L’obésité est un problème connaissant une inquiétante croissance, sa prévalence ayant presque triplé depuis 1975 et ce, mondialement. Aujourd’hui, on compte 650 millions d’adultes obèses et 340 millions d’enfants et d’adolescents en surpoids ou obèses, selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Le Canada n’échappe pas à cette tendance puisque le taux de croissance de cette maladie chronique est passé de 5.6% en 1985 à 20.2% en 2014 [1]. Mais est-ce réellement une maladie? Cette question est importante puisque de considérer l’obésité comme telle permettrait d’améliorer les connaissances sur le sujet, de favoriser le développement de traitements, mais surtout d’agir en prévention. Ainsi, je tenterai de clarifier les enjeux, qui sont au cœur de plusieurs débats et controverses depuis maintenant quelques décennies.
Les critères diagnostiques de l’obésité
L’obésité a initialement été évaluée, en 1972 par Ancel Keys et des collaborateurs, en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC). L’IMC est calculé en fonction du poids en kilogrammes et de la taille en mètres [2]. Au Canada, le point de rupture pour entrer dans la catégorie « obèse » est de 30 kg/m2.
Une nouvelle définition a cependant été proposée par l’OMS en 2000, définissant l’obésité comme une « accumulation anormale ou excessive de graisse qui présente un risque pour la santé ». Ici, l’indicateur principal n’est plus l’IMC, mais la présence de conséquences néfastes sur l’état physiologique. De plus, un autre élément important à prendre en compte est la répartition et la localisation de la graisse corporelle. En effet, il a été démontré dans plusieurs études que le tissu adipeux sous-cutané, soit la graisse qui s’accumule sous la peau, est beaucoup moins dommageable que la graisse viscérale logée entre les organes vitaux, dans la cavité abdominale [3, 4]. Cette distinction explique, entre autres, pourquoi certaines personnes ayant des IMC élevés maintiennent une bonne santé, et d’autres non. Actuellement, la meilleure méthode clinique pour évaluer cette accumulation abdominale est tout simplement l’usage d’un bon vieux ruban avec lequel on mesure la circonférence de la taille [4].
Les critères d’une maladie
L’obésité répond aux trois caractéristiques essentielles d’une maladie, établies par l’American Medical Association (AMA). Tout d’abord, une maladie est caractérisée par des signes et des symptômes identifiables. Dans le présent cas, le poids et l’accumulation de graisse corporelle, mesurés par l’IMC ou la circonférence de taille, sont des signes physiques perceptibles.
Ensuite, une maladie implique un fonctionnement anormal d’un ou plusieurs systèmes du corps. Pour l’obésité, cette caractéristique inclut l’hypothalamus, cette dernière étant la partie du cerveau qui régule les apports alimentaires et les sensations de faim et satiété, qui, lorsque déréglé, devient un moteur pour l’apport alimentaire excessif. Les cellules adipeuses, soit les cellules de graisses, infiltrées de marqueurs inflammatoires pouvent affecter le bon fonctionnement de d’autres organes, présentent aussi un autre signe d’anomalie. Cette inflammation peut mener à une mauvaise gestion du taux de sucre dans le sang, à une augmentation de la pression artérielle et à l’élévation du cholestérol dans le sang; tous des précurseurs aux maladies cardiovasculaires ou autres problèmes de santé.
Enfin, une maladie affecte négativement la santé générale ou occasionne un risque de mortalité accru. Évidemment, l’obésité satisfait ce critère puisqu’elle conduit à plusieurs problèmes tant au niveau métabolique que physique. De plus, un excès de masse adipeuse est associé à une qualité de vie et une espérance de vie diminuées.
Une maladie « chronique »
Une maladie est dite chronique quand elle engendre un mauvais fonctionnement de l’organisme, quand elle n’est pas contagieuse et quand elle se développe lentement. Elle peut limiter les activités de la vie quotidienne sur une longue durée, elle ne peut que rarement se guérir, mais, dans la plupart des cas, elle peut être évitée (OMS).
Considérant cette définition, l’obésité peut être définit comme une maladie chronique. Il est maintenant bien connu qu’elle affecte le bon fonctionnement du corps, en augmentant plusieurs facteurs de risques prédisposant principalement au diabète et aux maladies cardiovasculaires, tels que la résistance à l’insuline, l’hyperglycémie, l’hypertension, un excès de triglycérides sanguin et un faible taux de cholestérol HDL (le « bon » cholestérol). L’obésité affecte également la santé dans son ensemble, qui se définit comme un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité [5-7].
En plus des critères de l’AMA, on pourrait ajouter que cette condition engendre des changements dans l’organisme qui persistent à long terme, une autre caractéristique de la dimension chronique. En effet, ces changements rendent la perte de poids encore plus difficile, puisqu’une fois l’excès établi, peu importe, la stratégie utilisée, le corps tend à revenir au poids antérieur [8]. Dans le même ordre d’idées, lorsque la condition est avancée, la réponse aux changements d’habitudes de vie est plus limitée et le taux de récidive, important. Ceci étant dit, vous pensez probablement aux différentes possibilités de traitements qui existent, tels certains médicaments ou même la chirurgie bariatrique, une chirurgie permettant la restructuration du système digestif. Cependant, lorsque le traitement est interrompu, le poids se remet à augmenter et l’obésité revient. Enfin, un dernier argument, assez puissant, et qui a déjà été évoqué, est l’association positive entre obésité et risque de mortalité [9]. En effet, plus le surpoids est important, plus les individus sont à risque de développer d’autres problèmes de santé, plus la qualité de vie diminue, et plus l’espérance de vie se réduit également.
Les ambigüités du débat
Ceux qui hésitent à faire de l’obésité une maladie soulèvent, entre autres, ses causes multiples et le fait qu’elle soit un facteur de risque pour d’autres maladies. Par contre, le diabète de type 2, maladie chronique bien connue, est aussi multifactoriel et propice au développement d’autres problèmes de santé. Le diabète de type 2 dépend notamment de la génétique, de la composition corporelle, de l’alimentation, du niveau d’activité physique, etc. Il est aussi un facteur de risque pour l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, les maladies rénales et hépatiques.
Un autre argument « de l’opposition » est que certaines personnes peuvent être obèses et en bonne santé. C’est vrai, d’où l’importance d’utiliser la bonne méthode de mesure d’évaluation. Si on se fie simplement à l’IMC, il est certain que des individus avec un IMC supérieur à 30 kg/m2 n’auront pas nécessairement de problèmes de santé associés, mais revenons sur cette définition : une « accumulation anormale ou excessive de graisse qui présente un risque pour la santé ». En ce sens, une personne avec un IMC élevé, mais n’ayant pas de conséquence sur sa santé ne serait pas considérée obèse. Autrement dit, on ne peut pas utiliser une valeur critique de l’IMC puisque le diagnostic dépend des conséquences sur la santé.
Les grandes sociétés d’experts en santé ont aussi, depuis les années 1970, pris part à ce débat [10]. La première publication, parue en 1977 par la Health Care Financing Administration affirmait que l’obésité n’était pas une maladie chronique. Puis, il a fallu plus de vingt ans pour que le National Institute of Health expose des lignes directrices concernant l’identification, l’évaluation et le traitement, et présente l’obésité comme une maladie chronique multifactorielle et complexe, en 1998. Par la suite, en 2002, la Japanese Association for the Study of Obesity divulgue ses critères l’exposant comme une maladie. Six ans plus tard, en 2008, l’Obesity Society publie à son tour un article présentant évidences et arguments allant dans le même sens. Une même position sera prise par l’American Association of Clinical Endocrinologist, et finalement, en 2013, ce sera le tour de l’American Medical Association (AMA). Ces déclarations seront suivies par l’appui d’un important nombre d’associations professionnelles, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Comment prendre en charge l’obésité?
Malheureusement, bien que les grandes sociétés d’experts en santé aient adopté un nouveau concept, les pratiques cliniques n’ont pas encore été adaptées. Pourtant, plusieurs modifications des pratiques seraient profitables, et permettraient également d’agir en prévention. En effet, en traitant l’obésité comme une maladie, l’éducation reliée à celle-ci devrait augmenter, ce qui aiderait à modifier l’opinion des professionnels de la santé qui côtoient quotidiennement ces patients, mais qui omettent de s’attarder directement à ce problème. En outre, les efforts mis par chacun de nous pour prévenir l’apparition de la maladie augmenteraient aussi, permettant peut-être de diminuer sa prévalence dans notre société. De plus, cette condition qui amène présentement beaucoup de stigmatisation et de discrimination pourrait être mieux comprise et amener plus d’empathie et de compréhension.
Il est évident qu’un temps d’adaptation sera nécessaire pour changer les pratiques et s’adapter aux nouvelles lignes directrices, mais nous nous devons de changer nos opinions et nos pratiques puisque l’obésité est devenue une pandémie à l’échelle de la planète.
Références :
- Katzmarzyk, P.T., "The Canadian obesity epidemic, 1985–1998". CMAJ: Canadian Medical Association Journal, 2002. 166(8): p. 1039-1040.
- Keys, A., et al., "Indices of relative weight and obesity". J Chronic Dis, 1972. 25(6): p. 329-43.
- Neeland, I.J., et al.," Body fat distribution and incident cardiovascular disease in obese adults". J Am Coll Cardiol, 2015. 65(19): p. 2150-1.
- Tchernof, A. and J.P. Despres, "Pathophysiology of human visceral obesity: an update". Physiol Rev, 2013. 93(1): p. 359-404.
- Avila, C., et al., "An Overview of Links Between Obesity and Mental Health". Curr Obes Rep, 2015. 4(3): p. 303-10.
- Forhan, M. and S.V. Gill, "Obesity, functional mobility and quality of life". Best Pract Res Clin Endocrinol Metab, 2013. 27(2): p. 129-37.
- Guh, D.P., et al., "The incidence of co-morbidities related to obesity and overweight: a systematic review and meta-analysis". BMC Public Health, 2009. 9: p. 88.
- Fothergill, E., et al., "Persistent metabolic adaptation 6 years after The Biggest Loser competition". Obesity (Silver Spring), 2016. 24(8): p. 1612-9.
- Ponce-Garcia, I., et al., "Prognostic value of obesity on both overall mortality and cardiovascular disease in the general population". PLoS One, 2015. 10(5): p. e0127369.
- Bray, G.A., K.K. Kim, and J.P.H. Wilding, "Obesity: a chronic relapsing progressive disease process. A position statement of the World Obesity Federation". Obes Rev, 2017. 18(7): p. 715-723.
- Anne-Frédérique Turcotte
Université Laval
Anne-Frédérique Turcotte est candidate à la maîtrise en sciences cliniques et biomédicales à l’Université Laval. Après avoir complété un baccalauréat en kinésiologie, elle s’intéresse maintenant à la recherche en santé. Ses intérêts portent principalement sur l’obésité et ses conséquences, le diabète et la santé osseuse. Elle réalise présentement un projet examinant les effets de la chirurgie bariatrique sur la santé osseuse des patients ayant un diabète de type 2.
Vous aimez cet article?
Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.
Devenir membreCommentaires
Articles suggérés
-
Un nouveau regard sur la guerre de Sept Ans : les travaux de Jacinthe De Montigny -
Entre droit occidental et droit autochtone : l’étude de la représentation politique de Fannie Duverger -
Sondage - La responsabilité sociale de la communauté de la recherche : la perception des chercheuses et des chercheurs
Infolettre