Ce livre fait partie d’une collection de quatre volumes qui retracent et célèbrent 50 ans de recherches archéologiques au Québec, avec le thème fédérateur des quatre éléments : l’air, l’eau, la terre et le feu. Chaque volume, richement illustré, est écrit à plusieurs mains et inclut de nombreux encarts composés par des spécialistes abordant des questions spécifiques telle que l’explication d’une technique d’analyse, l’examen d’un artefact exceptionnel ou une brève présentation d’un site archéologique d’importance. Au final, les quatre volumes offrent un panorama très éclaté de la discipline archéologique et des connaissances qu’elle a généré sur la très longue histoire des habitants de la province, Autochtones comme Allochtones. Cette collection est le fruit d’une collaboration entre Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, et le ministère de la Culture et des Communications.
Une proposition déroutante
Lorsqu’on m’a proposé de contribuer au projet, je n’étais pas certain de la pertinence de la thématique des quatre éléments. Le chercheur rationnel en moi y voyait quelque chose d’ésotérique et d’inconfortable : ne poussait-on pas le bouchon de la diffusion scientifique un peu trop loin? Mais à force de réfléchir à la structure du livre, j’ai fini par réaliser que le thème du feu, qui nous avait été attribué à moi et à mon co-auteur, nous permettait en fait d’aborder une série de sujets de manière étonnamment cohérente et, ma foi, plutôt inspirante.
Le feu fait tout : il éclaire, il réchauffe, il cuit, il transforme, il inspire, il répulse, il détruit autant qu’il préserve, il nous réunit et il nous définit. Comme le disait Gaston Bachelard dans La psychanalyse du feu, il est à la fois le bien et le mal. J’ai donc eu beaucoup de plaisir à montrer toutes ces utilités du feu à travers le temps, telles que révélées par les traces et vestiges archéologiques enfouis dans le sol. La rédaction se passait souvent les soirs d’été, dans ma cour, en compagnie des chats de ruelle. Durant ces nuits calmes et alors que j’étais sans doute trop plongé dans mon sujet, j’ai parfois cru entendre un feu crépiter au loin…
Un engagement, une résistance, une riposte
L’archéologie est une discipline qui fait rêver, mais que l’on connaît peu, en réalité. Ou que l’on connaît mal. Cette fascination et cette ignorance favorisent parfois l’émergence de stéréotypes et d’interprétations pseudoscientifiques qui causent du tort aux chercheurs comme au grand public, mais aussi aux communautés autochtones lorsque leur passé est mal représenté. Et pour contrer la tendance actuelle à la désinformation, il faut s’engager, résister et riposter avec des productions solides, bien documentées et accessibles. Je souhaitais donc faire découvrir le passé fascinant des Autochtones et des Allochtones qui cohabitent aujourd’hui sur ce territoire que nous appelons le Québec, mais également faire mieux connaître l’archéologie comme discipline scientifique. J’ai donc écrit ce livre pour le grand public en ayant ces deux objectifs en tête.
C’est étrange d’écrire pour un public anonyme, contrairement à un article scientifique, dont on sait déjà qui en seront les principaux lecteurs. Mais c’est également stimulant, ne serait-ce que par la différence de taille du lectorat : quelques dizaines lisent mes articles scientifiques, mais combien de centaines ou de milliers auront lu ce livre? Je n’en sais rien, cependant la perspective constitue en soi un puissant stimulus pour écrire.
Un nouveau rapport à l’écriture
En réalité, ce livre est peut-être la production écrite dont je suis le plus fier, autant sinon plus encore que mes articles publiés dans les plus grandes revues scientifiques. J’ai eu un véritable plaisir à l’écrire malgré les doutes, les choix difficiles et son caractère éminemment chronophage. Il m’a longtemps habité et j’y dévoile mon âme de chercheur sans doute plus que dans tout autre de mes écrits.
Avec l’équipe éditoriale, j’ai pesé chaque mot et chaque virgule du manuscrit. J’ai vérifié chaque référence et réfléchi à chaque illustration. J’ai fait valser des paragraphes d’un chapitre à un autre, j’ai fait mes adieux à de beaux détours trop inopportuns, j’ai cruellement coupé des chapitres en deux, et pendant des jours et des semaines j’ai cherché les citations parfaites que le lecteur, lui, aura lues et oubliées en quelques secondes.
J’ai eu un véritable plaisir à l’écrire malgré les doutes, les choix difficiles et son caractère éminemment chronophage. Il m’a longtemps habité et j’y dévoile mon âme de chercheur sans doute plus que dans tout autre de mes écrits.
Écrire un livre peut être ingrat et cruel! Heureusement, j’ai pu bénéficier de la collaboration de la formidable équipe de Pointe-à-Callière : la chargée de projet, les recherchistes, la réviseure, le graphiste, et tous les autres. L’archéologie est souvent un travail d’équipe, au terrain comme à l’écriture. Je souhaite vivement qu’un co-auteur autochtone puisse se joindre à nous la prochaine fois, lorsque nous aurons enfin formé une première génération d’archéologues autochtones au Québec.
Finalement, il m’a fallu près de 10 ans pour écrire ce livre, à temps perdu je dois dire. Je me suis en effet accordé de longues pauses, mais c’était pour mieux mûrir le contenu – et au désespoir de mon co-auteur, qui a malgré tout fait preuve d’une très grande patience à mon égard. Lorsque je reprenais la plume, j’étais prêt, complètement. J’ai d’ailleurs gardé cette habitude à la suite de l’écriture de ce livre : j’écris lorsqu’au moins une partie du fruit est mûr, pas avant. Et ce, que ce soit un livre, un article scientifique ou une demande de subvention. La dissémination scientifique doit être claire, concise et cohérente, du premier au dernier mot. C’est tout un défi! Mais à la fin, le texte produit peut être d’une remarquable efficacité.
Ce sont les trois « C » que je tente d’inculquer à mes étudiants dans leurs travaux. Clarté : produire un texte simple avec le moins de jargon possible, que l’on comprend à la première lecture. Même les phénomènes les plus complexes peuvent être expliqués simplement. Concision : rien ne sert de s’attarder, il faut s’arrêter à point! L’esprit de synthèse est un art difficile, mais un art qui s’acquiert par la pratique. Cohérence : il faut identifier une idée centrale qui agit comme une colonne vertébrale à laquelle tout le reste vient s’articuler dans une séquence logique et justifiée qui fait aisément sens, sans digressions.
La noblesse du partage
J’aime de plus en plus écrire des ouvrages s’adressant au grand public, mais je n’aime pas beaucoup qu’on les qualifie d’ouvrages de « vulgarisation », sans doute à cause de la proximité lexicale avec le mot « vulgaire », même si étymologiquement il s’agit plutôt ici de la racine grecque vulgaris, « la foule ». Ce plaisir est celui de partager les connaissances avec le plus grand nombre, procurant un sentiment égoïste, bien que mérité, de pertinence sociale. C’est aussi le devoir moral de rendre à la société ce que la société nous permet d’acquérir en finançant largement les études universitaires et les recherches académiques. À mon avis, la dissémination scientifique est une tâche des plus nobles, et je regrette qu’elle soit parfois perçue comme une activité de second ordre au sein même de nos institutions de savoir. C’est un préjugé à combattre, un livre à la fois!
À mon avis, la dissémination scientifique est une tâche des plus nobles, et je regrette qu’elle soit parfois perçue comme une activité de second ordre au sein même de nos institutions de savoir. C’est un préjugé à combattre, un livre à la fois!
- Christian Gates St-Pierre
Université de Montréal
Christian Gates St-Pierre est professeur agrégé au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Ses travaux portent principalement sur l’archéologie des peuples autochtones du Québec, en particulier l’étude des aspects alimentaires, les interactions sociales et les technologies osseuses et céramiques. Il s’intéresse aussi aux questions éthiques en science, à la décolonisation de la recherche et à la protection du patrimoine archéologique. Il dirige présentement une école de fouilles archéologiques en Outaouais en collaboration avec les Anishinabeg.
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