"On n'est jamais long quand on dit exactement tout ce qu'on a voulu dire"
Journal 1822-1863, Eugène Delacroix, 1893, p. 210.
Analyse de 86,000 mémoires et thèses
Il semble que les étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs du Québec aient appliqué cette maxime du grand peintre romantique, car la longueur des thèses et mémoires publiées dans les universités québécoises a tendance à diminuer depuis quelques années. Voilà la principale constatation d'un mise à jour de l'analyse des thèses et mémoires publiée dans le Magazine de l'Acfas en novembre 2016, il y a près de cinq ans, sous le titre Combien de pages pour une maîtrise ou un doctorat?
Le tableau 1 montre que la longueur moyenne des thèses de doctorat incluses dans cette plus récente analyse a diminué de 2,3% et que celle des mémoires de maîtrise a diminué de 4,4%. Dans les deux cas, la médiane a aussi été réduite d'à peu près autant.
Il faut dire qu'il y a quelques différences entre les deux analyses. Celle qui a été publiée en 2016 couvrait une période plus grande (1990-2016), alors que celle que nous publions en 2021 ne couvre que les 21 dernières années (2000-2020). Mais cette fois, un plus grand nombre d'institutions universitaires sont incluses : 17, contre 13 en 2016, ce qui est la presque totalité des universités du Québec (seule Bishop's est exclue, car elle ne compte aucun mémoire ni thèse dans son répertoire institutionnel).
Enfin, l'analyse publiée aujourd'hui compte un bien plus grand nombre de documents qu'il y a cinq ans: 86 796 contre 55 583, une augmentation de 56% qui donne un portrait plus fidèle de la production scientifique des étudiantes et étudiants des cycles supérieurs jusqu'à maintenant au XXIe siècle.
Que nous racontent ces données?
Je vais montrer la figure 1 à mes étudiantes et étudiants à la maîtrise pour les inviter à y aller mollo sur le clavier, en leur disant que ce n'est pas grave si leur mémoire fait moins de 100 pages. Bon an, mal an, plus de 900 maîtrises de moins de 100 pages sont publiées au Québec! Reste que la majorité des mémoires de maîtrise ont entre 100 et 130 pages. Les thèses de doctorat, de leur côté, oscillent généralement entre 150 et 225 pages.
La palme de la concision à la maîtrise se partage, ex-æquo, entre Katharina Nikolitch et Jim van der Valk Bouman dont les mémoires, respectivement publiés en 2017 et 2020, font 19 pages chacun. La première est une maîtrise en psychiatrie à l'Université McGill intitulée Adherence to follow-up in first-episode psychosis: ethnicity factors and case manager perceptions. La seconde est une maîtrise en mathématiques à l'Université Concordia intitulée The local covering problem: producing and certifying local coverings.
Au 3e cycle, c'est la thèse de doctorat en interprétation déposé par Frédéric Lambert en 2010 à l'Université McGill qui est la plus courte du corpus recueilli. Intitulée L’influence de la viole d’amour sur le développement de l’alto moderne tel que proposé par Paul Hindemith. Elle compte 31 pages.
À l'autre extrémité, le mémoire de maîtrise le plus long fait 722 pages : Les figurines phéniciennes à l'époque perse (539-331 av. J.-C.) : réceptivité et affirmation identitaire au sein des cités-États phéniciennes. Il s'agit de la maîtrise en archéologie que Sarah Lambert a complété en 2014 à l'Université Laval. Il faut cependant dire qu'elle comprend un catalogue de près de 250 pages et 200 pages supplémentaires de planches de photos et de croquis de figurines.
Et le doctorat le plus long s'intitule Ersilias: form, movement and multiplicity in the composition of place. Déposé en 2013 par Stephen Allan Rogers dans le cadre de son doctorat en musique à l'Université McGill, il compte pas moins de 1926 pages!
Les figures 2 et 3 font le portrait par université de la distribution des mémoires et thèses en fonction du nombre de pages qu'elles contiennent. Mais attention aux généralisations.
On pourrait croire, quand on examine la figure 2, que les universités anglophones réussissent à limiter le nombre de pages que pondent leurs étudiantes et les étudiants aux cycles supérieurs. C'est peut-être le cas à la maitrise, mais pas au doctorat. C'est à McGill que l'on retrouve le plus grand nombre de thèses de plus de 1000 pages (6 sur les 19 que comptent les données).
On pourrait aussi avoir l'impression, avec la figure 3, que les institutions plus techniques, l'École de technologie supérieure (ÉTS) et Polytechnique Montréal, sont les championnes de la concision. Si c'est vrai au doctorat, avec des médianes inférieures à 200 pages dans les deux cas, cela l'est moins à la maîtrise où l'ÉTS produit même des mémoires qui ont tendance à être parmi les plus longs.
Les figures 4 et 5 montrent la distribution, pour 69 grandes disciplines, du nombre de pages des mémoires et des thèses qui leur sont consacrées. Ici, les deux figures donnent un portrait qui se ressemble. En dépit de quelques exceptions, la concision semble être l'apanage des sciences plutôt dures que sont les maths ou le génie, alors que les disciplines des sciences humaines et sociales ont le verbe plus facile. Il faut dire aussi qu'elles ont affaire, comme le disaient Bourdieu et ses collègues, à des objets qui parlent. Et puis, il y a des exceptions, comme les mémoires de maîtrise en génie civil dont la médiane du nombre de pages est identique à celle des mémoires en histoire.
Il faudrait éviter de voir, dans cet exercice, un jugement selon lequel brièveté serait synonyme de qualité. Il faut savoir que si plusieurs documents sont si longs, c'est souvent parce qu'ils sont accompagnés d'annexes volumineuses. En revanche, si d'autres sont si courts, c'est que l'essentiel du travail réalisé par l'étudiant-e ne tient pas dans un document en PDF, mais dans un CD, un DVD, une œuvre visuelle ou musicale, etc. Bref, cette analyse ne vise qu'à répondre à la question, angoissante, mais toute simple, que plusieurs étudiant-e-s se posent avant d'entamer la rédaction de leur mémoire ou de leur thèse : combien de pages ont écrit celles et ceux qui m'ont précédé-e?»
Il faudrait éviter de voir, dans cet exercice, un jugement selon lequel brièveté serait synonyme de qualité. Il faut savoir que si plusieurs documents sont si longs, c'est souvent parce qu'ils sont accompagnés d'annexes volumineuses. En revanche, si d'autres sont si courts, c'est que l'essentiel du travail réalisé par l'étudiant-e ne tient pas dans un document en PDF, mais dans un CD, un DVD, une œuvre visuelle ou musicale, etc.
Remarques méthodologiques
Pour réaliser cette mise à jour, j'ai consulté les répertoires institutionnels de toutes les universités québécoises. Onze d'entre elles proposent de télécharger un fichier de métadonnées de leurs thèses et mémoires (en format CSV ou JSON, notamment). Dans ces cas, le travail était relativement facile, bien que le nombre de pages n'était pas toujours disponible, comme pour l'Université Concordia, Polytechnique Montréal et l'UQAM. Dans ces cas, j'ai écrit des scripts qui téléchargeaient le fichier PDF de la thèse ou du mémoire et en comptaient automatiquement le nombre de pages.
Quand le répertoire institutionnel ne me facilitait pas la vie, j'ai eu recours à la section thèses et mémoires du moteur de recherche scientifique Érudit (https://www.erudit.org/fr/theses/). Pour les universités McGill, de Montréal, de Sherbrooke et Laval, j'ai écrit des scripts qui consultaient toutes les pages d'Érudit pour chacune de ces universités et pour les années 2000 à 2020. Mes scripts se contentaient ensuite de suivre les liens vers les répertoires institutionnels de ces quatre universités, puis de moissonner le maximum de métadonnées disponibles, sinon de télécharger les fichiers PDF pour en compter le nombre de pages.
Restait deux universités où j'ai dû procéder différemment en reproduisant localement le fichier HTML des résultats de recherche de leurs répertoires institutionnels afin de m'en servir comme point de départ pour effectuer un moissonnage de données. Dans le cas de l'UQAC, ce fut assez facile. Mais dans le cas de HEC Montréal, ce fut carrément infernal. Le répertoire Réflexion de HEC Montréal (https://reflexion.hec.ca/) a été programmé, dirait-on, spécialement pour empêcher la collecte automatisée de données. Il contient également très peu de métadonnées (le nom des auteurs des mémoires et thèses, notamment, n'est pas indiqué, ce qui entrave malheureusement le rayonnement des étudiantes et étudiants de cette institution).
Une fois l'ensemble des données recueillies, elles ont fait l'objet d'un nettoyage et d'une uniformisation. Je n'ai conservé que les documents:
- qui étaient publics (certaines thèses ou mémoires font l'objet d'une restriction d'accès);
- dont on pouvait avoir le nombre de pages ou dont le nombre de pages n'était pas zéro;
- dont on pouvait connaître l'année de dépôt;
- dont au moins une direction se trouvait dans une université québécoise.
Dans le cas de documents avec plusieurs auteurs, je n'en ai conservé qu'un seul. J'ai bien sûr éliminé les doublons. J'ai aussi retranché, dans la mesure où il était possible de les identifier, les essais de 3e cycle, qui ont tendance à être assez courts et qu'il est difficile de comparer à des thèses.
J'ai enfin tâché de corriger, au mieux, différentes erreurs contenues dans les métadonnées auxquelles les universités donnent accès. Par exemple, cette thèse de 35 pages n'en est pas une... C'est le protocole de recherche sur les animaux qui a été téléversé dans le répertoire institutionnel... J'ai donc dû la retrancher de ma base de données. Ailleurs, j'y ai trouvé des documents partiels comme ce doctorat en statistiques qui s'arrête après quelques pages de son chapitre 1. Ici, le site institutionnel nous dit que ce doctorat en communication tient en 41 pages... mais vérification faite, il s'agit de 421 pages! À l'inverse, ce mémoire affiché comme ayant 799 pages et 6 pages liminaires... n'en contient en fait que 85!
- Jean-Hugues Roy
Université du Québec à Montréal
Jean-Hugues Roy est professeur au programme de journalisme de l’École des médias de l’UQAM et membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie. Il a exercé́ la profession de journaliste pendant près de vingt-cinq ans. La science et la technologie ont été́ les deux thèmes principaux de sa carrière. Journaliste à la télévision de Radio-Canada de 1996 à 2011, il a travaillé́ dans la salle des nouvelles et à différentes émissions de vulgarisation scientifique et technique, comme Branché et Découverte.
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