Il y a cent ans, au Canada, on découvrait et purifiait l’insuline. Depuis, la recherche évolue sans cesse, tant sur les composantes moléculaires de cette hormone que sur ses répercussions cliniques, et tout particulièrement dans le traitement du diabète.
Dans cet entretien, la doctorante en nutrition Audrey St-Laurent interroge la docteure Mélanie Henderson, pédiatre endocrinologue et chercheure au CHU Sainte-Justine, sur la place de l'insuline dans sa pratique et de l'évolution de cette hormone dans le milieu clinique. Toutes deux sont membres du Réseau de recherche en santé métabolique, diabète et obésité (CMDO).
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Audrey St-Laurent : Aujourd’hui, j’ai l’honneur de célébrer le 100e anniversaire de la découverte de l’insuline en échangeant avec une chercheuse de renom dans le domaine de la santé cardiométabolique et pédiatrique : j’ai nommé la docteure Mélanie Henderson. Docteure Henderson, pouvez-vous d’abord nous partager votre parcours professionnel, et son lien avec l’insuline?
Mélanie Henderson : Avec grand plaisir! J’ai commencé un baccalauréat en ergothérapie, pour ensuite poursuivre mon cours de médecine à l’Université McGill. J’ai fait une résidence en pédiatrie et deux ans de surspécialisation en endocrinologie pédiatrique à l’Université de Toronto au Sick Kids Hospital. Parallèlement à ma résidence en surspécialisation, j’ai entamé une maîtrise en épidémiologie clinique à l’Université de Toronto, durant laquelle je suis revenue à Montréal afin de compléter ce projet de maîtrise à l’hôpital Sainte-Justine. Par la suite, j’ai complété en 2014 un doctorat en épidémiologie à l’Université McGill en raison de mon intérêt envers la recherche sur les déterminants de la santé cardiométabolique chez le jeune présentant une obésité et/ou un diabète de type 1 ou de type 2.
Audrey St-Laurent : Est-ce que vous diriez que l’insuline a joué un rôle particulier dans votre parcours?
Mélanie Henderson : En fait, l’insuline se trouve au cœur de ma pratique, ayant un rôle primordial auprès des jeunes avec diabète de type 1, mais également avec ceux qui vivent avec le diabète de type 2. Les enfants que je soigne vivent avec le diabète de type 1 et l’insuline leur est essentielle. Pour tout dire, nous sommes de grands amis, l’insuline et moi. [Rires].
Audrey St-Laurent : Pouvez-vous me parler justement de votre première rencontre avec l’insuline?
Mélanie Henderson : J’ai assez de cheveux blancs pour te témoigner que son usage a grandement changé avec le temps. [Rires]. En début de carrière, j’utilisais des insulines d’action intermédiaire, comme l'insuline NPH. Bien qu’intéressantes, elles sont plus ou moins bien absorbées d’une journée à l’autre chez la même personne. « On a mangé la même chose, fait les mêmes activités ; or nos glycémies sont différentes », me rapportaient mes patients. En plus, ce type d’insuline est contraignante, car elle n’offre que 12 heures d’action. L’adolescent qui « s’administre » à 21 heures ne peut pas dormir jusqu’à 11 heures le samedi matin. S’il dépasse le seuil de 12 heures, ses glycémies s’élèveront.
Quelques années plus tard, nous avons commencé à utiliser les insulines ultrarapides comme l’Humalog et la NovoRapid. Ces dernières ont complètement changé la pratique clinique et les soins administrés aux patientes et aux patients. En effet, leur fonctionnement se rapproche grandement de la physiologie humaine normale en termes de sécrétion et d’utilisation de l’insuline lors de l’ingestion d’aliments. Elles permettent une plus grande stabilité dans leur absorption et une plus grande flexibilité au niveau de l’horaire. Par la suite, des insulines à très longue action, telle Basaglar, ont été développées, permettant une meilleure stabilité des glycémies et moins d’hypoglycémies. Ces importantes découvertes ont changé la façon dont les personnes atteintes de diabète vivent au quotidien.
En plus des nouveautés pharmacologiques précédemment mentionnées, d’énormes améliorations en termes de technologies ont vu le jour, dont les pompes à insuline. Pour te donner une idée, plus de la moitié de nos patientes et patients sont maintenant traités avec une pompe à insuline. Très flexible, cette technologie est en constante évolution. Les pompes dites semi-intelligentes, par exemple, se lient aux capteurs de glycémies en continu. Par le biais d’un algorithme, elle module la sécrétion d’insuline selon ce taux. C’est incroyable!
Aussi, le glucagon intranasal a récemment été développé. C’est une molécule qu’on administre quand un patient ou une patiente a une hypoglycémie sévère avec perte de connaissance ou avec des convulsions. La formulation antérieurement disponible nécessitait beaucoup de manipulations afin d’avoir la molécule sous forme injectable, ce qui est très stressant dans un contexte d’anxiété pour traiter une personne inconsciente ou qui convulse. Aujourd’hui, il est possible d’utiliser un petit bidule et vaporiser en intranasal – beaucoup plus simple pour les familles!
Bref, toutes ces avancées auxquelles j’ai été témoin dans les 15-20 dernières années sont majeures et enlève un peu du fardeau physique et mental pour le ou la patiente diabétique, tout en améliorant leur contrôle métabolique.
J’ai assez de cheveux blancs pour te témoigner que [l']usage [de l'insuline] a grandement changé avec le temps. [...] toutes ces avancées auxquelles j’ai été témoin dans les 15-20 dernières années sont majeures et enlève un peu du fardeau physique et mental pour le ou la patiente diabétique, tout en améliorant leur contrôle métabolique.
Audrey St-Laurent : Pouvez-vous me parler davantage de ce fardeau psychologique?
Mélanie Henderson : Bien sûr. Il y a énormément de détresse psychologique face à la gestion du diabète. Les personnes atteintes peuvent facilement s’épuiser dans la gestion de leur maladie au quotidien. Par exemple, chaque fois que la personne se nourrit ou fait du sport, elle doit penser à sa glycémie. Chaque fois qu’elle va au restaurant, elle doit estimer les grammes de sucre derrière les offres du menu. Si elle est malade, sa glycémie peut fluctuer grandement. Cela peut être très lourd, particulièrement pour les jeunes et leur famille.
Audrey St-Laurent : J’imagine que ce fardeau peut devenir un défi également pour tout le personnel des écoles primaires et secondaires qui doit également contribuer à la gestion du diabète à l’aide de l’insuline auprès des élèves.
Mélanie Henderson : Absolument. En consultation, nous recevons même des enfants atteints de diabète de type 1 âgés de moins de 4 ans. Donc cela peut être aussi un défi pour les personnes intervenantes en garderie.
Audrey St-Laurent : Selon vous, quels sont les besoins en matière de recherche et de développement du diabète?
Mélanie Henderson : Cette maladie est une problématique d'autant plus préoccupante que, particulièrement en pédiatrie, le diabète de type 2 est en émergence notamment en raison de l’épidémie d’obésité pédiatrique. Or, il a très peu d’études menées auprès des enfants qui évaluent l’utilisation de molécules prises par la bouche (p. ex., hypoglycémiants oraux) qui aiderait fortement l’entourage des individus atteints dans la gestion de la maladie.
Même si on réalise des progrès dans l’avancement des connaissances et l’application de celles-ci, l’insuline n’est pas aisément disponible pour tout le monde. Malgré notre système de santé universel, nos études démontrent que les jeunes canadiens et canadiennes qui vivent dans des milieux plus défavorisés ont un moins bon contrôle métabolique, c’est-à-dire que les glycémies demeurent suboptimales de façon chronique. Selon moi, l’équité, l’accessibilité aux technologies puis aux insulines de pointe, c’est déterminant pour que tous aient accès à des soins optimaux.
Cette maladie est une problématique d'autant plus préoccupante que, particulièrement en pédiatrie, le diabète de type 2 est en émergence notamment en raison de l’épidémie d’obésité pédiatrique. [...] Même si on réalise des progrès dans l’avancement des connaissances et l’application de celles-ci, l’insuline n’est pas aisément disponible pour tout le monde. Malgré notre système de santé universel, nos études démontrent que les jeunes canadiens et canadiennes qui vivent dans des milieux plus défavorisés ont un moins bon contrôle métabolique, c’est-à-dire que les glycémies demeurent suboptimales de façon chronique.
Audrey St-Laurent : Pouvez-vous élaborer sur ces technologies spécifiques à l’insuline et sur les facteurs qui favorisent ou défavorisent l’atteinte à ces soins optimaux?
Mélanie Henderson : Les facteurs sont nombreux! L’accès aux technologies en est un. Pensons bien sûr aux capteurs de glycémie en continu dont j’ai fait mention et qui permettent de maintenir l’homéostasie glucidique. Cette technologie informe les jeunes, en activant des alarmes qui les informent d’une glycémie se situant à l’extérieur des valeurs recommandées, afin d’agir pour normaliser le taux. Aussi, ces technologies représentent une richesse d’information sur les glycémies du patient pour le médecin traitant lors des suivis. Certains de ces capteurs sont actuellement couverts par le service public pour les jeunes qui ont un diabète de type 1.
Toutefois, en pratique clinique, nous recevons beaucoup de patients souffrant de diabète de type 2 qui doivent utiliser de l’insuline plusieurs fois par jour tout en ne possédant aucune couverture du gouvernement. Dans ces cas, un fardeau économique s’ajoute à celui de se piquer le bout du doigt plusieurs fois par jour pour le suivi du traitement.
Je crois aussi qu’il est nécessaire de réfléchir ensemble à des stratégies très concrètes pour aider les jeunes atteints de diabète de type 2, notamment dans les milieux défavorisés, car ils ont moins accès aux soins et aux technologies qui pourraient améliorer significativement leur qualité de vie.
L’accessibilité à l’insuline est également un enjeu majeur sur la scène internationale. Il y a des régions dans le monde où l'insuline n'est toujours pas accessible, et où des jeunes meurent de leur diabète bien que ceci puisse être prévenu. C’est une problématique qui ne devrait pas exister en l’an 2021.
Dans la même optique, aux États-Unis, des patients rationnent leur insuline par manque de moyens, malgré les effets délétères sur leur santé.
J’ose croire qu’un jour on arrivera à rendre accessible l’insuline, et ce pour tous les individus dans le besoin partout dans le monde.
L’accessibilité à l’insuline est également un enjeu majeur sur la scène internationale. Il y a des régions dans le monde où l'insuline n'est toujours pas accessible, et où des jeunes meurent de leur diabète bien que ceci puisse être prévenu. C’est une problématique qui ne devrait pas exister en l’an 2021.
Audrey St-Laurent : Qu’est-ce qui pourrait vous donner espoir?
Mélanie Henderson : Il existe des organismes tels que l’International Society for Pediatric and Adolescent Diabetes (ISPAD) et A Life for a Child qui œuvrent dans ce sens. Ces organismes travaillent de concert avec les compagnies pharmaceutiques. Grâce à ces types d’organismes, nous avons la capacité de faire en sorte que chaque enfant ait accès à de l’insuline. Il ne reste qu’à mettre en branle ces stratégies et ces infrastructures-là.
Audrey St-Laurent : C’est encourageant! Dans le même ordre d’idées, avez-vous en tête une anecdote ou un fait marquant en lien avec l’insuline qui est survenu au cours de votre carrière?
Mélanie Henderson : À bien y penser, oui! Il s’agit de l’histoire de ma première famille qui a transigé vers une pompe à insuline automatisée en 2016. La première de ce type, la Medtronic 670G, venait d’être homologuée au Canada.
Rappelons ici que selon les données probantes, 85 % des jeunes atteints de diabète ne sentent pas leurs hypoglycémies durant la nuit. En pratique clinique, je dirais que ce pourcentage est même plus élevé puisque la vaste majorité de mes patients ne se réveillent pas, même avec les alarmes de leurs capteurs de glycémies en continu, donc c’est souvent les parents qui surveillent.
J’ai donc rencontré la maman et la petite un mois après que la fillette atteinte de diabète de type 1, ait commencé son traitement avec une pompe automatisée. « Comment vivez-vous ça? » demandai-je. Je n’oublierai jamais ce que la mère de la petite m’a répondu : « On dort la nuit, enfin. » Ça m’a beaucoup touchée et surprise, car la mère n’avait jamais mentionné qu'elle et son conjoint se levaient toutes les nuits de multiples fois pour s’assurer que leur petite ne fasse pas d’hypoglycémies.
Malheureusement, aujourd’hui encore beaucoup trop de parents se lèvent une, deux, trois fois dans la nuit, pour s’assurer que la glycémie de leur enfant se situe dans un intervalle acceptable. Heureusement, je peux te confirmer que plusieurs années après la transition, toute la famille de l’histoire dorment encore leurs nuits!
Audrey St-Laurent : J’en ai des frissons. Merci beaucoup de m'avoir raconté cette touchante histoire.
Mélanie Henderson : Ça m’a marqué, je t’avoue. Cette expérience m’a conscientisé, en tant que médecin, à toujours être à l’affût de ce que mes patients et patientes vivent, mais aussi le vécu de leurs parents, et de ne pas hésiter à poser des questions à ce sujet.
Audrey St-Laurent : C’est un beau message. En terminant, est-ce qu’il y aurait un dernier message clé que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent de notre entretien?
Mélanie Henderson : Un des principaux éléments à retenir est que cette découverte de l’insuline il y a 100 ans a transformé la vie de tellement de gens. On améliore constamment les différentes molécules d’insuline, notre compréhension de celles-ci et la façon dont on les utilise. C’est génial, puisque ces innovations liées de près ou de loin à l’insuline ont favorisé considérablement la santé et la qualité de vie au quotidien d’un grand nombre d’individus, et ce à travers le monde.
Un des principaux éléments à retenir est que cette découverte de l’insuline il y a 100 ans a transformé la vie de tellement de gens. On améliore constamment les différentes molécules d’insuline, notre compréhension de celles-ci et la façon dont on les utilise. C’est génial, puisque ces innovations liées de près ou de loin à l’insuline ont favorisé considérablement la santé et la qualité de vie au quotidien d’un grand nombre d’individus, et ce à travers le monde.
Audrey St-Laurent : Je vous remercie énormément pour cet entretien, pour vos réflexions et pour ce beau partage de vos expériences.
Mélanie Henderson : Ce fut un plaisir partagé !
- Mélanie Henderson
CHU Sainte-Justine et Université de Montréal
Dr Mélanie Henderson est pédiatre endocrinologue et chercheure au CHU Sainte-Justine et professeure agrégée de clinique au département de pédiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ses intérêts de recherche portent principalement sur la santé cardiométabolique pédiatrique et son épidémiologie. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’influence des habitudes de vie (activité physique, sédentarité, alimentation, sommeil) sur la santé métabolique dans diverses populations, incluant les enfants en santé, ainsi que ceux vivant avec le diabète de type 1 et de type 2, dans le but d’identifier les meilleures stratégies de prévention. Elle est co-directrice du Centre CIRCUIT du CHU Sainte-Justine (Centre pédiatrique d'intervention en prévention et en réadaptation cardiovasculaires), qui propose des stratégies novatrices de traitement ou de prévention des maladies cardiovasculaires chez l’enfant.
- Audrey St-Laurent
Université Laval
Kinésiologue de formation à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR, 2014-2017), Audrey St-Laurent s’est spécialisée en activité physique prénatale lors d’une maîtrise en sciences de l’activité physique (UQTR, 2017-2019). En quête de nouveaux défis et guidée par sa passion pour la recherche et les saines habitudes de vie, elle a débuté un doctorat en nutrition en 2020 à l’Université Laval. Elle est dirigée par Dre Anne-Sophie Morisset et codirigée par Dre Stephanie-May Ruchat. L’objectif général de sa thèse est d’examiner les changements dans l’alimentation et la pratique de l’activité physique des femmes planifiant une grossesse en contexte ou non d’obésité et d’infertilité en plus de suivre ces changements durant la grossesse. Il lui sera possible de répondre à cet objectif à l’aide de données tirées d’une étude d’intervention pragmatique et interdisciplinaire (Ferti-Santé) ainsi que par la réalisation d’une étude de cohorte prospective (ANGE-Contrôle-Enceinte). Cette dernière lui permettra également d’examiner 1) les changements dans la qualité de l’alimentation, la prise de suppléments et les préoccupations corporelles des femmes et 2) les facteurs associés à l’atteinte ou non des recommandations en matière de nutrition et d’activité physique de la préconception à la fin de la grossesse.
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