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Marie-Pierre Baron, Université du Québec à Chicoutimi

...au Canada, la plupart des revues scientifiques sont hébergées par des universités. Il serait intéressant, plutôt que de se battre lors de la course aux subventions, que les montants associés aux revues scientifiques soient gérés par les universités afin que chacune ait sa part du gâteau.

J’écoutais l’émission La chaine musicale avec les sœurs Boulay le printemps dernier où celles-ci discutaient du monde de la musique à l’ère du streaming. Ces fameux Spotify et Apple music, pour ne nommer que ceux-ci, qui offrent au public, pour un abonnement de quelques dollars par mois, un catalogue bien rempli de musique en écoute immédiate. Selon le Regroupement des artisans de la musique1, les redevances aux créateurs sont entre 0,01 et 0,7 sous par écoute. Sans diaboliser ces géants de l’écoute en continu, le duo dénonçait plutôt le fait que les ministères appuyant la culture et les organismes subventionnaires n’ont pas « suivi la parade », que la vente de disques s’étant effondrée, la survie de notre culture musicale, voire artistique, résiderait dans un changement de culture de financement au Québec et au Canada, notamment en exigeant des fournisseurs de contenu Internet une contribution à la création et à la production de contenu, ou en imposant les revenus « canadiens » des compagnies étrangères d’écoute en continu1. Bref, leur propos m’a interpellé et je n’ai pu m’empêcher de faire un lien avec ma réalité.

Culture artistique, culture scientifique

En tant que directrice de revue scientifique en libre d’accès, je passe beaucoup de mon temps à chercher du financement, et ce même si je me considère comme privilégiée. Mon département et mon institution me permettent d’opérer la revue en offrant un montant forfaitaire, des services de différents professionnels, de même qu’une plateforme informatique. Cependant cet appui n’est pas pérenne et la course aux dollars reprend de façon cyclique. C’est un contrecoup de l’édition en libre accès, et tout comme les sœurs Boulay, je ne diabolise ce mode de diffusion. Au contraire, je milite pour le partage du savoir, pour son accessibilité, pour sa dissémination. Je suis fière de m’investir dans une revue au concept hybride et unique où chercheurs et praticiens font entendre leurs voix dans un même espace2.

Cependant, tout comme dans le domaine de la culture, alors que la parade passe, le financement ne suit pas, n’est pas ajusté. Les grands organismes subventionnaires (Fonds de Recherche du Québec – Société et culture, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada) suggèrent fortement, sans l’exiger pour le moment, que les revues scientifiques publient en libre accès, mais parallèlement, leurs financements sont de moins en moins importants. Les partenaires financiers privés dans le monde de l’éducation ne font pas la queue, et, contrairement aux revues imprimées qui peuvent bénéficier d’un revenu d’abonnement ou encore d’un revenu lié à la publicité ou aux frais de soumission et de publication3, nous ne pouvons pas compter sur un revenu publicitaire (les grands médias n’y arrivent plus, imaginez pour nous). Bien sûr, les abonnements des bibliothèques permettent d’intégrer les plateformes de diffusion comme Érudit à moindres coûts ou à coût nul, mais cela ne paie pas le salaire des coordonnateurs, des réviseurs linguistiques et des édimestres de ce monde. De plus, il ne faut pas oublier que la majeure partie du travail d’édition scientifique se fait bénévolement par les auteurs, les évaluateurs, les membres du comité scientifique et par les directeurs-trices de revue4.

Repenser le monde

On parle de virage numérique et de compétences du 21e siècle, mais il faut que cela soit supporté – pas seulement financièrement –, et c’est là où s’affrontent les enjeux scientifiques et économiques5. Selon l’auteure, le libre accès mène à la multiplication des revues, mais ne garantit pas le respect des règles de scientificité, dont la révision en double aveugle par les pairs. De plus, le facteur d’impact qui sert à évaluer la visibilité (et non la qualité) des revues peut avoir une influence sur la qualité scientifique des productions. Si nous voulons assurer la survie de nos revues scientifiques et le libre accès des ressources, un changement doit s’opérer. Le modèle de publication doit évoluer et être repensé6 et il en va de même pour le financement (Lefebvre et coll., 2018). Par exemple, au Canada, la plupart des revues scientifiques sont hébergées par des universités. Il serait intéressant, plutôt que de se battre lors de la course aux subventions, que les montants associés aux revues scientifiques soient gérés par les universités afin que chacune ait sa part du gâteau. Pour le moment, on observe quelques modes d’opération : certaines revues choisissent pour libre accès hybride où les auteurs paient un montant afin que leur article soit publié en libre accès, d’autres continuent de vendre des abonnements et plusieurs ne survivent pas à ces changements et n’ont d’autre choix que de cesser de publier.

J’imagine que c’est un peu la même chose en musique… sauf que, dans leur cas comme il s’agit de leur gagne-pain, on parle de survie dans le sens littéral du terme.

Pour le moment, on observe quelques modes d’opération : certaines revues choisissent pour libre accès hybride où les auteurs paient un montant afin que leur article soit publié en libre accès, d’autres continuent de vendre des abonnements et plusieurs ne survivent pas à ces changements et n’ont d’autre choix que de cesser de publier.

Bibliographie

  • Baron, M-P. (2018). « La revue hybride de l’éducation : des chercheurs partenaires des milieux de pratique », Magazine de l'Acfas. Repéré à https://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2018/06/revue-hybride-education-chercheurs-partenaires-milieux-pratique  
  • Cartron, E. (2017). « Où se situent les enjeux actuels pour les productions scientifiques des sciences infirmières? », Recherche en soins infirmiers, 1(128). 5-5 doi :10.3917/rsi.128.0005
  • Collard-Fortin, U., Baron, M-P. et Bruyère, M-H. (2018).« Les revues en science de l’éducation : comment être singulier dans une offre plurielle? », Revue hybride de l’éducation. 2(2). 103-109. doi : https://doi.org/10.1522/rhe.v2i2.858
  • Lefebvre, B., Dion, R., Bonenfant, L., Cliche, A. É., Parazelli, M. et Duchemin, É. (2018). État de l’édition savante francophone en sciences humaines et sociales au Québec. Montréal, Québec : Université du Québec à Montréal.
  • 1 a b www.le-ram.ca
  • 2Baron, 2018
  • 3Lefebvre, Dion, Bonenfant, Cliche, Parazelli et Duchemin, 2018
  • 4Lefebvre et coll., 2018
  • 5Cartron, 2017
  • 6Collard-Fortin, Baron et Bruyère, 2018

  • Marie-Pierre Baron
    Université du Québec à Chicoutimi

    Marie-Pierre Baron est professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi depuis 2014. Elle est directrice de la Revue hybride de l’éducation et de la Clinique Universitaire d’Orthopédagogie de l’UQAC où elle s’intéresse au développement langagier des élèves en difficulté et au développement de l’identité professionnelle des futurs orthopédagogues.

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