L’opposition que certains tentent d’établir entre une jeunesse travaillante prête à mettre efforts et investissements dans la préparation de son avenir professionnel, d'une part, et une jeunesse « belle vie » défendant l’accessibilité de l’éducation et la conciliation travail-famille, d'autre part, se révèle stérile. En fait, pour plusieurs d’entre nous, ces idées se conjuguent.
La rentrée universitaire de septembre s’est ouverte avec des élections québécoises et, malgré les importantes mobilisations entourant le « printemps érable », les jeunes et l’éducation auront finalement occupé bien peu d’espace dans les discussions politiques entourant cet appel aux urnes. En fait, le principal débat sur ce thème aura été soulevé à la suite des déclarations du chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), François Legault, selon qui les jeunes Québécois pensent généralement trop à faire la « belle vie » et devraient plutôt s’inspirer des Asiatiques, c'est-à-dire étudier davantage afin de se préparer à être plus productifs .
Performant au travail…
Si certains ont acquiescé aux propos de François Legault, d’autres y ont vivement réagi en soulignant notamment la performance tous azimuts désormais exigée des jeunes travailleurs. La rédactrice en chef du Devoir, Josée Boileau, écrivait en réplique au chef de la CAQ que, « de toute manière, [les jeunes] sont déjà débordés. Même aux études, ils doivent composer avec les exigences du marché du travail du 20e siècle : flexibilité, polyvalence, disponibilité constante. Et pas de régimes de retraite pour les récompenser . »
En effet, aujourd’hui, le monde du travail est à l’heure du « multitâche » : la seule obtention éclatante des diplômes les plus spécialisés ne garantit plus l’accès à l’emploi convoité, et il est généralement admis que les candidats doivent minimalement être bilingues anglais/français (connaissance d’une troisième langue « un atout ») et très à l’aise avec les nouvelles technologies. En outre, les expériences à l’étranger, l’obtention de prix ou de distinctions et l’implication sociale sont considérées, dans l’évaluation des dossiers, comme un gage de leadership. Tout cela dans un contexte mondial et canadien où, selon une analyse publiée le 22 août dernier par la Banque TD, « les jeunes travailleurs font face à des conditions de marché du travail extrêmement difficiles et qui ne sont pas près de s’améliorer avant un bon bout de temps ». Bref, les jeunes sont plongés dans un environnement hyper compétitif et incertain, assez éloigné de la conception véhiculée de « la belle vie », concept qui évoque plutôt le programme « Liberté 55 » destiné à la génération même de M. Legault.
...performant aux études…
Ce contexte de performance, les personnes qui font des études supérieures le connaissent bien. L’arrivée du mois de septembre, qui signifie pour la plupart d’entre nous la préparation de dossiers pour des demandes de bourses, nous le rappelle sans équivoque. À travers ces concours où l’excellence scolaire et la durée des études ne sont plus que des conditions d’entrée pour que les dossiers soient considérés, la notion contemporaine de productivité des « sociétés du savoir » se fait voir ici sous ses plus exigeants aspects.
L’étudiant-chercheur ne peut plus se contenter de participer activement à ses séminaires et de mener pour la première fois de façon autonome un projet de recherche avec rigueur. Il doit aussi démontrer ses aptitudes à la recherche par ses expériences en assistanat d’enseignement et de recherche, mais surtout par sa production scientifique. Et ici, la hiérarchie de la performance est très claire : les articles scientifiques arrivent en premier, suivis des livres et chapitres de livres, pour se clore avec les communications effectuées lors de congrès scientifique. Dans notre environnement mondialisé, la productivité ne saurait toutefois s’exprimer uniquement en français : la diffusion des résultats en langue anglaise est le gage d’un étudiant-chercheur compétitif, digne d’investissement.
… et socialement accompli
La performance exigée ne s’arrête pas à ces critères scolaires et scientifiques : l’étudiant-chercheur est aussi un être social, qui devrait s’engager auprès de sa communauté. À cet égard, les fonds subventionnaires de recherche mettent l’accent également sur l’implication sociale des candidats dans l’octroi des bourses. Cette nouvelle exigence est bien exprimée par le Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies dans son guide de préparation « Miser sur la qualité » : « Souvent, à tort, les candidats omettent de faire référence à leurs compétences relationnelles et à leur investissement social. Les candidats devraient porter une attention particulière à la valorisation de leur implication communautaire. L’aptitude au leadership constitue également un élément important […] et peut parfois être un facteur permettant de départager des dossiers de qualité égale . » Que les organismes subventionnaires reconnaissent et valorisent l’engagement social est tout à fait fondé, mais cela ajoute néanmoins à la multiplicité des expériences, des compétences et des savoirs qui sont désormais exigés des étudiants-chercheurs.
La poursuite d’une perspective équilibrée
L’opposition que certains tentent d’établir entre une jeunesse travaillante prête à mettre efforts et investissements dans la préparation de son avenir professionnel, d'une part, et une jeunesse « belle vie » défendant l’accessibilité de l’éducation et la conciliation travail-famille, d'autre part, se révèle stérile. En fait, pour plusieurs d’entre nous, ces idées se conjuguent.
Concrètement, il s’agit de reconnaître l’éducation comme outil d’émancipation sociale par excellence (et qui doit donc être accessible), de relever les nombreux défis professionnels exigeants, et stimulants, qui s’offrent à nous, tout en nous rappelant que le travail n’est pas une finalité en soi et que d’autres expériences méritent temps et énergies. Une approche équilibrée beaucoup plus porteuse que celle du modèle asiatique.
- Maude Benoit
Université Laval et Université Montpellier 1
Maude Benoit est candidate au doctorat en science politique à l’Université Laval (Québec) et à l’Université Montpellier 1 (France). Ses recherches portent sur les politiques publiques en agriculture au Canada et dans l’Union européenne. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’intégration des préoccupations de développement rural et d’environnement dans l’action publique agricole.
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