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Frédéric Deschenaux, Université du Québec à Rimouski, Stéphane Allaire, Université du Québec à Chicoutimi

On peut étudier pour devenir enseignante ou enseignant, chercheur ou chercheuse, mais il n’existe pas de manuel de formation qui conduit au poste de professeur d’université. Après la parution du livre Devenir professeur de Pierre Noreau et Emmanuelle Bernheim (2019), cette assertion perd un peu de son acuité. En effet, l'ouvrage aborde plusieurs facettes de la carrière professorale de manière concrète et utile. Toutefois, nous voulions poursuivre en adoptant un angle qui permettrait de dévoiler les coulisses du monde universitaire – à tout le moins une partie – à la faveur de récits personnels de professeurs au mitan de leur carrière.

Couverture du livre "Récits de professeurs d’université à mi-carrière"

 

L’objectif de rendre explicite « l’implicite » est apparu possible en demandant aux collaborateurs d’exposer les décisions prises en cours de parcours en insistant sur l’une des trois facettes de la vie professorale : enseignement, recherche, service à la collectivité. Pourquoi ont-ils fait ces choix? Si c’était à refaire, agiraient-ils de la même manière? Comment se projettent-ils dans l’avenir? Et comment envisagent-ils le futur de l’université? C’est donc cette orientation que nous avons privilégiée dans l’espoir de contribuer à la préparation de la relève professorale. Rendus à mi-carrière, c’était aussi une occasion de nous décentrer un peu de nos activités régulières pour y réfléchir à notre façon et y donner un nouveau sens.

Avec le soutien des Fonds de recherche du Québec, dont le Scientifique en chef qui signe la préface de notre ouvrage, nous avons lancé un appel de textes à travers le réseau universitaire québécois. Tout-e- professeur-e- ayant cumulé une quinzaine d’années d’expérience à ce titre était invité-e à « se raconter » à partir des questions précédentes. 

Nous avons adopté l’approche du récit de pratique1 . D’abord, son aspect particulariste permet d’avoir accès aux spécificités d’un contexte avec un certain niveau de profondeur et de détails. 

Le rôle de mère ajoutait ainsi des tâches à mon quotidien, qui me semblait déjà suffisamment bien rempli. Je me souviens de m’être encore posé ma question initiale, mais qui s’est précisée en fonction de mon nouveau rôle : est-ce possible d’atteindre un équilibre mère/professeure? Mon congé de maternité d’une année m’a permis d’y réfléchir longuement. Je n’étais toutefois pas si certaine que cela. Je croyais que ce congé me permettrait de ralentir un peu la cadence de travail. À tort, quelques fonctions professorales devaient se poursuivre, et je sentais le besoin de plonger dans d’autres projets sollicités par mes collègues. (Nancy Leblanc, p. 105)

Ensuite, en conjuguant à la fois la description d’une situation et la réflexion sur celle-ci, le récit de pratique offre un potentiel d’apprentissage fondé sur l’expérience. 

Je suis convaincue que pour survivre à l’université et y vivre heureux, il vaut mieux avoir la mentalité de parachutiste. Je m’explique : il faut être suffisamment courageux pour sauter, mais aussi autonome, rapide et débrouillard une fois atterri. (Natalia Dankova, p. 10)

Ce mandat m’a permis de réaffirmer certaines positions, à commencer par la primauté du travail en équipe et de la collaboration tous azimuts, à la grande satisfaction de mon « alter ego ». Ce nouveau niveau d’abstraction m’a aussi permis de réaliser de nouveaux apprentissages. Tout d’abord et très concrètement, les processus administratifs devraient être tenus à leur minimum afin de dégager un maximum de marge de manœuvre financière et humaine pour permettre d’accomplir la mission d’enseignement et de recherche de l’université. (Étienne Hébert, p. 44)

Enfin, la combinaison de plusieurs récits dans un même ouvrage permet d’illustrer les ressemblances tout autant que les différences qui peuvent caractériser la profession de professeur-e- d’université. 

La plupart des textes réunis dans cet ouvrage ne racontent pas l’histoire de trajectoires tracées d’avance, mais plutôt celle de choix faits en fonction d’un tracé dont chaque dénivellation cache la suite. Aussi, ce n’est pas tant la trajectoire qui fait le chemin que la façon d’aborder les obstacles et les facilités de la route. (Pierre Noreau, p. 188)

Les lecteurs pourront donc se renseigner et prendre conseil sur des sujets aussi variés que le mentorat et le réseautage comme outils d’aide à toute carrière universitaire; les défis d’une quasi triple carrière en enseignement, en recherche et en service à la collectivité; être mère, professeure et superstar dans un monde d’hommes; l’importance des relations humains, de l’ouverture et de la collégialité pour la réalisation d’une carrière épanouie… et enfin faire ce qui vous semble le plus intéressant et important en gardant toujours en tête d’avoir du plaisir, j’oserais même dire avoir du « fun ». (Rémi Quirion, p. VIII)

L’appel de textes fut un franc succès : une quarantaine de propositions ont été reçues. Après un déchirant exercice de sélection, nous en avons retenu 20, dont 16 se retrouvent dans la version finale du collectif. Une majorité d’universités et une diversité de disciplines sont représentées, ce dont nous ne sommes pas peu fiers !

Nous souhaitons adresser nos sincères remerciements aux professeur-e-s qui ont pris le temps de proposer leur récit, mais aussi pour reconnaitre l’audace dont ils et elles ont fait preuve. D’abord, le format demandé est peu orthodoxe comparativement aux écrits qu’un-e- professeur-e- d’université a l’habitude d’élaborer. Le récit de pratique implique une certaine mise à nu professionnelle dont le courage du partage mérite d’être souligné. Et, ne nous leurrons pas, leur chapitre dans cet ouvrage aura peu de poids dans un CV ambitionnant de décrocher une subvention de recherche. 

L’ouvrage s’articule en quatre sections. La première aborde la construction identitaire des professeurs d’université. Ainsi, les textes de cette section relatent des questionnements inhérents aux multiples facettes de la carrière professorale : faire sa place en tant que nouveau professeur; gagner en légitimité lorsqu’on prône une approche encore peu reconnue ou se développer lorsqu’on est attiré par des implications qui correspondent peu au cheminement habituel d’une carrière de professeur. La deuxième section s’intitule une profession de choix, car les textes qui s’y rattachent abordent l’impressionnante diversité d’avenues possibles qui s’offrent aux professeurs d’université. Chaque situation, de la décroissance importante de ses fonds de recherche à un arrêt de travail, implique des choix dont il importe de prendre conscience pour ne pas se perdre en chemin. En effet, comment rester fidèle à ses intérêts et compétences, tout en recherchant la reconnaissance de son travail par les pairs? La troisième section aborde les frontières de la profession à travers des récits qui relatent des transitions vécues avec les conciliations qui s’y rattachent, notamment le délicat équilibre à établir entre la vie professionnelle et familiale. Enfin, la dernière section aborde l’aspect collectif de la carrière professorale, qui peut sembler contre-intuitif quand les tâches et réalisations individuelles retiennent spontanément l’attention. Pourtant, cet aspect fait partie intégrante du travail d’un professeur d’université, pensons, par exemple, à l’importance du mentorat et des communautés de pratique en soutien à l’insertion professionnelle, mais aussi à la place prépondérante de la collaboration en recherche et dans d’autres sphères de la profession.

La lecture des récits permet de dégager certains constats sur la carrière professorale, car malgré la diversité des domaines, des établissements et des parcours vécus, on constate la récurrence de certains thèmes. D’abord, si la liberté s’ancre au cœur de la vie professorale, elle s’accompagne d’un certain vertige face à toutes les possibilités. Ensuite, on y observe l’omniprésence du regard des pairs, inhérent à la vie universitaire. La liberté de choix et l’évaluation par les pairs combinées induisent une forme de pression dont il semble difficile de s’affranchir en début de carrière et même après. Un regard dans le rétroviseur pour regarder le chemin parcouru et l’expérience acquise, parfois à la dure, permet cependant de relativiser les choses.

Finalement, les récits nous ont inspiré des lignes de conduite pour naviguer dans les eaux troubles du début de carrière universitaire. Nous proposons ainsi, de manière ludique, mais néanmoins empreinte d’un certain sérieux, les dix commandements de la recrue dans la carrière professorale! Ils amalgament l’affirmation de soi, la décentration de ses activités, l’autoapprentissage ainsi que la mise à contribution de l’expertise d’autrui.

Il faut également souligner la générosité de Pierre Noreau qui a accepté de signer la postface. C’était pour nous une belle façon de boucler la boucle, après que son ouvrage ait servi d’inspiration à cette démarche!

En somme, nous espérons que cette incursion variée dans les coulisses de la carrière professorale permettra aux personnes qui envisagent une carrière universitaire ou celles qui amorcent la leur de bénéficier du regard des personnes qui les ont précédés. Sans vouloir d’aucune manière ériger ces récits en autant de modèles à suivre, l’idée qui guide cet ouvrage vise à valoriser la diversité des parcours et des décisions tout en ouvrant la réflexion sur l’université du futur. Pour avoir un aperçu du contenu, on peut consulter ici un récit mis en libre accès.

Sans vouloir d’aucune manière ériger ces récits en autant de modèles à suivre, l’idée qui guide cet ouvrage vise à valoriser la diversité des parcours et des décisions tout en ouvrant la réflexion sur l’université du futur.

Références
  • Desgagné, S. (2005). Récits exemplaires de pratique enseignante : analyse typologique. Québec : Presses de l’Université du Québec.
  • Noreau, P., & Bernheim, E. (2019). Devenir professeur. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
  • 1Desgagné, 2005

  • Frédéric Deschenaux
    Université du Québec à Rimouski

    Frédéric Deschenaux, Ph. D., est professeur titulaire en sociologie de l’éducation à l’Unité départementale des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ses recherches portent sur les parcours scolaires et professionnels de diverses populations, dont les professeurs d’université. Il est le directeur de la revue Recherches qualitatives depuis juin 2018.

  • Stéphane Allaire
    Université du Québec à Chicoutimi

    Stéphane Allaire, Ph.D, est professeur en pratiques éducatives au secondaire au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Chicoutimi depuis 2005. Ses activités d’enseignement concernent principalement l’intervention pédagogique et la formation pratique des futurs enseignants. Il est responsable de l’équipe FRQ-SC sur le partenariat recherche-pratique en éducation. Il a été directeur du Consortium régional de recherche en éducation, rédacteur francophone de la Revue canadienne de l’éducation, membre de la commission de l’enseignement secondaire du Conseil supérieur de l’éducation et doyen à la recherche et à la création.

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