Depuis trois ans déjà, l’Acfas coorganise une école d’été en communication scientifique, qui se tient chaque mois de juin sur le site enchanteur de Jouvence, au bord du lac Stukely. Des étudiantes et des étudiants aux cycles supérieurs se retrouvent à cette occasion pour travailler, en collaboration avec leurs collègues et accompagnés par des animateurs dédiés, à un projet de vulgarisation ou de mobilisation de leurs connaissances.
Grand honneur, l’Acfas a repris le titre d’un essai que j’ai co-écrit avec David Robichaud pour nommer cette nouvelle activité annuelle : Prendre part : l’école d’été en communication scientifique. On m’y a accueilli à deux reprises, pour venir réfléchir en compagnie des participantes et des participants au sens à accorder justement à cette expression. Chaque fois, j’ai été émerveillé par ces groupes de chercheuses et de chercheurs allumés, le bouillonnement d’idées et l’impressionnante progression des projets.
Prendre part, le livre, porte sur les fins de la démocratie, au double sens de ce que vise cet idéal ou ce régime politique et des menaces qui pourraient la conduire à sa perte. Le titre consiste surtout, bien évidemment, en un appel à prendre part à la démocratie, à participer, comme citoyen, à la chose publique. Mais il y a autre chose à retenir de cet appel. Le titre ne renvoie pas uniquement à l’idée de participation. Il renvoie également à l’idée d’adhésion : prendre part, c’est même d’abord reconnaître que la démocratie est un idéal qui mérite d’être défendu avec vigueur, c’est aussi un appel à la défense à la fois de ses institutions et du mode de vie collective dont elle dépend.
Précisément pour cette raison, le choix de ce titre pour nommer l’école d’été est particulièrement judicieux. On y reconnaît que la transmission des connaissances est un des modes de la participation démocratique, mais on va plus loin. Les participantes et les participants sont également amenés à prendre conscience du rôle exercé par la science et de la place qu’occupe la communication scientifique dans l’édifice démocratique.
La démocratie est indissociable de la possibilité de décider en commun (et j’ajouterais : entre des individus se reconnaissant mutuellement comme égaux). Or, on ne peut véritablement décider en commun ou faire des choix collectifs éclairés sans un accès aux informations pertinentes. Il faut que les citoyennes et les citoyens aient une connaissance minimale des institutions et de leur fonctionnement, qu’ils soient également informés des choix sociaux possibles, de leurs effets à court et à long termes, des bénéfices et des coûts prévisibles des politiques publiques. Sans quoi, nos décisions ont bien peu de valeur. Qui pense véritablement faire un choix lorsqu’il n’est pas en mesure d’évaluer les différentes options qui lui sont offertes, de se faire une idée de leurs conséquences ou, encore, lorsque certaines des options lui sont simplement cachées ?
[...] on ne peut véritablement décider en commun ou faire des choix collectifs éclairés sans un accès aux informations pertinentes. Il faut que les citoyennes et les citoyens aient une connaissance minimale des institutions et de leur fonctionnement, qu’ils soient également informés des choix sociaux possibles, de leurs effets à court et à long termes, des bénéfices et des coûts prévisibles des politiques publiques.
D’où le lien essentiel entre démocratie et connaissance. C’est aussi la raison pour laquelle les sociétés démocratiques ont besoin de ce que la philosophe Lisa Herzog appelle une « infrastructure épistémique » : des institutions et des pratiques sociales dans lesquelles différents types de savoirs et les connaissances pertinentes peuvent être créés, vérifiés, corrigés, et transmis aux décideurs au sens large, ce qui inclue bien entendu les citoyennes et les citoyens. Il ne faut pas que de la connaissance, il faut des mécanismes d’évaluation du savoir, des voies d’échange entre différentes communautés épistémiques (à l’intérieur et à l’extérieur de l’université) et bien évidemment des canaux de communication vers différents publics.
Prendre part à cette infrastructure implique également de rendre compte de la valeur de la culture et des savoirs scientifiques. C’est aussi, dans le même sens, adopter la bonne attitude à leurs égards. Une attitude qui favorise le dialogue et l’échange, la co-construction des connaissances. L’écoute également : car le scientifique doit être prêt à être questionné et à se remettre en question. Tout cela entre en parfaite résonnance avec ce dont j’ai pu être témoin et ce que j’ai entendu dans le cadre de l’école d’été : on y parle d’engagement public, de science responsable, de transparence, d’humilité. On apprend à travailler ensemble. On réfléchit à ce qu’implique interagir avec des publics avec lesquels on a peu en partage. On développe, pour le dire simplement, ce que l’on pourrait appeler une éthique épistémique.
C’est en effet tout cela que valorise l’école d’été. C’est d’autant plus nécessaire que la relation entre démocratie et connaissance est aujourd’hui plutôt compliquée et que notre infrastructure épistémique est fragilisée de bien des façons. On parle beaucoup de la perte de confiance à l’égard des experts, qui se traduit par une dévalorisation du savoir scientifique et de ses institutions; d’une distorsion sérieuse de plusieurs formes de connaissance, pour ne pas simplement parler de désinformation, souvent par des intérêts particuliers; d’un manque également de culture scientifique et, enfin, d’une mécompréhension de ce que signifie avoir un esprit critique (un indice : ce n’est pas simplement être contre…)
Ces phénomènes menacent l’infrastructure épistémique de la démocratie, dont il faut être conscient qu’elle ne peut se maintenir sans efforts, individuels et collectifs. Il faut notamment abandonner la métaphore du « marché des idées » et l’espoir naïf que la « vérité » surgira naturellement ou spontanément de la simple confrontation des opinions dans l’espace public. La préservation et le développement des connaissances dépend de bien plus : d’un solide soutien par les instituions publics de l’écosystème de la recherche – et en particulier de la recherche fondamentale – d’un travail de valorisation de la culture scientifique, d’un combat constant contre la désinformation aussi. Il faut pour cela des lieux d’apprentissage et d’éducation scientifique, des espaces pour la critique des savoirs, des occasions pour le public d’interagir avec les scientifiques.
Au Québec, l’Acfas est en ce sens un acteur essentiel au maintien de la qualité de notre infrastructure épistémique, et l’école d’été l’un de ses plus beaux véhicules pour prendre part à son maintien et à son développement.
Au Québec, l’Acfas est en ce sens un acteur essentiel au maintien de la qualité de notre infrastructure épistémique, et l’école d’été l’un de ses plus beaux véhicules pour prendre part à son maintien et à son développement.
Prendre part : l’école d’été en communication scientifique est une activité de formation organisée par l’Acfas en collaboration avec Neurosciences Sherbrooke. Pour continuer votre lecture en lien avec cette activité :
- Patrick Turmel
Université Laval
Patrick Turmel (Ph.D. University of Toronto) est professeur titulaire, spécialiste d’éthique et de philosophie politique, à la Faculté de philosophie de l’Université Laval. Parmi ses nombreuses publications, notons La juste part. Repenser la richesse, les inégalités et la fabrication des grille-pains et Prendre part. Considérations sur la démocratie et ses fins, deux essais co-écrits avec David Robichaud.
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