Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Mohamed Benhaddadi, Cégep du Vieux Montréal
...en démontrant que l’électricité et le magnétisme sont intimement liés, Ampère introduit l’électrodynamique, une nouvelle branche de la physique aux antipodes des idées newtoniennes caractérisant l’époque.
Ampère
 André-Marie Ampère (1775-1836), gravure d'Ambrose Tardieu. Source : Wikimedias Commons

L’histoire de l’électromagnétisme débute en 1820, avec le physicien et chimiste danois Hans Christian Oersted (1777-1851). Ce dernier a démontré expérimentalement qu’un fil traversé par un courant électrique met en mouvement l’aiguille d’une boussole. L’existence de l’interaction entre les forces magnétiques et les forces électriques était ainsi prouvée, mais sans explications. C’est alors que se manifesta le génie d’André Marie Ampère (1775-1836), qui élabora la base mathématique soutenant les travaux d’Oersted. Présentée à l’Académie des sciences le 18 septembre 1820, la démonstration d’Ampère stipule que la direction du déplacement de l’aiguille est dépendante de la direction du courant1. C’est également lui qui a décrit les forces que deux conducteurs traversés par des courants exercent l’un sur l’autre, ainsi que l’interaction de la force du courant avec celle du champ magnétique correspondant.

Ainsi, en démontrant que l’électricité et le magnétisme sont intimement liés, Ampère introduit l’électrodynamique, une nouvelle branche de la physique aux antipodes des idées newtoniennes caractérisant l’époque. Ampère est considéré comme l’un des précurseurs de la théorie électronique de la matière : il a émis l’hypothèse de l’existence de courants électriques et constants à l’échelle microscopique de la matière, une idée prémonitoire qui finira par triompher seulement plusieurs décennies plus tard. Ampère est aussi l'inventeur des termes tension et courant, et le créateur de nombreux dispositifs expérimentaux et d'appareils de mesure, dont le galvanomètre, le solénoïde, l'électroaimant, etc.

Ampère n’a pas étudié à l’École polytechnique, alors que son âge (19 ans) et ses prédispositions exceptionnelles auraient dû le conduire à y entrer dans la première cohorte en 1794. En fait, Ampère n’est jamais allé à l’école! Sa vie d’enfant, puis d’adolescent, se déroula au sein de sa famille, à l’écart de toute autre vie sociale avec des amis de son âge, dans la propriété de son père, un homme instruit qui le fit élever dans le village de Poleymieux, à 15 km de Lyon. Constatant les immenses aptitudes et le goût particulier de son fils pour les mathématiques, son père lui procurait tous les ouvrages disponibles dans ce domaine.

À 18 ans, alors qu’il était plongé dans la mécanique analytique de Joseph Louis de Lagrange (1736-1813), l’exécution de son père lors du soulèvement de Lyon contre la Convention nationale plongea Ampère dans l’hébétude et lui fit perdre le goût des études. Dans une sorte de léthargie, durant plus d’une année, il passait ses journées à contempler mélancoliquement la nature. C’est la lecture des Lettres sur la  botanique à Madame Delessert de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui fera renaître chez lui le désir du savoir et l’ardente envie de se mettre à l’étude de la botanique. C’est à cette époque qu’il ressent le besoin de lire les poètes latins et qu’il compose des vers par centaines, en particulier pour sa bien-aimée Julie Caron, qu’il finira par épouser. Puis, il quitte la campagne pour s’installer à Lyon comme professeur de mathématiques et, accessoirement, d’italien et de physique-chimie. En 1802, il est nommé professeur de physique-chimie à l’École centrale de Bourg-en-Bresse, à 80 km de Lyon, où il souffre d’être éloigné de sa famille. L’année suivante, il revient à Lyon comme professeur de mathématiques au lycée, mais connaît l’inconsolable chagrin de perdre la femme de sa vie et la mère de son fils.

Ironie du destin, ce n’est qu’en 1804 qu’Ampère rejoint enfin l’École polytechnique, tout d’abord comme répétiteur d’analyse, puis comme professeur titulaire d’analyse et de mécanique, de 1809 à 1828.

Tous les témoignages de ses contemporains, incluant ses propres amis, s’accordent alors sur ses faibles qualités d’expérimentateur et ses piètres aptitudes en communication. Handicapé par une enfance trop solitaire, ce provincial à l’habit noir ne laissa pas indifférente la gent narquoise qui fréquentait alors les amphithéâtres de l’École polytechnique. Myope, distrait et timide, il était incapable de donner un cours devant un auditoire sans provoquer des rires irrévérencieux. Ses étudiants avaient même constitué tout un recueil d’anecdotes (sans doute un peu déformées par le temps), comme celles autour du torchon du tableau qu’il utilisait comme mouchoir, de la craie déposée dans son verre à la place du sucre, etc. Ses collègues n’étaient pas en reste, avec la plaisanterie de Laplace : « […] Ampère est si maladroit qu’on prétend toujours que quand l’appareil ne bouge pas, il le pousse pour le faire avancer »2, ou la taquinerie d’Oersted : « [...] Confus, aussi malhabile expérimentateur que débatteur ». Même son ami intime Arago était convaincu que « sa vocation était de ne pas être professeur »2.

Ce qui est extraordinaire est que toutes ces plaisanteries, pas toujours de bon goût, n’ont aucunement porté atteinte à la dignité du brillant savant. Au contraire, elles l’ont servi, car il était respecté et admiré, voire aimé, tant sa crédulité était proverbiale et probablement le fruit de son imagination et de son génie. C’est sa qualité de scientifique prolifique qui a créé sa légende, toujours bien vivante à l’École polytechnique et partout dans le monde. Le témoignage le plus édifiant à ce sujet est incontestablement la référence au surnom de « Newton de l’électricité » que lui a octroyé le physicien James C. Maxwell (1831-1879), autre père fondateur de l’électromagnétisme. Il n’y a évidemment pas meilleur hommage que celui rendu par les pairs. Même si la vision ampérienne des phénomènes électromagnétiques n’avait rien de newtonienne, il n’en demeure pas moins que les deux éminents savants Isaac Newton et André Marie Ampère ont trois grands traits communs : l’enfance solitaire, l’hyperémotivité et, surtout, le… génie hors du commun.

Le témoignage le plus édifiant à ce sujet est incontestablement la référence au surnom de « Newton de l’électricité » que lui a octroyé le physicien James C. Maxwell (1831-1879), autre père fondateur de l’électromagnétisme.

André Marie Ampère a été un illustre mathématicien et physicien au service de la science et de ses pairs, car c’est lui qui, contre vents et marées, a fait triompher les concepts de Fresnel sur l’optique ondulatoire. Il fut aussi l'un des premiers chimistes à distinguer les atomes des molécules et l’un des protagonistes de la célèbre loi d’Avogadro-Ampère (1814) selon laquelle tous les gaz, à volume égal et à pression égale, renferment le même nombre de molécules. Au crépuscule de sa vie, il s’est davantage tourné vers la philosophe et a élaboré un essai sur la classification rationnelle de toutes les connaissances humaines3. Il a également fait une incursion en sciences médicales lors de l’épidémie de choléra de 1832, en suggérant l’utilisation de l’acide fluorhydrique dans le traitement de cette pathologie4 – ce qui constitue un espiègle clin d’œil à la controverse actuelle sur l’usage de la chloroquine contre le coronavirus.

Ampère
Musée consacré à André-Marie Ampère, à Poleymieux, le village qui l'a vu grandir, près de Lyon. Source : Wikimedias Commons.

Le parcours exceptionnel d’Ampère montre à quel point les disciplines et les secteurs sont dynamiques et se nourrissent mutuellement, car bâtis pour servir! Ayant navigué d'une perspective à une autre, il a visé chaque fois à atteindre les fondements dans chaque science, ainsi qu’à maintenir des rapports avec les autres disciplines. Cette synergie, appelons-la ampérienne, peut être une bonne source d’inspiration pour les Fonds de recherche du Québec (FRQ) dans la promotion de nouvelles perspectives de recherche et l’exploitation de nouveaux territoires de connaissance dans un cadre interdisciplinaire ou intersectoriel.

Note : L’auteur a prévu d'organiser le colloque Ampère 200e : l’électrodynamique et la science au passé, présent et futur, en vue du 88e Congrès de l’Acfas, qui devait se tenir à l'Université de Sherbrooke en mai 2020. Le congrès a été annulé pour cause de la crise sanitaire relative à la pandémie de la COVID-19. Le colloque devrait se tenir lors de la prochaine édition du congrès de l'Acfas.

Références :
  • André Marie Ampère. Essai sur la philosophie des sciences, Paris Bachelier, 1834. Disponible en ligne en PDF.
  • Kastler Alfred, « Ampère et les lois de l'électrodynamique », Revue d'histoire des sciences, tome 30, n° 2, 1977, pp. 143-157.
  • Michel Dürr, « Ampère, professeur de légende », Bulletin de la Sabix, 2004. http://journals.openedition.org/sabix/466
  • Michel Dürr, « Ampère et les milieux scientifiques et littéraires de son temps », Bulletin de la Sabix, 2004. http://journals.openedition.org/sabix/480
  • Michel Dürr, « Une incursion d’Ampère dans le domaine médical. Un moyen héroïque de lutter contre le choléra » [PDF], CNRS, analyse d'un extrait du numéro de novembre 1834 de la Gazette de Santé à l’usage des gens du monde.
  • 1Kastler Alfred, « Ampère et les lois de l'électrodynamique », Revue d'histoire des sciences, tome 30, n° 2, 1977, pp. 143-157.
  • 2a2bMichel Dürr, « Ampère, professeur de légende »
  • 3André Marie Ampère, 1834, « Essai sur la philosophie des sciences »
  • 4Michel Dürr, « Une incursion d’Ampère dans le domaine médical. Un moyen héroïque de lutter contre le choléra ».

  • Mohamed Benhaddadi
    Cégep du Vieux Montréal

    Mohamed Benhaddadi, détenteur d'un PhD en génie électrique de l’École polytechnique de Kiev (Ukraine, 1986), est enseignant-chercheur en électronique industrielle au Cégep du Vieux Montréal, chercheur-associé au CIRODD et conseiller scientifique au FRQNT. Il a contribué à la formation de milliers d’ingénieurs et de centaines de technologues, tout comme il a publié de nombreux articles et livres. Intarissable sur l’énergie en général et l’efficacité énergétique en particulier, il discourt amplement du sujet : articles scientifiques et dans les journaux, conférences dans les collèges et universités du pays et à l’étranger, organisation de conférences et de colloques, mémoires aux autorités, etc. Pour ses contributions, il a reçu de nombreux prix et distinctions, dont l’Ordre de l’excellence en éducation du Québec (2018), l’Ordre national du Québec (2016), le Prix Acfas Denise-Barbeau (2015).

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires

Marc Himbert
Un bien bel article court, vivant et documenté. Puis-je ajouter comme témoignage toujours vivant de la reconnaissance des siècles au génie d'Ampère le fait qu'il est l'un des seuls deux scientifiques (avec Lord Kelvin) à avoir donné son nom à une des unités de base du Système international d'unités ? Même si la nouvelle définition internationale promulguée en 2019 ne fait plus référence à la loi d'Ampère exprimant les forces exercées entre conducteurs parcourus par des courants, le nom de l'unité de courant électrique reste " l'ampère"...
Mohamed Benhaddadi
Comme quoi, à quelque chose confinement est bon, puisqu'il a aidé à mûrir et nourrir davantage cet article. C'est évidemment pertinent de spécifier que la nouvelle définition du courant ne fait pas référence à la loi d'Ampère, ce qui ne diminue en rien l'immense contribution de ce savant intemporel. Je vais vous raconter une anecdote que mon professeur russe de machines électriques nous a racontée vers 1978 et qui montre le génie intemporel d'Ampère. Quand, vers 1832, Pixii a construit la 1ère machine, elle générait une tension alternative dont on ne comprenait pas alors les propriétés. C'est Ampère qui a suggéré de mettre un collecteur (une sorte de redresseur mécanique) que l'on retrouve encore aujourd'hui sur les machines à courant continu.