La méthode historique que François-Xavier Garneau pratique, alliant « science analytique rigoureuse » et souffle dramatique, révèle une vraie modernité. Inspiré par le romantisme, courant sociopolitique et culturel qui empreigne tout le XIXe siècle, Garneau est au diapason des écrivains européens qu’il admire : Byron, Hugo, Lamartine, Michelet.
C’est en réponse à Lord Durham, qui dans son fameux Rapport de 1839 avait décrit la nation canadienne comme dépourvue d’histoire et de littérature, que Garneau fait paraître, entre 1845 et 1852, son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours1.
L’ouvrage en 4 volumes offre une perspective radicalement différente de celle des histoires publiées jusqu’alors, relatant les événements du seul point de vue des vainqueurs britanniques (Robert Christie, William Smith) ou dressant le portrait d’un peuple fragile soumis à la providence (Michel Bibaud). S’il divise son travail en deux phases distinctes, la « domination française » (1603-1774) et la « domination anglaise » (1775-1840), Garneau y voit une lutte continue pour la survie nationale, d’abord menée contre les « Sauvages » et la Nouvelle-Angleterre, puis contre l’oligarchie et la bureaucratie anglaises.
À travers ce récit, l’historien cherche à mettre en valeur l’héroïsme et la résilience des Canadiens. Lorsqu’il aborde la politique française de peuplement, c’est pour vanter le mérite de ces derniers face à une situation coloniale plus que précaire. Quand il se penche sur la guerre de Sept ans (1756-1763), son attention se porte sur les causes qui ont affaibli la partie française : troupes peu nombreuses, approvisionnement insuffisant, armement désuet. L’historien passe rapidement sur la capitulation de Québec pour s’attarder à la victoire de Sainte-Foy afin de démontrer que le Canada a bien été cédé à l’Angleterre et non vaincu. Racontant les Rébellions de 1837-1838, il table encore sur le dénuement des Canadiens face à la plus puissante armée du monde. Il paraît même minimiser les pertes anglaises en affirmant que les loyalistes « perdirent seulement trois hommes », alors que les scènes canadiennes sont présentées comme un « carnage », un « massacre », des « ruines », imagerie gothique dont il use également à titre de poète depuis 1831.
Tout autant que le point de vue privilégié par Garneau, la méthode historique qu’il pratique, alliant « science analytique rigoureuse » et souffle dramatique, révèle une vraie modernité. Inspiré par le romantisme, courant sociopolitique et culturel qui empreigne tout le XIXe siècle, Garneau est au diapason des écrivains européens qu’il admire. La relation de son Voyage en Angleterre et en France, dans les années 1831, 1832 et 1833 montre d’ailleurs à quel point l’influence des Byron, Hugo et Lamartine est capitale sur sa carrière de littérateur. Déjà célèbre pour son Histoire de France, Jules Michelet représente pour Garneau le modèle ultime, tel qu’en témoignent les accointances entre leurs œuvres. Comme Augustin Thierry, autre historien français qui promeut les idées libérales du temps, Garneau croit au principe de la destinée des peuples. Obligé de « lutter sans cesse, tantôt contre les barbares qui couvrent l’Amérique, tantôt contre une autre race jetée en plus grand nombre que lui dans ce continent », le peuple du Canada aurait développé une sorte de gène de la résistance, à l’instar d’autres nations opprimées comme la Pologne, l’Écosse ou l’Irlande. L’œuvre de Garneau met en place une généalogie de martyrs et de héros canadiens, offrant aux siens leur première grande épopée nationale. Celle-ci donne, avec le Répertoire national compilé par James Huston en 1848, une nouvelle impulsion à la culture canadienne qui, à la suite de l’Union, semblait condamnée à disparaître. Elle joue ainsi un rôle fondateur tant dans la formation de la discipline historique au pays que dans l’affirmation du champ littéraire.
Depuis sa parution jusqu’à aujourd’hui, l’Histoire du Canada de Garneau a connu plusieurs rééditions, dues entre autres à son fils Alfred et à son petit-fils Hector, et elle constitue une des pierres d’assise de notre patrimoine écrit.
L’œuvre de Garneau joue un rôle fondateur tant dans la formation de la discipline historique au pays que dans l’affirmation du champ littéraire.
- 1François-Xavier GARNEAU, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, Québec, N. Aubin/ Fréchette et Frères/ John Lovell, 1845-1852, 4 vols.
- Marie-Frédérique Desbiens
Fonds de recherche du Québec – Société et culture
Marie-Frédérique Desbiens est titulaire d’un doctorat en littérature. Elle a publié plusieurs articles sur le XIXe siècle québécois et son ouvrage Le romantisme au Canada. Entre engagement littéraire et politique paraîtra en 2018. Elle est actuellement responsable de programmes au Fonds de recherche du Québec – Société et culture.
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