Retracer l'histoire de l'Acfas, c'est en quelque sorte faire la « biographie » d’une organisation et rappeler le rôle qu'elle a joué dans l'histoire du Québec moderne. Bien sûr, toute institution est composée d'individus, mais elle les transcende également en ce sens que, avec le temps, les individus passent alors que l'institution demeure. Œuvrer au sein d'un organisme, c'est donc accepter, jusqu'à un certain point, de travailler dans l'ombre pour mieux promouvoir une idée, un projet.
J’ai publié l’histoire de l’Acfas en 1993 parce que la directrice générale d’alors, Françoise Braun, m’avait demandé d’écrire celle-ci pour marquer le 70 e anniversaire de la naissance de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences. J’avais aussi accepté parce que cela me fournissait une belle occasion de montrer l’importance des organisations dont la fonction sociale est d’être les porte-parole d’une idée au sein d’une société.
Ici, l’idée est celle de la promotion des sciences et du développement de la recherche scientifique auprès de la société canadienne-française d’abord et, surtout, depuis les années 1980, plus largement au sein de la francophonie canadienne même si, de fait, les racines et la raison d’être de l’Acfas demeurent essentiellement québécoises. En effet, faire de la recherche et promouvoir les sciences dans une société donnée ne va pas de soi. Cela exige que des porte-paroles rappellent constamment à la population et à ses élus la nécessité culturelle et économique de la recherche scientifique.
Si je publie aujourd’hui une nouvelle édition de cet ouvrage pour célébrer le 100e anniversaire de l’Acfas c’est encore une fois parce que la directrice générale en poste, Sophie Montreuil me l’a demandé… Et comme ce fut le cas il y a trente ans, celle-ci ne s’accompagnait d’aucune contrainte. En allongeant d’environ un tiers le contenu de la première édition, j’en ai gardé la structure générale, car je crois que la mission fondamentale de l’Acfas définie il y a un siècle reste fondamentalement la même.
Retracer l'histoire de l'Acfas, c'est en quelque sorte faire la « biographie » d’une organisation et rappeler le rôle qu'elle a joué dans l'histoire du Québec moderne. Bien sûr, toute institution est composée d'individus, mais elle les transcende également en ce sens que, avec le temps, les individus passent alors que l'institution demeure. Œuvrer au sein d'un organisme, c'est donc accepter, jusqu'à un certain point, de travailler dans l'ombre pour mieux promouvoir une idée, un projet. Ce projet est devenu une réalité grâce au travail acharné d’une génération de pionniers – les Léo Pariseau, Marie-Victorin et Jacques Rousseau – et s'est poursuivi après la Seconde Guerre mondiale grâce à leurs disciples et successeurs. Tous visaient à former des chercheurs francophones et à créer les conditions institutionnelles et sociales propices au développement de la recherche scientifique au Québec.
Faire de la recherche et promouvoir les sciences dans une société donnée ne va pas de soi. Cela exige que des porte-paroles rappellent constamment à la population et à ses élus la nécessité culturelle et économique de la recherche scientifique.
Si, comme on l’a dit, l'Acfas demeure surtout connue par son congrès annuel et ses prix, il fut un temps où ces activités n'existaient pas et où les sciences n'occupaient pas la place qu'elles occupent de nos jours dans la culture et dans le système d'éducation québécois. Comme nous l'avons montré ailleurs pour le cas canadien1, la recherche scientifique ne peut se faire de façon continue sans des étudiants et des étudiantes, de l'argent, des locaux adéquats et du temps. De plus, la diffusion des résultats de la recherche suppose l'existence de revues savantes. De même, pour récompenser les efforts les plus méritoires et présenter des modèles inspirants, il faut des prix et des médailles. Toutes ces ressources sont nécessaires à l'existence d'une communauté scientifique et ne s'obtiennent pas sur demande. Il faut du temps pour les créer et il faut également des porte-parole capables de convaincre les autorités politiques et le public de l'importance de la recherche scientifique.
Le congrès annuel de l'Acfas tenu depuis 1933 – et annulé une seule fois en 2020 en raison de la pandémie de Sars-Cov-2 – demeure l’événement annuel incontournable pour rassembler une fois l'an les scientifiques mais aussi pour assurer la visibilité publique de la recherche francophone. Les modes d’action et les mots d’ordre de l’Acfas afin de défendre et de promouvoir la recherche scientifique se sont bien sûr diversifiés au fil des décennies pour tenir compte des nouveaux contextes sociaux, culturels et économiques et des nouvelles technologies de communication. Le nombre et la variété des prix visant à reconnaître l’excellence des recherches tant chez les jeunes chercheurs que chez les plus confirmés s’est accru également, mais la visée générale reste la même que celle que mettaient de l’avant les fondateurs de l'Association.
Les modes d’action et les mots d’ordre de l’Acfas afin de défendre et de promouvoir la recherche scientifique se sont bien sûr diversifiés au fil des décennies pour tenir compte des nouveaux contextes sociaux, culturels et économiques et des nouvelles technologies de communication.
Après avoir rappelé le contexte intellectuel et institutionnel dans lequel l’Acfas a vu le jour au début des années vingt et présenté les objectifs de fédération de sociétés savantes (chapitre 1), nous avons consacré les chapitres suivants à décrire les multiples actions que l'Acfas a entreprises pour atteindre ses trois principaux objectifs, à savoir promouvoir la culture scientifique par la vulgarisation et l'enseignement des sciences dans les écoles secondaires (chapitre 2), stimuler la recherche au sein des universités (chapitre 3) et développer l'identité sociale des scientifiques francophones.
La tenue en octobre 1933 du premier congrès de l'Acfas a marqué le début d'une nouvelle étape dans l'histoire de l'Association. C'est au cours de ce rassemblement annuel que les chercheurs canadiens-français ont pris conscience de l'importance de se constituer en une véritable communauté scientifique en se donnant, avec la création des Annales de l'Acfas, les moyens de diffuser leurs travaux et de reconnaître l'excellence de leurs collègues par l'octroi de médailles (chapitre 4).
La plus grande visibilité acquise par l'Acfas grâce à son congrès annuel lui a permis de faire mieux connaître ses idées et ses actions par l'intermédiaire des journaux. C'est ainsi qu'elle s’est lentement positionnée en porte-parole des scientifiques francophones du Québec et, quoique plus difficilement, du Canada francophone (chapitre 5). La réalisation progressive des objectifs poursuivis, l'arrivée de nouvelles générations de chercheurs n'ayant plus les mêmes préoccupations que leurs aînés et, de façon plus générale, les changements sociaux et institutionnels ont amené plusieurs fois les membres de l'Acfas à se poser la question de la raison d'être de l'Association et à reformuler constamment les objectifs pour les adapter à la réalité du moment (chapitre 6).
L'avenir de la recherche et son autonomie relative par rapport aux demandes immédiates de l'État ne peuvent être assurés, ni au Québec ni ailleurs, sans l'existence d'un organisme représentatif capable de rappeler constamment aux élus et à la population en général l'importance de la science tant des points de vue social et culturel que sur le plan économique. Comme le montre de façon éloquente l'incapacité des scientifiques canadiens-anglais de se doter d’une « Association canadienne pour l’avancement des sciences », il n'est pas facile de créer une institution capable de jouer le rôle de porte-parole légitime d'une communauté de chercheurs aux intérêts multiples bien qu'unis par leur adhésion commune à la science. Or, contrairement à leurs homologues anglophones, les chercheurs francophones du Québec ont donc eu l’idée audacieuse de créer l'Acfas bien avant que la logique de la représentation ne soit devenue dominante au sein de la société. Ainsi, l'Association était déjà fort bien structurée lorsque le politique commença à interpeller la science à compter des années 1960.
L'avenir de la recherche et son autonomie relative par rapport aux demandes immédiates de l'État ne peuvent être assurés, ni au Québec ni ailleurs, sans l'existence d'un organisme représentatif capable de rappeler constamment aux élus et à la population en général l'importance de la science tant des points de vue social et culturel que sur le plan économique.
Si par le passé l'Acfas a pu – grâce à son conseil d'administration et à ses nombreux comités – jouer utilement un rôle de porte-parole pour les scientifiques francophones – et même faire l'envie de leurs confrères anglophones –, il est certain que ce rôle est devenu aujourd'hui indispensable. Et la présence accrue des scientifiques québécois sur la scène canadienne et internationale ne doit pas leur faire oublier que les conditions de possibilité de leurs recherches et de leur rayonnement se trouvent au niveau local et que leur action à ce niveau sera toujours essentielle.
L'avenir de l'Acfas demeure entre les mains de ceux et celles qui font partie intégrante de la communauté scientifique d'expression française, au Québec d’abord, mais en restant autant que possible solidaire de leurs collègues francophones minoritaires dans les autres provinces canadiennes. Pour ces derniers, l’Acfas peut jouer le rôle d’une sorte de bouffée d’air frais et voire de bouée de sauvetage dans un environnement largement dominé par la langue anglaise.
En somme, c'est par le renouvellement incessant d’une communauté scientifique francophone bien ancrée au Québec et soutenue activement par ses membres que l’Acfas pourra continuer à « faire avancer les savoirs », comme l’indique sa nouvelle devise.
- 1Yves Gingras, Les origines de la recherche scientifique au Canada. Le cas des physiciens, Montréal, Boréal, 1991.
- Yves Gingras
Université du Québec à Montréal
Yves Gingras est professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis 1986. Sociologue et historien des sciences, il est aujourd’hui directeur scientifique l’Observatoire des sciences et des technologies.
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