« Il ne faut pas tenir notre histoire pour acquise. C'est important de la requestionner, de la réinterpréter, avec de nouvelles sources et de nouvelles perspectives », affirme Jacinthe De Montigny, lauréate Québec des prix de thèse en cotutelle France-Québec 2024, parrainé par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec. « Ainsi, les journaux nous permettent de voir que l’issue de la guerre de Sept Ans est beaucoup plus complexe que la simple bataille des plaines d’Abraham. »
Bien que la guerre de Sept Ans (1756-1763) se soit déployée sur au moins trois continents, l’emphase est souvent mise au Québec sur son théâtre nord-américain, qui mène à la prise de possession de la Nouvelle-France par la Grande-Bretagne. Si les conséquences de cette conquête1 sont couramment étudiées, Jacinthe De Montigny s’est penchée quant à elle sur les motivations derrière celle-ci. Pour son mémoire de maîtrise en études québécoises, l’historienne a tenté de comprendre comment s’était construit le désir britannique de conquérir le Canada, en se plongeant dans les gazettes anglaises du 18e siècle. Cette méthodologie la passionne et elle décide de la développer davantage durant son doctorat en histoire. Réalisée en cotutelle à l'Université du Québec à Trois-Rivières et la Sorbonne Université, sa thèse traitera de la couverture de la guerre de Sept Ans dans la presse européenne contemporaine.
Étudier les journaux de l’époque offre une fenêtre privilégiée sur l’opinion publique française et britannique au sujet des colonies nord-américaines durant ce conflit. Cela permet aussi de percevoir les événements de la guerre de Sept Ans dans le contexte de l’immédiat plutôt que celui de l’historiographie. « On y constate que certains événements qu’on considérait comme extrêmement marquants ne sont qu’une des actualités du moment dans les gazettes », explique l’historienne. La fameuse bataille des plaines d’Abraham, par exemple, n’aura été dans les journaux qu’« une victoire britannique parmi tant d'autres à cette période-là. »
Étudier les journaux de l’époque offre une fenêtre privilégiée sur l’opinion publique française et britannique au sujet des colonies nord-américaines durant ce conflit. Cela permet aussi de percevoir les événements de la guerre de Sept Ans dans le contexte de l’immédiat plutôt que celui de l’historiographie.
Ces nuances permettent de remettre en question certaines idées bien ancrées. « Il faudrait arrêter de dire que les Français ont abandonné leurs colonies sur ce territoire, souhaite Jacinthe De Montigny. Il a fallu beaucoup de temps avant qu’ils décident de concéder le Canada. » D’où l’importance de remettre les événements dans leur contexte historique.
La lecture des journaux a même mis en lumière un événement de la guerre de Sept Ans peu connu au Québec : une attaque surprise réussie des Français à Saint-Jean de Terre-Neuve, en 1762, visant à conserver des territoires de pêche. « C'était une belle découverte, en fin de thèse, de réaliser qu’il y avait encore des choses à connaître. »
La cotutelle a permis à Jacinthe De Montigny d’étudier un an et demi en France, incluant un séjour en Allemagne pour consulter des archives papier. « C’est une expérience transformatrice, tant sur le plan personnel que professionnel, témoigne la chercheuse. S’intégrer dans un nouvel environnement nous permet d’en apprendre beaucoup sur nous et sur l’autre. Je le recommande à tous. »
L’historienne n’en a pas fini avec les journaux. Son postdoctorat à l’Université de Toronto étudie les « nouvelles à la main », ces gazettes manuscrites qui échappent au contrôle de l'État. C’est cette passion pour ce type de sources qui lui a permis de faire aboutir son doctorat. « Malgré toutes les embûches sur mon parcours, raconte Jacinthe De Montigny, je revenais à mon projet, qui nous permet de poser des questions différentes sur une période cruciale de l’histoire canadienne. »
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La distinction entre la guerre de Sept Ans et la guerre de la Conquête réside dans la chronologie donnée par les historiens. La guerre de Sept Ans est le conflit armé se déroulant à l’échelle planétaire entre les principaux pays belligérants que sont la France et la Grande-Bretagne, et leurs alliés, entre 1756 et 1763 (se termine avec la signature du Traité de Paris de 1763). La guerre de la Conquête ou French and Indian War est l’appellation donné au même conflit, mais en ce qui concerne essentiellement les évènements qui se déroulent sur le continent nord-américain. La guerre de la Conquête se déroule entre 1754 et 1760 (se clôture avec la chute de la Nouvelle-France en 1760).
- Louise Toutée
journaliste scientifique
Louise Toutée a obtenu un baccalauréat en sciences cognitives à l'Université McGill, où elle s'est initiée au journalisme en s'impliquant dans la presse étudiante francophone. Après une maîtrise en anthropologie à l'Université d'Oxford, elle fait ses premiers pas dans le monde de la communication scientifique en remportant l'édition 2024 de la bourse Fernand-Seguin.
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