C’est la première fois qu’un programme national se fonde sur le concept de chaire; sur l’idée d’une reconnaissance, par le biais d’une chaire, du professorat et de l’excellence. Une première mondiale, il faut le dire, et depuis reproduite par exemple en France, en Australie ou encore en Afrique du Sud. Auparavant, les chaires étaient surtout des titres universitaires reliés à des fondations.
Johanne Lebel1 : Les chaires de recherche du Canada ont 20 ans cette année, ce qui nous ramène au tournant du millénaire. Pouvez-vous nous introduire au contexte de la création, aux visées initiales?
Dominique Bérubé : Deux mille chaires pour les années 2000, c’est l’idée qui est lancée. L’intention du gouvernement canadien est alors de se positionner sur la scène internationale comme une force importante en recherche. Il y a à cette époque beaucoup de soucis quant à la fuite des cerveaux, et il faut marquer le coup. Dans la même période, la Fondation canadienne pour l’innovation, dont le mandat est d’équiper matériellement les chercheurs, est instituée. Et la recherche en santé s’organise en une douzaine d’instituts de recherches thématiques, du cancer à la santé publique, les IRSC.
C’est la première fois qu’un programme national se fonde sur le concept de chaire; sur l’idée d’une reconnaissance, par le biais d’une chaire, du professorat et de l’excellence. Une première mondiale, il faut le dire, et depuis reproduite par exemple en France, en Australie ou encore en Afrique du Sud. Les chaires étaient surtout connues comme des titres universitaires reliés à des fondations.
Au-delà des principes d’excellence en recherche et de soutien à la formation en recherche, il y a l’idée de retenir et d’attirer les meilleurs chercheuses et chercheurs au Canada. C’est très, très, important dans l’ambition initiale du programme.
J’aimerais souligner aussi qu’en plus de la reconnaissance des compétences du titulaire, la chaire, par son titre, met de l’avant sa thématique de recherche pour la faire ressortir parmi une vaste variété de domaines.
Le programme est géré en collaboration avec les établissements. Ce n’est pas la personne qui postule, mais l’établissement. Ils ont une allocation de chaires, et ils mettent en place leurs processus d’identification des titulaires. C’est un nouveau mécanisme pour les agences subventionnaires. D’habitude, on octroie nos financements directement aux chercheurs. Là, il n’y a pas de mécanisme compétitif du côté du programme, mais toutefois une évaluation de l’excellence de la candidature.
Johanne Lebel : Et comment le programme s’est-il déployé, comment a-t-il évolué?
Dominique Bérubé : Rapidement de sérieuses critiques sur le processus de distribution des chaires, dès 2003 en fait, sont formulées par des chercheuses. On signale des biais importants dans la représentation des titulaires. Une entente de médiation est alors signée en 2006 et un mécanisme d’identification de cibles est mis en place en 2009. À cette époque, les cibles auraient été perçues comme une aspiration plutôt qu’une obligation.
Johanne Lebel : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces cibles?
Dominique Bérubé : Ce sont des cibles, des objectifs à atteindre, en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, touchant les quatre groupes désignés : les femmes, les personnes handicapées, les Autochtones et les personnes de minorités visibles2. Du côté des femmes, par exemple, au début du programme, leur représentation était très faible, soit une moyenne de 16 % entre les années 2000-2002. Les quatre groupes ont des enjeux différents, on ne peut pas les amalgamer. Il faut vraiment les traiter de manière différenciée quant aux barrières auxquelles ils font face.
Johanne Lebel : Le programme à 20 ans aurait-il atteint l’âge de la maturité?
Dominique Bérubé : Le programme est resté assez stable pendant les quinze premières années, le temps de se mettre en place. Mais depuis cinq ans, il y a eu beaucoup de changements. Pas seulement dans l’ajout d’une dimension de diversité dans la distribution des titulaires, mais également dans le développement d’une diversité de perspectives, essentielle à la compréhension de la complexité de notre monde et de ce fait, essentielle à l’excellence en recherche. Je ne sais pas si c’est l’âge de la maturité, mais, chose certaine, on a beaucoup muri.
Johanne Lebel : Vous avez agi, entre autres, sur les biais que nous pouvons tous avoir quand on juge, choisi, évalue.
Dominique Bérubé : Oui, on a vraiment œuvré à mettre en lumière les biais et à retirer les barrières systémiques d’accès au programme. Par exemple, le processus de sélection interne des universités demandait à être plus ouvert, plus transparent, pour permettre à toutes et tous de postuler. Ceci dit, les établissements doivent depuis 2018 rencontrer des exigences très spécifiques de recrutement et de mise en candidature d’une chaire, basées sur les principes de transparence et d’équité. Comme exemple, les universités affichent désormais les postes et la disponibilité des chaires, et les membres du comité de recrutement doivent prendre une formation sur les préjugés involontaires dans la prise des décisions.
Très rapidement, avec cette approche de transparence, on a vu apparaitre la diversité des sujets et des personnes. Cela répond à la critique disant que nos exigences produiraient de nouveaux biais. De fait, en ouvrant à toutes et tous la possibilité de participer au programme, la diversité a émergé d’elle-même, parce que l’excellence existe partout. Cette excellence en recherche ne peut être atteinte sans cette diversité des perspectives.
On est très satisfait des résultats. Est-ce que le chemin est facile? Non. C’est un long processus. On a eu à clarifier nos exigences, et on a appuyé les établissements parce que d’imposer ces pratiques à leur communauté pouvait être difficile.
On s’est rendu compte aussi que les chaires représentaient un levier significatif de développement de la diversité au sein des établissements. Diversifier les titulaires, bien sûr, mais également pouvoir évoluer dans un environnement de travail sans discrimination.
...en ouvrant à toutes et tous la possibilité de participer au programme, la diversité a émergé d’elle-même, parce que l’excellence existe partout.
Johanne Lebel : Comment voyez-vous le développement du programme au cours des prochaines années?
Dominique Bérubé : Le budget 2018 a permis la création de 250 nouvelles chaires de niveau 23. Et, du côté des chaires de niveau 14, 35 ont été créés. On a également instauré, une allocation de recherche de 20 000 $ pour les nouveaux chercheurs, soit pour les nouvelles chaires de niveau 2. On a aussi annulé la possibilité d’un troisième mandat des titulaires de chaires de niveau 1, afin d’augmenter la diversité dans le programme.
Du côté diversité, en décembre 2019, les statistiques du côté du programme étaient très bonnes (Figure 1), on a vraiment bien réussi, la progression est majeure. Au cours de la prochaine décennie, on va donc consolider. On a une obligation légale d’atteindre nos objectifs en termes de diversité. C’est un message qu’on tient à répéter aux établissements : ce ne sont pas des cibles « aspirationelles ». C’est une exigence d’admissibilité du programme. C’est un ordre de la cour fédérale, une entente de médiation du tribunal des droits de la personne. Il n’est pas question de s’éloigner de ces objectifs, bien sûr pour des raisons légales, mais plus encore pour des raisons de valeurs. On y croit profondément.
- 1Johanne Lebel est rédactrice en chef du Magazine de l'Acfas
- 2Chaires de recherche du Canada. Guide des pratiques exemplaires de recrutement, d’embauche et de maintien en poste visant à favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion. Consulté le 15 novembre 2020 : https://www.chairs-chaires.gc.ca/program-programme/equity-equite/best_practices-pratiques_examplaires-fra.aspx
- 3« Les chaires de niveau 2, d’une durée de cinq ans et renouvelables une seule fois, qu’occupent des chercheurs émergents exceptionnels considérés par leurs pairs comme étant susceptibles de devenir des chefs de file dans leur domaine. Pour chaque chaire de niveau 2, l’établissement reçoit 100 000 $ par année pendant cinq ans, à quoi s’ajoute une somme additionnelle de 20 000 $ par année à titre d’allocation de recherche pour tout titulaire d’une chaire de niveau 2 qui en est à son premier mandat ». Source consultée le 15 novembre 2020 : https://www.chairs-chaires.gc.ca/program-programme/index-fra.aspx
- 4« Les chaires de niveau 1, renouvelables une seule fois après sept ans, qu’occupent des chercheurs exceptionnels reconnus par leurs pairs comme des chefs de file mondiaux dans leur domaine. Pour chaque chaire de niveau 1, l’établissement reçoit 200 000 $ par année pendant sept ans ». Source consultée le 15 novembre 2020 : https://www.chairs-chaires.gc.ca/program-programme/index-fra.aspx
- Dominique Bérubé
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH)
Dominique Bérubé a été nommée vice-présidente, Recherche, du CRSH en octobre 2019. À ce titre, elle est chargée d’élaborer la vision à long terme et les orientations des principaux programmes de financement de la recherche de l’organisme.
Madame Bérubé supervise en outre l’orientation stratégique et la prestation des programmes et des politiques des trois organismes subventionnaires, de concert avec les autres organismes fédéraux qui financent la recherche. Cela comprend la prestation du Programme des chaires de recherche Canada 150, du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada, du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada, du Programme des chaires de recherche du Canada, des activités du fonds Nouvelles frontières en recherche et du Fonds de soutien à la recherche. Mme Bérubé veille aussi au déploiement d’une stratégie remaniée sur la recherche autochtone et la formation en recherche autochtone. Elle préside le conseil de direction de la Solution de gestion des subventions des trois organismes.
De 2015 à 2019, Mme Bérubé était vice-présidente, Programmes de recherche, au CRSH. À ce poste, elle s’est employée à rendre les programmes plus accessibles et à mettre en œuvre des politiques ayant trait à l’équité, à la diversité et à l’inclusion.
À l’Université de Montréal de 2007 à 2015, elle a occupé différents postes, dont ceux de vice-rectrice par intérim à la recherche, à la création et à l’innovation, de vice-rectrice adjointe à la recherche et de directrice générale du Bureau Recherche-Développement-Valorisation.
Madame Bérubé est titulaire d’un doctorat en sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal et d’une maîtrise et d’un baccalauréat de Polytechnique Montréal.
Source : https://www.sshrc-crsh.gc.ca/about-au_sujet/executive-gestion/index-fra.aspx#berube
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