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La chercheuse en psychologie Thérèse Gouin-Décarie est décédée le 2 avril dernier à l'âge de 100 ans. Nous lui rendons ici hommage par une sélection de quelques moments venant souligner cette vie caractérisée par une sensibilité aux autres et par un parcours de recherche remarquable, dédié au développement global du nourrisson et du jeune enfant.

« Par son approche innovatrice et expérimentale du développement du nourrisson Thérèse Gouin-Décarie est l'une des scientifiques qui ont le plus contribué à introduire l'approche et les méthodes de [Jean] Piaget en Amérique du Nord. Elle [était] aussi à l'avant-garde des recherches qui démontrent l'interdépendance des développements mental, affectif, social et moteur. Toute sa carrière de chercheuse sera marquée par une approche holistique du développement cognitif, affectif et social de l'enfant normal. » Mireille Mathieu1.

  • 1Mireille Mathieu, « Thérèse Gouin-Décarie : un monument de la psychologie du développement », dans Faire connaissance : 100 ans de recherche en français, Éditions Cardinal, Montréal, 2023, p.109.
Thérèse Gouin-Décarie
Entretien réalisé en 1985 par Jean-Marc Gagnon, pour la publication de l'Acfas alors titrée Interface. Crédits photographiques : Louis Pépin.

1945 : Le choix de la psychologie

[Cette section est reprise d'un précédent texte]

Née en 1923, d’une famille de la grande bourgeoisie canadienne-française, la jeune Thérèse sera séduite par la rude injonction de l’abbé Lafortune qui dit un jour « en s’adressant aux "fortes en thème" : Ce n’est pas parce que vos parents ont de l’argent que vous ne devez pas penser à vous servir de votre intelligence »1. Contre ce défi lancé, les mots de la mère supérieure, « Higher education is not for young ladies », n’auront pas d’impact.

Elle fera donc des études. Mais pas du côté du politique ou du droit, comme l’arrière-grand-père Honoré Mercier, ou le grand-père Lomer Gouin ou encore le père, le sénateur Léon Mercier Gouin. Pour elle, ce sera la psychologie, par désir d’être utile, pour aider ceux qui souffrent mentalement,  « la plus douloureuse des maladies », dira-t-elle1.

En 1945, à 22 ans, elle entre à l’Institut de psychologie de l'Université de Montréal, tout récemment fondé (1942) par le père Noël Mailloux, un dominicain, qui « parvenait dans une alchimie mystérieuse, à parfaitement concilier la théorie psychanalytique et la philosophie de saint Thomas d’Aquin »1. Elle y obtient sa licence (maîtrise) en réalisant des travaux autour des dessins d’enfants.

Été 1949, c’est la découverte de Jean Piaget. À travers ses écrits, d’abord. « J’ai lu La construction du réel chez l’enfant [...], presque distraitement, dans le grenier de la propriété qu’avait mon père à Pointe-au-Pic »1. Et près de cinquante ans plus tard, ce premier contact sera devenu une relation fidèle : « Encore aujourd’hui, après un demi-siècle de lecture de Piaget et ayant compris depuis combien fragiles sont certaines de ses hypothèses et erronée l’interprétation de plusieurs de ses données, je reste fascinée par sa théorie. Je me sens surtout privilégiée d’avoir choisi, dès cette première lecture, de consacrer tout le temps nécessaire à approfondir son oeuvre. [...] Le fait d’avoir connu ses travaux sur l’enfant préverbal avant d’entreprendre mon doctorat a orienté ma carrière de façon déterminante »1.

En 1951, elle amorce sa carrière de professeure à  l'Université de Montréal. Puis, en 1953, un stage, au James Jackson Putman Center de Boston, la mène à son premier article scientifique Quelques symptômes d’enfants autistiques en regard des théories de Piaget.

En 1954, au Congrès international de psychologie, c'est la vraie rencontre avec l'épistémologue. Une rencontre décisive. « J’exposai mon projet de thèse de doctorat : comparer expérimentalement le développement de la relation objectale chez le jeune enfant de trois à dix-huit mois tel que l’a conçu Freud et le développement de la notion d’objet dans le contexte de la théorie piagétienne. [...] Essentiellement, je voulais mettre en parallèle, le développement affectif, soit l’attachement à la mère, et le développement cognitif, soit la structuration de la notion de substance au début de la vie »1. L’approche expérimentale, basée sur des statistiques, l’amènera à considérer 90 sujets.

En 1960, elle obtient son doctorat mené parallèlement à quatre grossesses, et deux plus tard, sa thèse sera publié sur le titre Intelligence et affectivité chez le jeune enfant par la prestigieuse maison d'édition Delachaux et Niestlé2. Piaget préfacera l'ouvrage publié en 1962. «  Je sais que c’est cette préface qui m’a fait connaitre internationalement dans le milieu affreusement compétitif qu’est le monde des chercheurs en psychologie du développement »1.

En 1963, commence une période qu'elle qualifiera de douce amère, où sa vie de chercheure croisera celle d’une vingtaine d’enfants victimes de la thalidomide (médicament causant tout particulièrement des malformations aux os). Rapidement, guidée par la psychologie sociale, elle  interviendra sur le milieu, ne voulant surtout pas qu’à leur malheur on ajoute les manques du milieu institutionnel. Ses recommandations auront « un effet significatif sur le développement de ces enfants »3.

1960 et 1965 : Congrès de l'Acfas

Dans les années 1960, on la retrouve, entre autres, au Congrès de l'Acfas, où elle présente des communications dans la section Psychologie. Voici deux exemples tirés des Annales de l'Acfas, aujourd'hui numérisés et accessibles à BAnQ numérique.

28e Congrès de l'Acfas, Université Laval, du 27 au 30 octobre 1960
  • Faculté de Commerce
  • Section 23 : PSYCHOLOGIE
  • Salle 11 - vendredi, 28 octobre
  • Président de séance : Maurice MEUNIER
  • Thérèse GOUIN-DÉCARIE, Institut de psychologie, Université de Montréal .
  • 11 h. 20 - Hétérogénéité des protocoles de la série objectale.
    • Une étude expérimentale portant sur l'évolution de la relation objectale, telle que décrite par les psychanalystes contemporains, a révélé des différences très marquées de rendement à la "série objectale”, si l'on compare les sujets d'institutions aux enfants de famille. Ces différences s'expriment non seulement en termes de retard, mais aussi en termes de déséquilibre de l'évolution objectale
33e Congrès de l'Acfas, Université de Montréal, du 5 au 7 novembre 1965
  • Section 28 – PSYCHOLOGIE
  • Thérèse GOUIN-DÉCARIE, Institut de psychologie, faculté de philosophie, Université de Montréal.
  • Le problème de la notion d'objet en l'absence de certains schèmes sensori-moteurs
    • Dans sa description des stades de l'intelligence sensori-motrice, Piaget analyse comment la coordination de schèmes sensori-moteurs fondamentaux, tels ceux de la préhension et de la vision, sous-tend les différentes étapes de l'évolution mentale et l'élaboration de la notion d ’objet. Des expériences avec des sujets souffrant de malformations congénitales dues à la thalidomide ont permis de déterminer si l'absence de certains schèmes sensori-moteurs affecte ou non le moment d'accession à la notion d'objet.

1985 : Entretien avec Interface, la revue de l'Acfas

Le journaliste, Jean-Marc Gagnon, résume ainsi en introduction sa perception de la psychologue :

  • « Pionnière de la recherche et de l'enseignement de la psychologie du développement au Québec, Thérèse Gouin-Décarie s'est intéressée sa vie durant aux problèmes de l'intelligence et de l'affectivité chez le jeune enfant. Première femme francophone à devenir membre du Conseil national de recherches du Canada, elle s'est vu, par ailleurs, confier, en 1962, l'évaluation du potentiel intellectuel et affectif de jeunes enfants atteints de malformations congénitales dues à la thalidomide. Ses travaux ont retenu l'attention de Jean Piaget qui a rédigé la préface de son premier volume. ».

Cet autre extrait présente un échange autour de la place des femmes en sciences

  • « Si une étudiante me demandait conseil pour entreprendre une carrière de professeur-chercheur, je l'interrogerais d'abord pour savoir si elle aime profondément cela, si elle est heureuse lorsqu'elle fait de la recherche et aussi de l'enseignement (ils sont intimement liés et il faut les aimer tous deux). Il faut être vraiment mordue. Autrement, ça doit être extrêmement pénible. Mais, je lui poserais aussi une autre question très importante à mes yeux : Où est votre quota de bonheur? Que vous faut-il, à part la recherche, pour pouvoir être heureuse? Je pense que les hommes ont autant besoin que les femmes de leur quota de bonheur, mais ils ne le savent pas! Ou, du moins, ils ne l'admettent pas! De sorte qu'il arrive un moment particulièrement dramatique où ils ont tout sacrifié à leur recherche (ou à leur travail) : famille, femme, enfants, loisirs et, parfois, eux-mêmes. Quel réveil brutal! Ce sont les femmes qui ont raison de tenir avant tout à leur quota de bonheur. Il faudrait que les hommes soient davantage prévenus de ce côté et qu'ils admettent, entre autres, qu'on ne peut se passer de certaines choses. Les sacrifier serait un prix trop grand à payer, même avec le Nobel au bout. Il y aurait peut-être moins de carrières prestigieuses, mais je pense que la Terre en serait plus belle.
  • Ne peut-on parvenir au sommet sans consentir à de pareils sacrifices?, demande le journaliste.
  • « Je n'en suis pas très sûre. Pour garder le bonheur, il y a des sacrifices à faire dans la carrière. C'est à peu près inévitable. Comme, par exemple, de renoncer à participer à un congrès, donc à une communication scientifique, à cause de l'otite d'un enfant...Les grandes découvertes scientifiques sont parfois appuyées sur trop de renoncements personnels. L'homme en est souvent inconscient. Il n'en sent pas les répercussions et ne sait pas toujours ce qu'il est en train de perdre, tandis que la femme, elle, le sent et le sait toujours.»

2013 : le Prix Acfas dédié aux sciences sociales est renommé Thèrèse Gouin-Décarie

Le 8 octobre 2013, le Prix Acfas dédié aux sciences sociales a été officiellement rebaptisé Prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie. Mireille Mathieu réalise un entretien avec la chercheuse alors âgée de 90 ans. Rappelons que la Pre Mathieu a été l'élève puis la collègue de Thérèse Gouin-Décarie, au Département de psychologie de l'Université de Montréal.

2023 : l'ouvrage Faire connaissance : 100 ans de recherche en français fait place à Thérèse Gouin-Décarie

Dans le cadre de son centenaire, célébré entre mai 2022 et juin 2023, l'Acfas publie l'ouvrage collectif Faire connaissance : 100 ans de recherche en français, sous la direction de Claude Corbo et de Sophie Montreuil, aux Éditions Cardinal. Sans surprise, Thérèse Gouin-Décarie figure parmi les 50 chercheuses et chercheurs sélectionné·es. Le texte résumant sa contribution sera rédigé par Mireille Mathieu.

  • « Pendant plus de 40 ans, Thérèse Gouin-Décarie joue un rôle très important dans la transmission du savoir sur le développement du nourrisson et du jeune enfant à tous les futurs cliniciens et chercheurs du Département de psychologie de l’Université de Montréal. Elle a également accompagné dans son laboratoire une grande partie de la relève professorale en psychologie du développement dans les universités du Québec et au-delà. Par ailleurs, le parcours de Thérèse Gouin-Décarie se démarque par sa remarquable conciliation travail-famille, où elle mène une brillante carrière de chercheuse et d’enseignante, tout en élevant ses quatre enfants.»

Références

  • 1961 : Gouin-Décarie, Thérèse.  Intelligence et affectivité chez le jeune enfant. Paris et Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
  • 1996 : Côté, Marguerite Michelle. Entretiens avec Thérèse Gouin-Décarie : la psychologie de l'enfant, côté science et côté coeur. Éditions Liber, 1996
  • 2023 : Mathieu, Mireille. « Thérèse Gouin-Décarie : un monument de la psychologie du développement », dans Faire connaissance : 100 ans de recherche en français, Éditions Cardinal, Montréal, 2023, pp.109-111.

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