Nous avons écrit le livre « (Se) Former à et par l’écriture du qualitatif » pour aider les étudiantes et étudiants de cycles supérieurs, mais également leurs directions de recherche ainsi que les personnes formatrices qui les accompagnent dans leur scolarité, à en apprendre davantage sur l’écriture en recherche qualitative et sur son apprentissage. Le processus d’acculturation aux écrits de recherche qualitatives est souvent long et peu explicité dans les ouvrages méthodologiques ou dans les publications de recherche.
L’un des principaux défis des étudiantes et des étudiants de cycles supérieurs qui mènent des recherches qualitatives concerne l’apprentissage de l’écriture d’un nouveau genre (mémoire ou thèse), lui-même constitué de plusieurs sous-genres (problématique, définition de concepts, chapitre méthodologique, etc.) très formels et plus complexes que tout ce qu’ils et elles auront appris à écrire auparavant. En outre, ces étudiantes et étudiants vont le plus souvent devoir apprendre à écrire le qualitatif dans le cours même du projet de recherche, souvent de manière autonome, vu la rareté d’activités de formation vouées à ces apprentissages. C’est en effet à travers des écrits « intermédiaires »1, c’est-à-dire les résumés, les synthèses de lecture, les brouillons, les notes de terrain, les données, les analyses, que s’apprend, petit à petit, à la fois l’activité de recherche qualitative elle-même et l’écrit qui en rendra compte. C’est ici la fonction euristique de l’écriture de recherche qui est mise en lumière, c’est-à-dire le fait que l’écriture est un puissant outil d’apprentissage, d’aide à la réflexion sur sa démarche de recherche et son processus d’écriture. Et c’est bien ce que reflète le titre de l’ouvrage : (se) former « à » et « par » l’écriture de recherche. En effet, l’écriture de recherche, et plus particulièrement de la recherche qualitative, rend nécessaire de se former « à » cette écriture et une manière de le faire est « par » l’écriture.
L’étudiant et l’étudiante de cycle supérieur ont besoin de se former « à » l’écriture de recherche, c’est-à-dire d'opérer une acculturation aux genres textuels de recherche qui sont nouveaux pour les novices, notamment en ce qui concerne l’énonciation (la prise en charge de son propos) et le dialogisme (l’articulation de plusieurs voix) qui caractérisent les écrits scientifiques2. Des besoins d’apprentissage sont en effet soulevés par ces recherches qui montrent les difficultés des novices à articuler leur voix dans leur écrit à celles des chercheurs dans le domaine sur qui ils s’appuient, soit pour s’en distancier, pour y adhérer ou pour nuancer leurs propos ou le compléter.
L’idée de « variation » des discours3 est intéressante à considérer au sujet de l’écriture de la recherche en posant la question des caractéristiques propres à la recherche qualitative, influencées par des conventions disciplinaires et épistémologiques. En effet, l’écriture qualitative peut difficilement emprunter les caractéristiques génériques utiles aux recherches de tradition expérimentale sans en souffrir. Pensons notamment à l’emploi du « je » qui s’avère, dans plusieurs recherches qualitatives, beaucoup plus cohérent que le « nous » de modestie. Pensons aussi à l’importance d’une description fine de la méthode d’analyse qui n’était pas tracée d’avance et qui a été construite avec souplesse au plus près des étapes opérées. Or, sans modèles génériques correspondant à l’épistémologie qualitative et à ses méthodes, difficile pour les étudiantes et les étudiants d’envisager comment rendre compte de leur travail sans le trahir. Par exemple, les thèses issues de recherches ethnographiques vont présenter un déploiement beaucoup plus élaboré et fin de la description de leur terrain, ce que l’on retrouve moins dans les travaux issus de recherches quasi-expérimentales. Il est alors nécessaire pour les formateurs d’accompagner les doctorantes et doctorants dans ce que Boch (2013) ou Lafont-Terranova, Niwese et Collin (2016) nomment l’acculturation aux genres scientifiques.
D’autres contributions puisent aux travaux qui définissent le scripteur comme un sujet-écrivant4, qui tiennent compte ou s’intéressent à son rapport à l’écriture et au savoir5 ou qui étudient ce qui caractérise la posture d’auteur6. Par exemple, écrire long et de manière absconse, ou alors citer à outrance semblent des stratégies permettant, pour certains novices, de montrer qu’on a lu, qu’on a compris, qu’on sait faire complexe. Ces conceptions de l’écriture de recherche se retrouvent dans leurs écrits comme des marques qui laissent voir la nécessité d’un travail à faire sur eux-mêmes en tant que « sujet écrivant » la recherche qualitative, c’est-à-dire en tant que chercheuse et chercheur à part entière, qui a comme métier de construire des connaissances scientifiques et de rendre compte de sa perspective unique, subjective, et qui s’inscrit dans une tradition de recherche et se construit à l’appui d’autres chercheurs. Les formateurs peuvent alors soutenir les étudiantes et les étudiants dans l’appropriation d’une posture de chercheuse et de chercheur qualitatif, voire d’autrice et d’auteur, qui les amèneront à mettre en œuvre des moyens langagiers et textuels où se révéleront l’originalité de leur travail, ses apports, son point de vue singulier.
Enfin, d’autres contributions mettent en lumière la fonction euristique de l’écriture7, c’est-à-dire le rôle que joue l’écriture et tous les écrits « intermédiaires »1 dans la construction des connaissances. Cette dimension de l’écriture aide, d’une part, l’étudiante et l’étudiant à s’approprier les fondements de sa discipline (à travers ses autrices et auteurs phares notamment), à les convoquer et à les utiliser de façon originale pour construire son univers de référence8. Par exemple, en écrivant au sujet de leurs lectures, ils parviennent graduellement à structurer leur pensée et à comprendre de façon plus fine et nuancée celle des autrices et des auteurs lus. Par ailleurs, cette écriture euristique va, en recherche qualitative, permettre à l’étudiante et à l’étudiant de produire de nouvelles connaissances et de rendre compte des propositions de sens que son travail de recherche et d’analyse l’aura amené à élaborer. C’est de la formation aux méthodes qualitatives, par le biais de l’écriture, dont il est question ici. Car « c’est principalement à travers du matériel textuel […] que la recherche se fabrique et se donne à voir »9. Ainsi, (se) former « par » l’écriture du qualitatif amène à considérer les dimensions « fabriquée et fabricante »10 de l’écriture et à considérer le caractère souple et ouvert de la recherche qualitative.
Notre intention est de proposer un ouvrage ayant une portée didactique et pédagogique en offrant certaines réponses aux besoins grandissants des étudiantes et des étudiants de cycles supérieurs, ainsi qu’à ceux de leur formatrices et formateurs en matière de formation à et par l’écriture du qualitatif. Nous souhaitons que l’ouvrage puisse également permettre de réfléchir aux spécificités des écrits en recherche qualitative qui influencent du même coup l’accompagnement à offrir aux étudiantes et étudiants. Nous avons également souhaité que l’ouvrage offre divers points de vue ainsi qu’une voix à toutes les catégories d’actrices et d’acteurs « en formation » et « de la formation » à l’écriture de recherche qualitative : étudiantes et étudiants de cycles supérieurs, directions de recherche, professeures et professeurs, personnes chargées de cours qui offrent des enseignements dédiés aux littératies universitaires, organismes communautaires œuvrant dans ce domaine et spécialistes des questions relatives à la recherche qualitative ou à celles touchant plus précisément l’écriture. Cette diversité de points de vue nous semble porteuse pour réfléchir à ces questions.
Nous avons également souhaité que l’ouvrage offre divers points de vue ainsi qu’une voix à toutes les catégories d’actrices et d’acteurs « en formation » et « de la formation » à l’écriture de recherche qualitative : étudiantes et étudiants de cycles supérieurs, directions de recherche, professeures et professeurs, personnes chargées de cours qui offrent des enseignements dédiés aux littératies universitaires, organismes communautaires œuvrant dans ce domaine et spécialistes des questions relatives à la recherche qualitative ou à celles touchant plus précisément l’écriture. Cette diversité de points de vue nous semble porteuse pour réfléchir à ces questions.
Références bibliographiques
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- Barré-De Miniac, C. (2008). Le rapport à l'écriture : une notion à valeur euristique. Dans S. Chartrand et C. Blaser (dir.), Du rapport à l'écriture au concept didactique de capacités langagières : apports et limites de la notion de rapport à l'écrit (p. 11-23). Presses universitaires de Namur.
- Boch, F. (2013). Former les doctorants à l’écriture de la thèse en exploitant les études descriptives de l’écrit scientifique. Linguagem em (Dis)curso, 13 (3) 543-568. https://portaldeperiodicos.animaeducacao.com.br/index.php/Linguagem_Discurso/article/view/2158/1554
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- Chabanne, J.-C. et Bucheton, D. (2000). Les écrits intermédiaires. La lettre de la DFLM, 26 (1), 23-27. https://www.persee.fr/doc/airdf_1260-3910_2000_num_26_1_1424
- Chabanne, J.-C. et Bucheton, D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire : l'écrit et l'oral réflexifs. Presses universitaires de France.
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- 3Grossmann, 2012
- 4Donahue, 2002
- 5Barré-De Miniac, 2008; Charlot, 2005; Delcambre et Reuter, 2002
- 6Balslev et Gagnon, 2016; Bucheton, 2006; Penloup, Chabanois et Joannidès, 2011
- 7Morisse et Lafortune, 2014
- 8Lafont-Terranova et Niwese, 2016; Vanhulle, 2002
- 9Castellotti et Razafimandimbimanana, 2015, p. 7
- 10Castellotti et Razafimandimbimanana, 2015
- Marie-Hélène Forget
Université du Québec à Trois-Rivières
Marie-Hélène Forget est professeure de didactique du français au secondaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et responsable pédagogique des stages au secondaire. Ses champs d’intérêts concernent la formation initiale des maitres, l’enseignement et apprentissage de l’écriture de justifications au secondaire, ainsi que la médiation didactique et culturelle. Elle a aussi occupé des fonctions de conseillère pédagogique après avoir été enseignante de français au secondaire.
- Annie Malo
Université de Montréal
Annie Malo est professeure titulaire à l'Université de Montréal et chercheuse régulière au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante. Ses travaux de recherche portent, notamment, sur la pratique réflexive en stage et sur les interactions entre les différents acteurs, stagiaires, formateurs et élèves. Depuis plusieurs années, elle accompagne dans le cadre d’un cours de la maîtrise ou du doctorat les étudiantes et les étudiants dans l’écriture de leur recension des écrits ou de leur devis de recherche.
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