Les haplotypes, ces morceaux de chromosomes non-recombinants, ont une longueur inversement proportionnelle à l’âge des chromosomes dans lesquels on les retrouve. Ce mois-ci, nous voyons comment la présence d’haplotypes anormalement longs permet de découvrir des gènes ayant joué un rôle important dans l’évolution de notre espèce.
Des haplotypes qui raccourcissent
Nous donnons à nos enfants une seule copie de nos chromosomes. Par contre, cette copie est « recombinante ». C’est là toute l’astuce de l’évolution : nous donnons une copie qui sera recombinée avec celle de l’autre parent. Notre bel alignement de gènes ne restera pas intact.
Comme illustré à la figure 1, à chaque génération se produisent des « enjambements » entre nos divers héritages, et ce, à des endroits différents. Ainsi, les morceaux intacts ou « non recombinants », les fameux haplotypes, deviennent de plus en plus petits à chaque génération.
Résultat : plus une population est ancienne, plus ses haplotypes sont courts. Par exemple, une étude datant de 2001 a démontré que la longueur moyenne des haplotypes européens, une population dont les origines remontent à seulement 50 000 ans, était de 60 000 nucléotides alors que ceux des Africains, une population beaucoup plus ancienne, avaient une longueur de moins de 5 000 nucléotides1.
Les haplotypes anormalement longs
La longueur des haplotypes diminuant au fil des générations, la présence de séquences anormalement longues indique la présence d’une mutation avantageuse sur un chromosome particulier.
Par exemple, à la figure 2, on peut voir que la deuxième copie du chromosome 2 contient un haplotype anormalement long. C’est donc un morceau de chromosome beaucoup plus récent que les autres. En fait, cet haplotype anormalement long représente un morceau de chromosome qui contient une mutation utile. Il a permis à la personne qui avait cette mutation de mieux survivre et cette personne a transmis cette mutation à ses descendants. Plus une mutation est favorable, plus elle se propage rapidement dans la population.
Des mutations avantageuses
Examinons trois de ces mutations qui se sont révélées utiles en termes d’évolution. Commençons par une mutation dont on a déjà parlé à deux reprises, celle qui permet aux adultes de boire du lait, une nourriture réservée généralement aux nouveau-nés. Ces mutations se sont produites dans des gènes codants pour une protéine agissant comme facteur de transcription, ce facteur qui à son tour active le gène produisant de la lactase, l’enzyme de digestion du lait. Elles se sont produites à au moins deux reprises, une fois chez les Européens et plus récemment chez les Africains, mais à différents endroits.
Comme vous pouvez le voir à la figure 3, les Africains qui ont un C au 14 010e nucléotide en amont du gène codant pour la lactase (et qui sont capables de digérer le lait) ont des haplotypes (lignes rouges) beaucoup plus longs que ceux des Africains dont les gènes ne le permettent pas (haplotypes verts qui ont un G à cette position). En fait, les haplotypes rouges ont une longueur moyenne de 1,8 million de nucléotides, tandis que la longueur moyenne des haplotypes verts n’est que de 1 800 nucléotides2. Ainsi, cette mutation favorable à la digestion du lait est relativement récente.
De plus, la mutation africaine étant plus récente que l’européenne (de 2 700 à 6 800 ans versus de 8 000 à 9 000 ans, respectivement), la longueur moyenne de leurs haplotypes C est supérieure à celle des haplotypes T (lignes bleues) qui permettent aux adultes européens de digérer le lait (1,4 million de nucléotides). La longueur des haplotypes européens ayant un C, le nucléotide ancestral avant la mutation à T, est similaire à celle des haplotypes verts des Africains, soit 1 900 nucléotides.
Une grande étude sur l’ensemble du génome humain
L’étude de Sabeti et coll.3, Linkage disequilibrium in the human genome, a permis de détecter plus de 22 régions chromosomiques ayant des haplotypes anormalement longs. Une de ces régions contient le gène de lactase, dont nous venons de discuter. Une autre contenait le gène SLC24A5, dont nous avons parlé dans notre première chronique, et qui permet aux Européens d’avoir une peau pâle sous des latitudes où les rayons UV nécessaires à la production de vitamine D se font rares. Une autre contient le gène LARGE, qui semble avoir acquis des mutations protégeant les populations d’Afrique de l’Ouest contre le virus de Lassa, un virus apparenté au virus Ébola et qui cause aussi une fièvre hémorragique foudroyante. Une autre mutation, qui change le 370e acide aminé de la protéine codée par le gène EDAR (de valine à alanine), est presque uniquement trouvée chez les Asiatiques. Le fait que la protéine codée par ce gène soit impliquée dans le développement des cheveux (et affecte leur épaisseur) suggère que cette mutation pourrait expliquer les caractéristiques particulières des cheveux des Asiatiques. Cette mutation pourrait aussi affecter la dentition.
Les limites des haplotypes
Malheureusement, le taux relativement élevé de recombinaisons entre nos chromosomes ne permet pas de détecter les mutations utiles qui se sont produites il y a plus de 25 000 ans environ. De fait, les haplotypes anormalement longs créés par les mutations utiles sont avec le temps réduits à une taille similaire à celle des autres haplotypes.
Dans notre prochaine chronique, nous verrons une autre méthode utilisée pour détecter des mutations utiles, celle des proportions des mutations ayant un impact fonctionnel. Ceci nous permettra de discuter des mutations dans le gène FOXP2, le gène du langage!
Références :
- 1. REICH, D.E., M. CARGILL, S. BOLK, J. IRELAND, P.C. SABETI, D.J. RICHTER, T. LAVERY, R. KOUYOUMJIAN, S.FFARHADIAN, R. WARD, E.S. LANDER, (2001). “Linkage disequilibrium in the human genome”, Nature, 411:199-204.
- 2. TISHKOFF, S.A., F.A.REED, A. RANCIARO, B.F. VOIGHT, C.C. BABBITT, J.S. SILVERMAN, K. POWELL, H.M. MORTENSEN, J.BHIRBO, M. OSMAN, M. IBRAHIM, S.A. OMAR, G. LEMA, T.B. NYAMBO, J. GHORI, S. BUMPSTEAD, J.K. PRITCHARD, G.A. WRAY, P. DELOUKAS (2007). “Convergent adaptation of human lactase persistence in Africa and Europe”, Nat. Genet., 39:31-40.
- 3. SABETI et coll. (2007). “Genome-wide detection and characterization of positive selection in human populations”, Nature, 449:913-918.
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- Guy Drouin
Université d'Ottawa
Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.
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