« La volonté politique est nécessaire pour forcer le mouvement, créer de nouvelles conditions de marché, favoriser la recherche et le développement et préparer l'avenir. Même si [les solutions identifiées] étaient appliquées, il est peu probable que l'on réussisse à éviter un réchauffement de moins de 2 degrés Celsius d'ici la fin du siècle. Alors, il est pertinent de se demander s'il est trop tard », Claude Villeneuve
Dans le dernier livre de Claude Villeneuve, on y sent monter son niveau d’impatience aussi certainement que celui des océans.
L’homme dont le « sujet ne le quitte plus » depuis 23 ans, publie un premier ouvrage sur la question en 1990, Vers un réchauffement global? (Léon Rodier, coauteur). Onze ans plus tard, en 2001, le point d’interrogation a pris le bord, et il faudra Vivre les changements climatiques (François Richard est coauteur). Il réédite cet ouvrage en 2005, sous-titré Quoi de neuf, et en 2007, sous-titré Réagir pour l’avenir.
Est-il donc trop tard?
Cette question a quelque chose d’obsédant. Un petit nuage gris et stationnaire. Et pendant toute la lecture, elle tarabuste. Toute la lecture, en effet, car pour obtenir réponse, on doit conquérir la complexité des enjeux. Cumulant les indices, prenant note des évidences. Comme dans un suspense, dont on serait les « vrais héros ». Et cela vaut la peine de ne pas « tricher » et de faire l'effort d'emprunter tous les détours. Alors vous aurez droit à une superbe leçon de science bien engagée dans son réel. Tout y passe : sciences du climat, modélisations, effets sur tous les systèmes, présentation du GIEC, protocoles politiques, marché du carbone, solutions technologiques, etc. Et comme jamais, l’humanité n’a connu pareil défi, préparez vous à emmagasiner beaucoup d’informations.
Mais est-il trop tard? Hum... je pense que je ne dévoilerai pas la fin, pour vous inciter au voyage. Mais je retiendrai ici, question de maintenir la tension, un élément qui ressort de l’ouvrage : l’accélération couplée à la nonlinéarité de ce système complexe composé de plusieurs sphères en interaction : anthropo, bio, cryo, hydro, atmo.
Accélérations vertigineuses
Les douze petits tableaux ci-dessous présentent une sélection de courbes ayant pris leur décollage dans les dernières décennies. Cet envol exponentiel crée des « pressions sans précédent sur l’environnement » souligne Villeneuve, et si « on les prend ensemble, en termes de magnitude, de vitesse d’évolution et de simultanéité, ces forces directrices constituent une situation qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la planète ».
On se développe donc à une vitesse grand V, dans toutes les directions possibles, et ce, sur une planète aux ressources finies. Ce ne peut être viable. Physiquement impossible. Il faut donc ralentir, et vite. Accélérer dans l’autre direction. D’autant qu’ils y a beaucoup de boucles de rétroaction positives qui risquent l'emballement. Ces boucles se caractérisent par une dynamique où l’effet renforce la cause. En voici deux exemples :
- Le dégel du pergélisol libère du méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. La libération du méthane accélére la fonte du pergélisol et augmente la libération du gaz, qui à son tour...
- Le dégel de la banquise provoque un réchauffement de la surface de l’océan qui en se réchauffant, retarde la prise des glaces, retardant ainsi la formation d’une nouvelle banquise, qui à son tour...
Deux exemples qu’il serait assez aisé de multiplier. Et Claude Villeneuve rappelle qu’en général « les modèles ne tiennent pas compte des effets en cascades » qui affecteront, dit-il, les écosystèmes tout comme les systèmes socioéconomiques. Et lorsque que les systèmes complexes « sont perturbés au-delà de leur capacité de résilience, [ils] peuvent entrer dans un état où ils cessent d'évoluer de manière linéaire », souligne l'auteur dans sa conclusion.
"Il est trop tard pour changer le passé, mais rarement trop tard pour influer sur l'avenir. Le seul instant sur lequel nous avons le contrôle est le présent", Claude Villeneuve
- Johanne Lebel
Acfas
Formée en ethnologie, muséologie et communication, Johanne Lebel s’intéresse tout particulièrement aux interrelations entre les différents savoirs. De fait, elle circule depuis plus de trente ans dans le milieu de la "communication des connaissances". Au service de l’Acfas depuis 2003, elle est rédactrice en chef du magazine Découvrir, et dirige divers projets, tels le Forum international Science et société, les prix et concours et la collection des Cahiers scientifiques.
Note : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.
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