La lignée hominine
Comme paléoanthropologue, je tente de comprendre l’évolution la lignée hominine, notre lignée, dont l’origine date d’environ sept millions d’années. Plus particulièrement, j’étudie comment nos cousins hominine, et nos ancêtres hominines directs, se sont transformés, adaptés, et… souvent éteints. Nous sommes en effet le produit d’une très longue évolution dont témoignent, entre autres, notre morphologie, notre physiologie et nos comportements.
Ce livre se penche, pour sa part, sur notre l'héritage primate, en soulignant nos similarités avec nos cousins primates actuels et en relevant les traits qui nous sont propres.
Dans ce domaine, comme d’en bien d’autres, la progression des connaissances est constante, et les savoirs, de plus en plus pointus; ce qui n’empêche pas de nouvelles zones d’ombres de continuer à se pointer. Cette accumulation de connaissances peut devenir difficile à suivre pour les non spécialistes, et c’est alors qu’il devient souhaitable que les chercheur·euses prennent un pas de recul pour produire un état des lieux pour de larges publics. Ce livre se veut une contribution pour éclairer la transformation de l’humain vers sa forme actuelle, à partir des avancées de la recherche les plus à jour.
Sélection naturelle, hérédité, et environnement
L’espèce humaine, comme tous les autres vivants, est issue d’une lente évolution mue par les dynamiques de l’évolution naturelle où s’articulent la génétique et l’environnement. Notre « succès » planétaire s’explique par plusieurs traits dont notre intelligence, nos mains agiles, notre capacité de lancer des projectiles ou encore nos stratégies reproductives. Ces traits, bien qu’ils nous caractérisent, ont une origine primate plus ou moins lointaine. L’humain a donc évolué à partir de bases mises en place bien avant l’origine de notre lignée; ce succès humain est d’abord un succès primate.
On retrouve dans l’ouvrage l’histoire évolutive d’une vingtaine de traits humains, physiques ou comportementaux.
On retrouve donc dans l’ouvrage l’histoire évolutive d’une vingtaine de traits humains, physiques ou comportementaux. D’une part, il y a les traits morphologiques – morpho du grec ancien signifiant forme – soit la configuration et la structure externe : pensons aux yeux, à l’épaule ou à la dentition. D’autre part, il y a les traits physiologiques, ceux qui sont reliés au fonctionnement des organes, des tissus et des cellules; ici, il peut être question de la reproduction, de la ménopause ou encore de notre gros cerveau. Et tous ces traits ont des incidences sur les comportements. En voici trois exemples :
La vue en stéréoscopie
Notre vision est stéréoscopique comme chez tous les autres primates et les félins. Les champs de vision de chacun de nos yeux se superposent donc en partie permettant de percevoir le relief et la profondeur, des traits utiles en milieux arboricoles ou chez les prédateurs. Mais contrairement à la plupart des autres primates, la sclère de notre œil – cette couche externe et résistante du globe oculaire – est blanche. L’hypothèse la plus robuste soutient que cela présente l’avantage de faciliter la communication, car la direction du regard est beaucoup plus évidente. Ce trait est très utile, par exemple, lors de chasses collectives quand il s’agit d’indiquer sans bruit que la proie s’est camouflée dans le buisson à notre droite.
Le lancer du projectile
La grande mobilité de nos épaules permet de lever les bras au-dessus de la tête. Cela semble une évidence, mais imaginez votre chien vous lançant une balle avec sa patte… Cette épaule mobile est une adaptation à la suspension sous les branches et à la grimpe verticale dans les arbres. Ce sont des gestes qui ont évolué chez les grands singes dont le poids ne permet pas de marcher sur les branches comme chez les autres primates plus petits. L’humain ne vit plus dans les arbres depuis longtemps, mais cette adaptation se serait révélée fort utile pour le tir d’un projectile où une grande rotation de l’épaule est nécessaire. C’est là une habilité au cœur de notre passé de chasseurs-cueilleurs.
La monogamie au sein du groupe
Du côté des traits physiologiques, le cas de la reproduction, où au fil des années nos caractéristiques sexuelles et notre mode de reproduction ont fini par devenir singuliers, est assez fascinant. Les humains vivent en groupes multimâles et multifemelles, comme chez les bonobos et chimpanzés, mais contrairement à ces derniers, nous sommes généralement en relations monogames. Chez la plupart des primates, les femelles s’occupent seules de leurs rejetons, car ce n’est pas avantageux pour un mâle de s’occuper d’un petit sans être certain qu’il porte bien ses gènes. Au fil de l’évolution de notre lignée, la taille de notre cerveau s’est accrue et les fortes demandes énergétiques de cet organe ont fini par mener à une stratégie permettant de seconder la femelle dans les soins des enfants. La monogamie s’est présentée comme l’une des solutions; le mâle participe aux soins et à l’approvisionnement des petits, tout en étant assez certain d’être le père. Ce soutien du mâle-père, mais aussi celui de la grand-mère que la ménopause a rendu infertile au cours de l’évolution – un autre trait de notre espèce –, ont permis à l’humain d’accroitre sa fertilité.
La culture et l’évolution
L’humain est un animal dont la forme et les comportements actuels ont été modelés par l’évolution biologique, mais il est important de souligner que contrairement aux autres espèces animales, nous avons aussi développé une culture complexe et une conscience de nous-mêmes qui transcende notre biologie. Accepter la réalité de notre héritage évolutif ne veut pas dire que nous croyons que celui-ci détermine en tout nos comportements actuels. De même, il ne faut surtout pas confondre traits biologiques et stéréotypes de genre issus de nos cultures1. Bien au contraire, savoir d’où viennent certains traits et comportements, permet justement de mieux les comprendre et donc de focaliser nos efforts au bon endroit pour introduire des changements bénéfiques qui auront plus de chances de s’enraciner, comme, par exemple, le soutien social aux individus en situation de monoparentalité.
Notre évolution est loin d’être terminée, et nous avons la chance d’avoir un certain contrôle sur nos comportements et nos actions qui, à leurs tours, exerceront une influence sur notre évolution future. Notre intelligence et notre capacité de réflexion – issue de notre histoire évolutive particulière, il ne faut pas l’oublier – sont des traits qui permettent justement de nous libérer significativement de notre biologie. Nous sommes la seule espèce animale avec cette capacité, ce qui vient aussi avec une grande responsabilité, car ces traits ont fait de nous une espèce dominante et envahissante.
Finalement, j’aimerais ajouter que j’ai aussi écrit ce livre pour contrer la désinformation. Ayant passé plusieurs années aux États-Unis, j’y ai été témoin de la montée des idées créationnistes. Ces croyances, qu’on substitue à la science, font de plus en plus d’adeptes, même chez nous où 38 % des Canadiens n’accepteraient pas le concept de l’évolution humaine2. Ce mouvement, combiné à la désinformation maintenant normalisée à la grandeur de la planète, mine sérieusement toute la science. Ce livre est donc aussi un effort pour mettre de l’avant les connaissances acquises par l'approche scientifiques et résister à la propagation d’idées fausses. C’est une tâche pour laquelle les chercheuses et chercheurs sont particulièrement bien équipés pour y contribuer, et il est de notre devoir d’y prendre part.
Ce livre est donc aussi un effort pour mettre de l’avant les connaissances acquises par l'approche scientifiques et résister à la propagation d’idées fausses. C’est une tâche pour laquelle les chercheuses et chercheurs sont particulièrement bien équipés pour y contribuer, et il est de notre devoir d’y prendre part.
- 1
Note de la rédaction : voici une suggestion de lecture, dans le présent magazine, sur la dimension culturelle des genres : Différences entre femmes et hommes : ce qu’en disent les méta-analyses.
- 2
Angus-Reid, 2012. Britons and Canadians more likely to endorse evolution than Americans, in Angus Reid Public Opinion Poll: New York.
- Michelle Drapeau
Université de Montréal
Michelle Drapeau est professeure titulaire au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Elle est spécialiste de l’évolution humaine. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux origines de la lignée hominine en Afrique de l’Est et à sa transformation morphologique jusqu’à nos jours. Elle dirige une recherche de terrain à la formation Mursi dans la basse vallée de la rivière Omo au sud de l’Éthiopie, une formation qui documente la période d’origine du genre Australopithecus à plus de quatre millions d’années. Elle est aussi l’auteure du livre 27 caractéristiques humaines façonnées par l’évolution.
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