"Cette entente est à l’évidence un gain pour le Québec, car cela signifie que la recherche qui "pense" le territoire sera beaucoup plus abondante, plus diversifiée, et que la formation d’une relève pourra se faire sans embuches. Le gain est qualitatif tout autant que quantitatif", Loubna Ghaouti.
Découvrir : Le 18 novembre 2015, on voyait circuler sur les fils de presse une bonne nouvelle pour le milieu de la recherche : la signature d’une entente portant sur une réelle accessibilité pour les chercheurs aux données géospatiales du gouvernement du Québec. Une entente entre le gouvernement et les universités québécoises, sous la coordination des bibliothèques universitaires du Québec au sein du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI).
Derrière cet accès longtemps souhaité par les chercheurs, il y a tout un travail de l’ombre, effectué par ce que j’aime appeler « les astrocytes du système du recherche », ces gens œuvrant avec et à côté des chercheurs, des gens essentiels au bon fonctionnement du système, et dont on parle peu. Les bibliothécaires. Vous, entre autres, Mesdames, qui, en tant que membres du sous-comité des bibliothèques du BCI, avez dans cette histoire parlé pour les chercheurs. Pouvez-vous nous raconter les coulisses de cette entente?
Guylaine Beaudry : Quand nous sommes entrées en fonction à titre de directrices de bibliothèques universitaires, Loubna et moi, il y a environ trois ans, nous avons constaté assez rapidement qu’un sérieux problème touchait l’accessibilité aux données géospatiales produites par le gouvernement du Québec.
Dans la quasi-totalité des provinces canadiennes et dans plusieurs États américains, l’accès à ces données était gratuit pour les chercheurs, soit parce qu’il s’agissait d’un accès libre, soit parce qu’une entente avec les universités rendait la chose possible à des coûts acceptables. Au Québec, le modèle tarifaire pour les universités était le même que celui utilisé pour les entreprises. Cela représentait pour les universités plusieurs centaines de milliers de dollars, avec des variations selon les spécialisations de chacune. Et ces achats étaient toujours largement en deçà des besoins réels de nos chercheurs.
"Le tournant, pour ma part, c’est quand un de nos chercheurs à Concordia s’est vu présenter une facture de 38 000 dollars pour accéder aux données géospatiales", Guylaine Beaudry
Le tournant, pour ma part, c’est quand un de nos chercheurs à Concordia s’est vu présenter une facture de 38 000 dollars pour accéder aux données géospatiales, frais qu’il devait payer à même ses propres fonds de recherche! Là, je me suis dit : « Voyons, ça n’a aucun bon sens ». J’ai alors commencé à poser des questions autour de moi, au bibliothécaire responsable des données, aux chercheurs de mon université, dont André Roy, spécialiste en géomorphologie fluviale.
Je me suis rendu compte de la complexité de la question et j’ai vu qu’effectivement, plus qu’une impression, il y avait un réel problème comportant au moins deux effets pervers : les chercheurs, et les étudiants en particulier, devaient modifier leurs questions de recherche par manque d’accessibilité aux données du territoire québécois. Ou encore, ils utilisaient des données concernant les territoires des États-Unis ou de l’Ontario en raison des coûts élevés des données du gouvernement du Québec.
J’ai alors beaucoup échangé avec mes collègues bibliothécaires, qui, comme moi, croyaient que nous devions et pouvions améliorer l’accès aux données géospatiales du territoire québécois. Nous avons ensuite cumulé des exemples de cas auprès des chercheurs. Les témoignages montraient clairement leur exaspération. Une sorte de ras-le-bol qui m’a impressionnée de la part des profs. Le professeur-chercheur, quand quelque chose ne marche pas, il s’ajuste, il ne commence pas à organiser des pétitions. Il va voter « avec ses pieds ». Il va trouver une autre façon, parce que son temps est trop précieux.
Nous avons donc décidé de créer un petit groupe et, avec les bons conseils de quelques personnes et organisations, dont l’Acfas, nous avons pu assez rapidement rencontrer les personnes responsables de la production et de la diffusion des données au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN).
Loubna Ghaouti : J’ajouterais qu’il y avait alignement des planètes, un de ces moments où toutes les parties, de bonne foi, saisissent les enjeux et, dans un esprit très pragmatique, passent en mode résolution. D’un côté, les directeurs des bibliothèques du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) se sont rapidement entendus sur une action concertée, et de l’autre, le gouvernement était prêt à écouter ce discours.
Collégialement, nous avons trouvé des solutions répondant à l’ensemble de la problématique. Nous nous sommes entendu sur ce principe d’accès libre pour les chercheurs, et sur le respect du droit d’auteur. Bref, un accès libre dans un cadre légal. L’initiative vient du sous-comité des bibliothèques du BCI, mais, une fois la réflexion engagée, le travail avec les fonctionnaires du Ministère a été très productif. Un beau travail de collaboration menant, c’est heureux de le dire, à des solutions satisfaisantes.
Guylaine Beaudry : De fait, Mario Perron, directeur général de la Direction générale de l’information géographique au MERN, avec son équipe, a été absolument formidable. Et ils sont allés plus loin que notre requête. Ils ont proposé de rencontrer pour nous les autres ministères qui produisent des données pour inclure dans l’entente tout ce qui pouvait l’être. Et ils l’ont fait. Ce sont eux aussi qui ont rédigé l’entente, en étroite collaboration, soulignons-le, avec Stéfano Biondo, bibliothécaire spécialisé en données géospatiales et documents cartographiques à l’Université Laval.
Loubna Ghaouti : Ils ont travaillé pour établir la liste des jeux de données, et leurs annexes. Le tout étant d’une grande complexité. Il y a de multiples formats, des enjeux d’échelle, des modes d’accès diversifiés. Tout un travail à réaliser en amont pour fournir l’accès. Ils y ont investi temps et énergie.
Découvrir : Est-ce que toutes les données géospatiales produites par le gouvernement du Québec font partie de cette entente?
Loubna Ghaouti : Je dirais au moins 90 % des données diffusées par Géoboutique Québec, diffuseur officiel de données géospatiales du gouvernement. Tout ce que le MERN produit avec d’autres ministères. On ne retrouve pas certaines données qui ne sont pas la propriété du Ministère ou qui sont encore très coûteuses à colliger. Ce sera peut-être matière pour une autre phase de discussion. Mais encore une fois, ce qui est exclu est très minime.
"J’aime rappeler toute l’importance des données géospatiales pour le milieu de la recherche, un terreau incroyable", Loubna Ghaouti
Découvrir : Les connaissances et les technologies étant en mode de croissance accélérée, j’imagine que ce type d’entente doit être revisité régulièrement.
Guylaine Beaudry : La présente entente est de deux ans. Une prochaine étape serait de continuer à discuter avec le gouvernement, de garder cette passerelle ouverte pour proposer une entente encore plus productive pour la recherche, plus optimale pour les chercheurs. Optimiser l’accès à ces données-là à travers une seule plateforme pour l’ensemble des bibliothèques, par exemple.
Loubna Ghaouti : J’aime rappeler toute l’importance des données géospatiales pour le milieu de la recherche, un terreau incroyable. Des données utilisées non seulement pour le génie ou les domaines forestiers et hydrauliques, mais par l’ensemble des disciplines. Je pense, entre autres, à l’administration pour la logistique des transports, à l’archéologie pour identifier des sites potentiels de fouille, à l’architecture pour analyser le patrimoine bâti, etc.
Et c’est à l’évidence un gain pour le Québec, cela signifiant que la recherche qui « pense » le territoire, dans tous ses aspects, sera beaucoup plus abondante, plus diversifiée, et que la formation d’une relève pourra se faire sans embûches. Le gain est qualitatif tout autant que quantitatif.
La plateforme Géoindex+
Stefano Biondo, Bibliothèque de l'Université Laval
Géoindex+ est une plateforme de découverte, de consultation et d’extraction de données géospatiales. Développée par la Bibliothèque de l’Université Laval et son Centre GéoStat, elle combine la recherche spatiale et textuelle en utilisant des technologies principalement libres telles JQuery, GeoNetwork, Apache SOLR, OpenLayers, MapServer, et PostgreSQL/PostGIS.
Géoindex+ offre une interface cartographique dynamique, conviviale et unique où se côtoient un fonds cartographique (cartes de base) et les résultats de la recherche. Elle permet à l’usager de découvrir aisément les couches de données géospatiales répondant à ses besoins. D’un simple clic sur une icône, il peut afficher et superposer différentes couches au-dessus de la carte de base. Un gradient de transparence ajuste l’opacité de la couche en consultation, facilitant ainsi la comparaison entre la ou les couches affichées et la carte de base. En effet, l’interface géographique de Géoindex+, avec la possibilité d’y superposer des couches de données, force l’usager à développer ses compétences spatiales, voire son intelligence géographique, et suscite une première démarche d’analyse. Au besoin, il peut facilement sélectionner une zone d’intérêt géographique et procéder à l’extraction des couches de données géospatiales préalablement sélectionnées.
Connaissant un vif succès, Géoindex+ est maintenant utilisée à l’UQAM et à l’Université de Montréal. Elle est également privilégiée pour héberger et diffuser plus de 40 produits de données géospatiales gouvernementales récemment obtenus lors d’une entente entre le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) et le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) afin de soutenir la recherche et l’enseignement.
Sur l'image ci-dessous, vous pouvez voir en mauve les bâtiments du campus de l’Université Laval en 2015, issus des données de la Ville de Québec. Cet affichage se superpose à une mosaïque de photographies aériennes remontant à 1948, réalisée en partenariat par la Ville et le Centre GéoStat de la Bibliothèque. On y aperçoit la forêt et les champs cultivés à l'époque, ainsi que l'ancien chemin Gomin.
La modélisation de la mosaïque urbaine montréalaise
Brian Armstrong, Université Concordia
Caractériser les obstacles urbains et les frontières est une étude indépendante de premier cycle, qui contribue à une initiative de recherche en cours réalisée par Pierre Gauthier, et autres collaborateurs, pour modéliser les effets de la fragmentation sur le paysage urbain de Montréal. Cette recherche emprunte des concepts d'écologie du paysage et de morphologie urbaine, et elle utilise une vaste gamme d'outils pour réaliser une analyse d’espace et de réseau. La recherche porte sur la construction de la connectivité du réseau interconnectant un tissu urbain, qui, lui, est divisé par les routes, les rails de chemin de fer et les barrières naturelles. Ces lignes de démarcation, en particulier les réseaux de transport, fragmentent l’espace urbain en îlots, tout en facilitant simultanément le voyage entre ceux-ci. Le quartier où vous travaillez peut être topologiquement plus près de chez vous grâce à une route, qu'un quartier voisin qui est coupé par cette même route. En transformant la géométrie fragmentée en un modèle de réseau topologique, nous pouvons mieux analyser comment les connectivités urbaines fonctionnent simultanément sur des échelles locales et globales. Les paramètres d'analyse de réseau peuvent aider à quantifier ces processus et à extraire les relations cachées au sein de la mosaïque urbaine. La DMTI Spatial CanMap Content Suite est particulièrement utile parce qu'elle représente un ensemble complet et conforme de couches qui sert bien la modélisation de la mosaïque urbaine montréalaise. Les ensembles de données détaillés comme le Cadastre Montréal sont aussi utiles pour ajouter des données riches en informations. Sur l'image qui suit, la géométrie de parcelles (Patch Geometry), créée dans ArcMap, est transformée en données de réseaux topologiques pour l'analyse en Pajek.
Cartographie du climat sonore
Yves Baudouin, UQAM
Dans le cadre de nos activités d’enseignement et de recherche nous avons, entre autres, à familiariser les étudiants avec la cartographie. Ainsi dans un cours de 1er cycle nous enseignons des techniques de collecte de données terrain et l’intégration de ces dernières dans un système d’information géographique (SIG). Pour y arriver, les étudiants réalisent une cartographie du climat sonore de leur quartier, sur un territoire de 500 m X 500 m. Ceci nécessite une saisie à l’aide d’un GPS et d’un sonomètre (quadrillage).
Les données sont récoltées (X-Y, décibels), traitées (interpolées) et superposées aux cartes 1 :20 000 de la BDTQ. L’identification du feuillet nécessaire est réalisée à l’aide du site de la Commission de toponymie du Québec. En ayant accès à l’ensemble des feuillets cartographiques de la BDTQ, l’étudiant a le loisir de travailler dans le secteur de son choix, ce qui lui permet d’assimiler aussi bien des notions techniques (projections, intégration, transfert de données) que fondamentales en géographie (aménagement, environnement et pollution sonore, etc.).
Dans l'image, on aperçoit un exemple de document cartographique, réalisé par des étudiants de 1e année en géographie dans le cadre du cours de cartographie numérique (GEO2093).
- Entretien avec Guylaine Beaudry et Loubna Ghaouti
Université Concordia et Université Laval
Guylaine Beaudry est directrice et bibliothécaire en chef des Bibliothèques de l’Université Concordia. Elle est responsable d’un projet de rénovation et d’agrandissement majeur de la Bibliothèque Webster qui sera réalisé entre 2014 et 2017 ainsi que de l’aménagement de l’ancienne chapelle de la Maison mère des Sœurs grises en salle de lecture réalisé en 2014. Elle a été précédemment directrice de la Bibliothèque Webster de l’Université Concordia, directrice du Centre d’édition numérique de l’Université de Montréal, directrice générale d’Érudit (www.erudit.org), une plateforme d’édition de publications en sciences humaines et sociales. Elle est auteure ou co-auteure de nombreux articles et chapitres de livre portant sur l’édition numérique, notamment des ouvrages La communication scientifique et le numérique, publié aux éditions Hermès/Lavoisier, Le nouveau monde numérique et les revues scientifiques publié aux Presses de l’Université de Montréal et aux éditions de La Découverte sur les conditions et enjeux de l’édition numérique des revues. Ce dernier titre a été traduit, Scholarly Journals in the New Digital World, et publié par University of Calgary Press. Madame Beaudry est co-auteure et coordonnatrice de l’étude « Les enjeux de l’édition du livre dans le monde numérique » commanditée par l’ANEL et l’ACP en 2007. Elle a publié Profession bibliothécaire aux Presses de l’Université de Montréal à l’automne 2012 et en 2014, elle a codirigé, avec Yvon-André Lacroix, le numéro thématique Architecture des bibliothèques de la revue Documentation et bibliothèques. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire du livre de l’École pratique des hautes études de Paris. Sa thèse s’intitule « La communication scientifique et la révolution numérique : analyse d’une période de mutation dans une perspective historique ». Elle a été présidente de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec de 2008 à 2010.
Loubna Ghaouti est directrice de la Bibliothèque de l’Université Laval depuis 2012. Elle travaille dans le milieu des bibliothèques universitaires depuis plus d’une décennie. Sa carrière professionnelle lui a permis de développer une expertise pédagogique des milieux documentaires en appui à la recherche et à l’enseignement et surtout de saisir les enjeux majeurs de la gouvernance des bibliothèques. Son parcours à l’Université Laval s’amorce en 2001, peu après l’obtention de sa maîtrise en science de l’information de l’Université de Montréal. Elle y occupe différentes fonctions au sein de la Bibliothèque. Outre son poste de directrice, Mme Ghaouti est actuellement vice-présidente du consortium Érudit, présidente du Sous-comité des Bibliothèques du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI). Elle est également responsable de l’entente de partenariat entre l’Université Laval et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
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