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Gérard Boismenu, Université de Montréal

La revue savante, née au 17e siècle, possède un bel avenir. Les temps changent, les conditions de réalisation, l’environnement technologique et les circuits de circulation se transforment, la revue prend une nouvelle physionomie, mais sa vocation reste. 

Le Journal des sçavans, Paris, 1665
L'une des premières revue savante, le "Journal des sçavans". Paris, 5 janvier 1665. Source: Domaine public

Une nouvelle chronique

Voici le premier billet d’une nouvelle chronique. Pour ouvrir cet espace, entièrement dédié aux revues savantes, Gérard Boismenu propose une réflexion sur cette institution dont la vocation n’a pas bronché depuis sa création au 17e siècle : échanger, valider, diffuser.
 
Pour la suite des choses, nous inviterons, entre autres, et régulièrement, ceux et celles qui dirigent avec ténacité, voire héroïsme, ces indispensables « lieux » de recherche.  Et ce sont les revues savantes francophones et canadiennes qui seront au centre de la chronique.

La rédaction

 

La revue savante comme institution

La revue savante, très tôt, s’est présentée comme une institution, bien au-delà de l’entreprise d’édition. Vecteur de communication au sein de communautés de chercheurs et d’auteurs, la revue est un moyen d’échange, de validation et de proposition. La contribution qu’elle apporte à l’avancement des connaissances passe par la confrontation des idées et des données dans des milieux avisés, ainsi que par la diffusion d’analyses, d’explications ou d’interprétations, d’où naissent collaborations, contradictions et émulations.

Les revues, d’une certaine façon, fédèrent les communautés scientifiques et révèlent la solidité de leurs contributions dans le champ des savoirs. Aujourd’hui, leur foisonnement permet de couvrir largement les grands champs disciplinaires, mais aussi la diversité des domaines de spécialisation. À côté des revues généralistes associées à une discipline, des revues sont venues témoigner de sous- champs, de thématiques fortes, de créneaux de recherche ou encore de démarches scientifiques ou méthodologiques. Le processus reste le même : la validation du contenu par le jugement préalable de pairs, comme premier filtrage reconnaissant la valeur de la contribution. Mais il est clair que ce premier jugement sera suivi par d’autres, en raison de la circulation et la diffusion qu’assure la revue.

L’environnement numérique

L’environnement numérique a plusieurs effets marquants sur la vie de la revue. En réduisant le temps et l’espace à presque plus rien, la communication scientifique peut se faire dans l’instant : la mise en disponibilité ne souffrant ni délai ni distance. La revue a pu être perçue comme un frein à cette immédiateté, en raison du temps imparti à certains processus. Les modes alternatifs de diffusion (dépôts institutionnels ou thématiques, plateformes de prépublication dans champs spécialisés, par exemple) ont été chaudement discutés et ont permis de dégager des voies parallèles ou concurrentes, sans pour autant déloger les revues comme lieu d’arbitrage et de validation. 

La revue a renouvelé ses façons de faire afin de « contracter le calendrier » au maximum, quitte à offrir un service « d’abord en ligne ». Elle s’est donné des plateformes d’édition et de diffusion en mesure d’assurer la qualité du geste éditorial, la solidité organisationnelle et une diffusion à la hauteur de l’ubiquité numérique. Le cadre dans lequel la transition s’est opérée a été profondément marqué par les forces économiques qui caractérisaient déjà l’édition savante imprimée, permettant même une accentuation des déséquilibres existants au profit de quelques oligopoles, qui pratiquent des prix administrés visant l’optimisation du rendement, provoquant une crise budgétaire des bibliothèques.

On ne peut refaire cette histoire particulièrement pénalisante pour la fluidité de la circulation de la connaissance dans le monde universitaire. Elle est déjà bien connue. Il reste que, malgré l’adversité, des plateformes indépendantes connaissent une certaine notoriété et proposent une alternative pour la communication scientifique soutenable. Nées dans la deuxième moitié des années 1990, HighWire, Project MUSE, JStore, Revues.org, Cairn et Érudit, pour ne nommer que celles-là, ces plateformes en sont arrivées, avec une certaine fortune, à défendre leur projet et à s’installer dans la durée. 

Érudit : une ambition, des réalisations

Près de nous, Érudit est né de la volonté d’établir une base solide d’édition et de diffusion pour les revues savantes « sans but lucratif ». Le modèle économique de cette plateforme évolue : sa seule obsession, c’est d’assurer une pérennité aux revues, tout en prônant la libre circulation des connaissances. 

On ne peut s’étonner que les principaux grands acteurs des milieux documentaires au Canada reconnaissent explicitement qu’Érudit est une alternative stimulante aux grands éditeurs commerciaux, qui cherchent à asseoir leur domination par le biais des « big deals ». Érudit concourt à la diversification des modèles, et c’est heureux. Au-delà de cet enjeu, la plateforme Érudit donne à ses revues savantes tout le lectorat auquel elles peuvent prétendre. Ce faisant, elle permet un rayonnement aux réseaux scientifiques que ces revues révèlent et à leur contribution à l’avancement de la recherche.

Dès le départ, Érudit a misé sur la diffusion, sachant que la mise à disposition par le Web ne suffisait pas. Cela signifie certes une plateforme de très grande qualité technique, une indexation la plus complète possible, mais également l’activation de réseaux au plan national et international. Les dernières années ont permis de confirmer cette position, de telle sorte qu’Érudit devient une référence obligée comme vecteur de communication scientifique, ouvert et leader dans le secteur. Sa position au sein du Canada fait l’objet de reconnaissance des organismes les plus autorisés. Mais au-delà, en offrant un bouquet de près de 225 revues, Érudit contribue à la solidité de la communauté universitaire regroupée dans ces diverses institutions et témoigne à la fois de la pertinence et de la qualité de la « science » qui se pratique au sein de la communauté dont elle amplifie le rayonnement.

Né d’une grande ambition, soit permettre à la « science d’ici » de trouver sa place dans le monde numérique et faire tomber les obstacles à sa dissémination, Érudit a su lui donner corps. Sa contribution est reconnue et saluée. Érudit, c’est d’abord une œuvre collective de la communauté universitaire. Elle peut en être fière.

Toujours en mouvement

Dans l’ensemble, le parcours emprunté par la revue, comme genre éditorial, est forcément accidenté. Il subit les secousses des ambitions entrepreneuriales de grands oligopoles et, à l’opposé, de la volonté — appuyée ou pas par les pouvoirs publics — d’assurer le statut de bien public à la connaissance scientifique. Cette opposition, qui mériterait davantage de nuances, colore in fine les enjeux cruciaux de la communication scientifique. La revue est une institution au cœur du monde du savoir, un monde qui se transforme et se complexifie.

La contribution que la revue savante apporte à l’avancement des connaissances passe par la confrontation des idées et des données dans des milieux avisés, ainsi que par la diffusion d’analyses, d’explications ou d’interprétations, d’où naissent collaborations, contradictions et émulations.


  • Gérard Boismenu
    Université de Montréal

    Gérard Boismenu a mené une solide carrière de professeur et chercheur à l’Université de Montréal, ainsi que de gestionnaire, à titre de directeur de centres de recherche, de directeur scientifique des Presses de l’Université de Montréal, de directeur du Département de science politique, puis, de doyen de la Faculté des arts et des sciences et de vice-recteur au Développement académique et à la transformation institutionnelle. Il est l’auteur de nombreuses études dans le domaine des études canadiennes et des études européennes. Il a notamment été chercheur invité au Centre d’études européennes de Paris et titulaire de la Chaire en études canadiennes de la Sorbonne. Depuis 2008, il est l’un des huit experts étrangers du Conseil scientifique de l’Institut des Amériques. Gérard Boismenu est co-fondateur de la plateforme Érudit dont il a été président jusqu’en 2011. Il a co-présidé le Canadian Digital Information Strategy, parrainé par Bibliothèque et Archives Canada. Il est membre du Conseil d’administration de l’Université Sorbonne Paris Cité et de la Société royale du Canada.

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