : production de savoirs historiques, évolution de l’historiographie, analyse des moyens de production et de diffusion de l’histoire. Un premier article, qui porte sur l’historienne franco-ontarienne Georgette Lamoureux, paraîtra au printemps dans un collectif dirigé par Louise Bienvenue et François-Olivier Dorais. Le projet de recherche qui m’anime présentement porte sur la production de savoirs historiques en Acadie de la Nouvelle-Écosse. J’y examine, entre autres choses, la place relativement restreinte des femmes comme productrices de savoirs, tout en explorant comment leurs contributions historiques sont mises en valeur dans les textes produits par des historiens (et quelques historiennes) amateurs.
Visionnez la table ronde du 8 mars 2023 / Disponible en ligne sur la page Facebook de l'Acfas-Acadie
- Phyllis E. LeBlanc
Université de Moncton
Titulaire de deux diplômes de l’Université de Moncton et d’un Ph. D. de l’Université d’Ottawa, Phyllis E. LeBlanc est professeure titulaire d’histoire à l’Université de Moncton. Formée en histoire sociale et économique, ses contributions à l’histoire des femmes et du genre s’inspirent de ces cadres d’analyse et de leurs façons de conceptualiser le passé. Membre associée du groupe Trois siècles de migrations francophones, 1640-1940 (TSMF) et membre du Groupe de recherche sur les femmes et les archives (GRAFA), ses plus récentes contributions en histoire des femmes comptent un article, intitulé « Femmes et archives : une approche auto-ethnographique » (à paraître en 2023) dans un numéro thématique de la revue Port-Acadie, ainsi qu’un chapitre, intitulé « Que nous apprennent les synthèses historiques et les contributions récentes à la recherche fondamentale en histoire des femmes et du genre en Acadie? » dans l’ouvrage collectif Paroles et regards de femmes en Acadie, sous la direction de Jimmy Thibeault et. al., publié par les PUL en 2020.
- Stéphanie St-Pierre
Université Sainte-Anne
Stéphanie St-Pierre est titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université de Montréal. Diplômée de l’Université Laurentienne, elle s’intéresse à l’histoire intellectuelle, au rôle de l’histoire dans la construction identitaire des populations en milieu minoritaire, et à l’histoire de la francophonie canadienne. Originaire du nord de l’Ontario, elle a travaillé comme chargée de cours à l’Université Laurentienne et à l’Université de Sudbury, avant de s’installer dans la région de la baie Sainte-Marie où elle est professeure adjointe en histoire. Ses recherches actuelles portent sur les historiographies francophones au Canada, sur la place des femmes dans l’historiographie et sur les usages publics de l’histoire. Elle entreprend présentement un nouveau projet qui porte sur la production de savoirs historiques en Acadie de la Nouvelle-Écosse avec un intérêt particulier pour la production locale.
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