Souhaitons que le plein déploiement de la recherche collégiale devienne un véritable projet de société.
Au Québec et au Canada, les établissements qui constituent l’actuel ordre d’enseignement collégial ont généralement vu le jour entre 1930 et 1960. Au moment de mettre sur pied ces établissements d’enseignement supérieur « non universitaires » ayant pour charge de former principalement des technologues, mais aussi de favoriser l’intégration aux études universitaires, les gouvernements ne leur ont pas confié de mission de recherche. Or, depuis une trentaine d’années, de plus en plus de juridictions dans le monde adoptent des mesures pour stimuler la contribution du collégial en cette matière. Ainsi, certains pays d’Europe, comme la Finlande et la Suisse, accordent de nos jours jusqu’à 10 % de toutes leurs subventions en recherche et développement aux établissements postsecondaires non universitaires1.
Dès 1980, au moment de l’adoption de sa première politique scientifique, le Québec a ciblé son réseau de cégeps comme l’un des rouages de son système d’innovation. Il peut ainsi, dans cette perspective, être considéré à l’avant-garde du mouvement esquissé ci-dessus. Comme le démontrent Sébastien Piché et Vincent Larivière dans le présent numéro de Découvrir, le Québec apparaît maintenant tel un leader à l’échelle pancanadienne, devancé seulement par la Colombie-Britannique, où la cohésion entre les collèges et les universités est unique au pays. Il peut d’ailleurs se vanter que les chercheures et chercheurs de collèges contribuent à l’avancement du savoir dans tous les domaines et quel que soit le type de recherche – non seulement la recherche technologique –, même si ce dernier créneau est particulièrement développé au sein du réseau collégial.
Dans un monde de plus en plus compétitif en recherche, le réseau collégial offre un potentiel d’innovation encore sous-exploité.
Au fil des ans, les gouvernements fédéral et provincial, notamment par leurs organismes subventionnaires, ont mis au point des programmes de recherche à l’intention des chercheures et chercheurs de collèges, programmes dont la valeur s’élevait, en 2011-2012, à plus de 36 millions de dollars. Ces investissements ont permis au réseau de se doter d’équipements de pointe, dont l'article La « techno » collégiale en trois images du présent numéro de Découvrir présente un aperçu. Afin de pouvoir demander, puis gérer les fonds en provenance de ces organismes, les collèges ont adopté en masse des pratiques de gouvernance de la recherche largement inspirées de celles du monde universitaire. La recherche collégiale se réalise dorénavant davantage dans le cadre de collaborations, le plus souvent avec les universités et même, de plus en plus fréquemment, avec des partenaires internationaux. Tout cela est encouragé par les politiques gouvernementales, au premier chef par la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI).
On le voit, la recherche collégiale est sur une lancée. Pourtant, de nombreux acteurs, au Québec, ne reconnaissent pas (encore) son importance. Ce fait découle d'une trop faible diffusion des résultats de la recherche collégiale et de ses retombées, et cela nuit non seulement à la mise en valeur de la recherche, mais aussi à la reconnaissance des établissements du réseau collégial comme faisant partie intégrante de l’enseignement supérieur. Ce constat interpelle le réseau ainsi que tous ceux et celles ayant à cœur de bâtir un Québec qui crée, qui innove et qui pourrait être ramené « dans le peloton de tête des endroits au monde où les investissements privés et publics en recherche et développement sont parmi les plus élevés »2, comme l’a souligné le ministre Duchesne lors de son allocution au 68e Gala de l’Acfas. Dans un monde de plus en plus compétitif en recherche, le réseau collégial offre un potentiel d’innovation encore sous-exploité. Souhaitons que le plein déploiement de la recherche collégiale devienne un véritable projet de société.
Notes :
- 1. Benedetto LEPORI et Svein KYVIK, « Sitting in the Middle. Tensions and Dynamics of Research in UASs »,dans Svein KYVIK et Benedetto LEPORI. The Research Mission of Higher Education Institutions Outside the University Sector. Striving for Differenciation, Springer, Dordrecht, 2010, p. 261.
- 2. Extrait des notes pour une allocution prononcée par Pierre Duchesne, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie et ministre responsable de la région du Centre-du-Québec, à l'occasion du 68e Gala de l’Association francophone pour le savoir - Acfas au Centre des sciences de Montréal, le mardi 2 octobre 2012.
- Lynn Lapostolle et Sébastien Piché
Association pour la recherche au collégial et Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption
Lynn Lapostolle est directrice générale de l’ARC depuis 2003 et, à ce titre, elle assume la coordination des projets menés par l’Association. Elle est notamment membre du conseil d’administration de l’Acfas ainsi que de ceux du Fonds de recherche du Québec - Société et culture et du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec, de la Commission de l’enseignement et de la recherche universitaires du Conseil supérieur de l’éducation et du comité d’orientation du Centre de documentation collégiale. Par ailleurs enseignante de français au Cégep du Vieux Montréal depuis 1992, elle poursuit depuis 2000 des travaux de recherche en éducation.Diplômé de l’UQÀM et du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie en histoire des sciences.
Sébastien Piché enseigne au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption depuis 1996; il est également chargé de projet pour l’Association pour la recherche au collégial depuis 2007. Il s’intéresse à la recherche et aux fondements de l’éducation en enseignement supérieur. En collaboration avec Lynn Lapostolle et Monique Lasnier, il a publié La recherche collégiale : 40 ans de passion scientifique (PUL, 2011); il est aussi l’auteur du Réseau Trans-tech : 20 ans d’évolution en 20 dates clés (Réseau Trans-tech, 2012). Il est par ailleurs l’un des auteurs d’un ouvrage didactique, Histoire de l’Occident (Modulo, 2011). Il est présentement membre de la Commission de l’enseignement collégial du Conseil supérieur de l’éducation.
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