Une portion de frites. Une demi-salade césar. Un sac de 12 mini brownies. Un burger au poulet frit. Une tarte au sucre. Une bouteille d’orangeade. Une poutine. Un petit pain grillé. Une cuisse de poulet. Non, ceci n’est pas la description du menu type d’un restaurant rapide. Ce sont plutôt des exemples de repas de travailleur·euse·s de la restauration qui ont été consommés lors de leurs quarts de travail. Comment le sais-je ? Ce sont mes collègues qui me l’ont dit, lorsque je les ai interviewés dans le cadre de mon projet de recherche à la maîtrise.
Par un vendredi soir comme les autres, dans un restaurant rapide. Il était 21h15. J’avais vraiment faim, mais surtout, je n’avais pas eu une seule seconde pour m’arrêter depuis le début de mon quart de travail. Une chance, le rush venait de se calmer. On sentait que tout le monde se détendait : ça recommençait à rire et à parler, le bruit des factures qui sortaient des ordinateurs était moins assourdissant, mes collègues remplissaient nonchalamment les étagères qui avaient été vidées par le service. Les livreurs et livreuses qui revenaient de leur route commençaient à s’agglutiner près du bloc de cuisine, telles des mouettes autour d’un restant de frites dans un stationnement de restaurant. En effet, des aliments cuisinés en trop et des retours de commande s’y accumulaient. « Y reste-tu quelque chose à manger? » Je me suis approchée du monticule d’aliments qui traînaient et rapidement, j’ai avalé rapidement un filet de poulet tiède, quelque frites molles trempées dans de la sauce épicée et un bâtonnet de fromage froid. Hop, mon problème d’estomac gargouillant était réglé.
Ce scénario, je ne me rappelle plus combien de fois il s’est produit en 10 ans de travail dans une rôtisserie de type restaurant-minute. J’étais en train d’y réfléchir tout en me brossant les dents avant de me rendre à un de mes cours de mon baccalauréat en nutrition. Quand soudainement, j’ai eu un flash : Est-ce que mon travail étudiant avait une influence sur mon alimentation? Et si oui, est-ce que mes collègues y étaient aussi sujets? J’ai pris mon sac à dos et je suis partie à toute allure à mon cours. Une rencontre avec la professeure du dit cours de nutrition plus tard, j’avais un projet de maîtrise. J’allais étudier comment mange une personne travaillant dans le milieu de la restauration rapide.
Une frite pour souper
Premier constat : les études s’intéressant à l’influence d’un travail dans un restaurant-minute sur les comportements alimentaires des travailleur·euse·s sont au nombre de deux. C’est peu. L’objectif de ma recherche était donc modeste mais nécessaire, soit de générer ce qu’on appelle des données exploratoires, et ce, pour décrire les comportements alimentaires des employé·e·s de la restauration rapide et pour identifier les facteurs les influençant. La méthode qualitative me semblait ainsi adaptée. J’utiliserais les mots et les images plutôt que les chiffres et les statistiques pour brosser un premier portrait de l’alimentation des travailleur·euse·s de la restauration. Et comme je travaillais à cette époque dans une rôtisserie de type restaurant-minute, j’ai demandé à mes collègues de prendre en photos ce qu’ils et elles mangeaient typiquement sur les lieux du travail et de venir m’en parler lors d’une entrevue individuelle. J’ai rencontré 17 membres du personnel âgés de 18 à 53 ans, répartis en termes de genre et ayant de 6 mois à plus de 20 ans d’expérience à différents postes (caisse, cuisine, gestion, livraison, répartition). Je leur ai posé toutes sortes de questions pour comprendre ce qui pouvait les influencer quand elles et ils choisissaient quelque chose à manger, que ce soient des facteurs individuels, sociaux ou contextuels à leur milieu de travail. 51 photographies, 600 pages de verbatims d’entrevues et près de 15 heures de matériel audio plus tard, j’avais assez de données pour essayer de comprendre la situation.
Travailler dans un vaste frigo libre-service
Est-ce que les comportements alimentaires des travailleur·euse·s correspondent aux recommandations en matière de saine alimentation tel que stipulé dans le Guide alimentaire canadien de 2019? Ça serait de mentir que de dire oui. Donc non, les membres du personnel de la restauration ne mangent pas une variété d’aliments peu transformés, des fruits et des légumes en abondance ainsi que des aliments à grains entiers et protéinés principalement d’origine végétale quand ils sont au travail. En effet, la plupart d’entre elles et eux ne consomment pas des repas complets, mangent des aliments de faible valeur nutritive mais denses en énergie (exemple : une poutine) ou parfois ne mangent tout simplement pas. Et même si ces personnes ont mentionné savoir que ce n’était pas sain de manger de façon fréquente de la nourriture en provenance du travail, tous les participants et participantes en consomment, que ce soit de manière épisodique ou régulière.
Mais pourquoi?
Manger au travail s’est avéré être une solution très pratique pour les travailleur·euse·s qui n’ont pas beaucoup de temps, de compétences culinaires, de motivation ou d’argent. Pourquoi se faire un lunch quand on a accès à un immense frigo au travail ? Les travailleur·euse·s peuvent en tout temps se commander un combo croquette à 4,50$, ou attendre la fin de quart de travail et manger gratuitement ce qui traîne. Alors pourquoi s’empêcher de dévorer un filet de poulet quand c’est chaud, que ça goûte bon, que c’est réconfortant et que c’est là, maintenant, quand on faim?
En plus, les conditions de travail et les normes sociales contextuelles à l’emploi imposent aux travailleur·euse·s une pression supplémentaire à la consommation d’aliments au travail. Besoin d’exemples? Ingrid grignote rapidement un petit pain grillé quand elle a faim et qu’elle n’a pas de pause. Dave commande une poutine car c’est plus rapide à faire préparer qu’une salade pendant l’heure de pointe et que ça dérange moins ses collègues. Jocelyn engloutit une tarte au sucre parce qu’il n’a pas le temps de manger et qu’au moins, ça lui donne une bonne dose d’énergie. Nathan ne se fait plus de lunchs car quand iel part en pause, c’est tenu pour acquis qu’iel va commander un repas du restaurant. Et Emmanuel choisit un burger de poulet pané plutôt que grillé car c’est moins glissant et que tout ne risque pas de lui tomber dessus quand il mange en livrant.
Docteur, est-ce que c’est grave ?
Peu d’études expérimentales sont disponibles pour nous permettre d’établir un lien de causalité entre la consommation fréquente en restaurants-minute et divers paramètres de santé, comme le diabète de type 2, l’hypertension ou les maladies hépatiques non-alcooliques. Cependant, une alimentation basée sur celle en provenance de restaurants rapide ne correspond pas à un patron alimentaire sain et une consommation fréquente de ce type d’aliments comporte des risques potentiels pour la santé. Mon étude a permis de mettre en lumière qu’un emploi en restauration rapide peut encourager la consommation d’aliments disponibles sur les lieux du travail. Mais, le témoignage de 17 participants et participantes, c’est loin d’être représentatif des 259 250 personnes qui travaillaient dans le milieu de la restauration au Québec en 2016. Alors, on fait quoi? Il serait grand temps de commencer à en parler et de mettre la santé des travailleur·euse·s de la restauration au menu.
Découvrez les autres propositions récompensées de la 30e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas :
- Juliette Pierre pour « Des avions et du bruit »
- Michel Demuynck pour « Un "bouche à oreille" étonnamment énergétique »
- Marion Leménager pour « Les fleurs pas du tout plates »
- Laura Cacot, Charles Moderie et Amaia Driollet pour « Les aurores boréales : une voie vers les matériaux de demain »
- Lola Coussau pour « Le retour du sébaste dans le Golfe du Saint-Laurent »
La 30e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas est rendue possible grâce à la participation financière du gouvernement du Québec.
- Sandrine Geoffrion
Université de Montréal
Sandrine Geoffrion est nutritionniste et étudiante à la maîtrise en nutrition à l’Université de Montréal. Son emploi étudiant dans le milieu de la restauration alors qu’elle complétait son baccalauréat en nutrition l’a inspirée à étudier les comportements alimentaires de ses collègues de travail comme projet à la maîtrise. Durant son parcours aux cycles supérieurs, son intérêt pour la vulgarisation scientifique sous toutes ses formes l’a poussée à participer à plusieurs activités de formation et concours pour rendre ses résultats accessibles à plusieurs publics. Elle fait d’ailleurs actuellement partie de la cohorte bande dessinée du Vulgarisathon, le marathon de la vulgarisation organisé par l’Acfas.
Sandrine Geoffrion est lauréate de la 30e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas.
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