Réalisées de 1988 à 1998, les Histoire(s) du cinéma (1998) de Jean-Luc Godard, œuvre de montage considérable qui réunit photographies, films, peintures, musiques, citations littéraires et poétiques (le film comporte quatre chapitres, eux-mêmes divisés en deux parties, pour un ensemble de huit épisodes et une durée d’un peu moins de cinq heures), sont ici comprises et interrogées dans leur rapport au tragique.
Nous mettons donc à l’épreuve les hypothèses suivantes : les Histoire(s) du cinéma gravitent autour de deux problèmes principaux, celui du mal et celui de l’art. Ces deux problèmes sont saisis à travers une conception tragique, qui en découvre les versants démesurés et fatals ; les découvrant, l’œuvre s’en empare pour inventer sa propre démesure.
La démesure des Histoire(s) du cinéma est celle du spectacle tragique, scène de terreur et de pitié, scène qui, dès lors, délivre moins une connaissance historique qu’elle n’engage un savoir tragique (« pathei mathos » ou « savoir par le souffrir », Eschyle).
Enfin, parce que « la tragédie prend naissance, suivant le mot frappant de Walter Nestle, quand on commence à regarder le mythe avec l’œil du citoyen » (Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet), le montage des Histoire(s) du cinéma est alors considéré comme ce qui défait le mythe (mythe historique, mythe politique, mythe cinématographique), c’est-à-dire comme ce qui le met en crise – le montage comme la mise en œuvre tragique de la critique du mythe.