Un sol en bonne santé est constitué de milliards d’organismes vivants plus ou moins visibles à l’œil nu : mégafaune (marmottes, taupes, etc.), macrofaune (vers de terre, fourmis, araignées, coléoptères, etc.), mésofaune (acariens, collemboles) et, à l’échelle micro, celle qui nous intéresse ici, microfaune et microflore bactérienne et fongique. Sous nos pieds, toute cette vie invisible, mais trépidante, est essentielle au maintien de la fertilité du sol. Elle contribue à la croissance des plantes, en particulier celles d’intérêt agricole et horticole. Malheureusement, les pratiques agricoles conventionnelles utilisées depuis plus de 70 ans l’ont progressivement détruite ou fortement fragilisée. Or, nous avons en main les savoirs de recherche et d’expérience pour renverser cette tendance. Nous aborderons successivement ici les fonctions des micro-organismes du sol, les symbioses racinaires, les symbioses mycorhiziennes ainsi que les notions de biofertilisants et de biostimulants microbiens, avant de conclure sur les pratiques agricoles favorisant la vie du sol.
Les micro-organismes du sol : des milliards de fonctions biochimiques complémentaires
Les micro-organismes du sol sont constitués de milliards d’individus entretenant entre eux des relations complexes, qui assurent l’équilibre nutritionnel, structural et biologique du sol.
Plus de 90 % de l’activité biologique du sol tient dans 10 % de son volume. Elle se concentre autour de cinq « points chauds », dotés de microécosystèmes spécifiques :
- la rhizosphère, située directement autour des racines;
- la détritus-sphère, ou litière, située à la surface du sol;
- l’agrégatus-sphère, constituée des micro et macro-agrégats du sol;
- la porosphère, ou l’espace entre les solides du sol;
- la drillosphère, ou l’espace de mouvement des vers de terre.
Ces cinq points biologiquement très actifs assurent cinq fonctions essentielles du sol :
- La macrofaune et la mésofaune assurent les fonctions d’ingénierie du sol.
- En association avec la microfaune et la microflore, la macrofaune et la mésofaune participent à deux autres fonctions, soit le cycle de la matière organique, ou décomposition de la litière et minéralisation du carbone, et le cycle des éléments nutritifs, soit les macro- et microéléments du sol, en tant qu’« ingénieurs chimiques » de celui-ci.
- Les micro-organismes assurent aussi la protection phytosanitaire du sol, soit sa décontamination, ou bioremédiation, le biocontrôle des organismes pathogènes, ainsi que la dernière fonction essentielle de redondance des fonctions, cette interchangeabilité entre micro-organismes qui leur confère la faculté d’assurer une protection relativement durable des écosystèmes, même en l’absence de certains groupes d’entre eux. Intimement associés aux plantes, plusieurs micro-organismes du sol assurent ainsi des fonctions PGPR (Plant Growth Promoting Microorganisms) en les aidant à pousser et à se maintenir en bonne santé.
1. Les symbioses racinaires
D’autres micro-organismes du sol se sont organisés au cours de l’évolution en associations très étroites avec les racines des plantes dotées de structures, voire d’organes, très spécifiques appelées symbioses racinaires. Ces symbioses se caractérisent par un apport accru de nutriments aux plantes, lesquelles, en échange, fournissent aux micro-organismes symbiotiques du carbone issu de la photosynthèse.
Il existe différentes catégories de symbioses végétales, selon le type de plante et de micro-organisme. Les plus connues sont :
- la symbiose lichénique, une association entre une algue microscopique et un champignon;
- la symbiose fixatrice d’azote entre les plantes de la famille des légumineuses – dont plusieurs sont d’intérêt agricole, tels le pois, le haricot, le soja – et une bactérie de type rhizobium;
- la symbiose actinorhizienne des aulnes et de quelques autres espèces arbustives associées à une bactérie du genre Frankia;
la symbiose mycorhizienne.
Les symbioses mycorhiziennes
La symbiose mycorhizienne est un phénomène fondamental et universel dans l’évolution et le fonctionnement des écosystèmes terrestres1.
Il existe plusieurs sortes de symbioses mycorhiziennes dotées de structures variables, alliant différentes catégories de plantes et de champignons. La plus ancienne et la plus répandue sur terre est la symbiose mycorhizienne arbusculaire, associant des champignons microscopiques du sol du groupe des gloméromycètes, soit environ 250 espèces dont la plupart des familles de plantes herbacées, pour un total d’environ 250 000 espèces végétales connues. Les deux autres types de symbioses mycorhiziennes les plus connues ont évolué à partir de cette symbiose fondatrice de la vie sur terre : la symbiose ectomycorhizienne, qui concerne environ 12 000 espèces d’arbres forestiers, et la symbiose éricoïde, touchant environ 3000 espèces d’Éricacées, incluant les bruyères, rhododendrons, bleuets et canneberges.
Dans le cas de la symbiose ectomycorhizienne, le mycélium des champignons supérieurs, ascomycètes et basidiomycètes, qui fructifie sous la forme des carpophores aériens de nombreux champignons de nos forêts, s’agglomère autour des ramifications secondaires des racines sous l’aspect d’un manchon mycélien, parfois visible à l’œil nu, mais qui ne pénètre jamais à l’intérieur des cellules racinaires.
La symbiose mycorhizienne arbusculaire, quant à elle, est endomycorhizienne, puisque les échanges entre la plante et son champignon microscopique se font à l’intérieur des cellules corticales des racines, au niveau de structures très ramifiées que sont les arbuscules. Elle est apparue il y a environ 450 millions d’années avec la sortie de l’eau des premiers végétaux et est à l’origine des autres symbioses racinaires, dont la symbiose fixatrice d’azote des légumineuses.
Grâce aux réseaux d’hyphes souterrains des champignons associés aux différentes symbioses mycorhiziennes, la plante bénéficie d’un accès privilégié à l’eau du sol et aux nutriments inaccessibles aux racines, en particulier au phosphore (voir photographie ci-dessous). En meilleure santé, la plante profitera aussi d’une protection accrue contre les stress et les pathogènes.
En fait, c’est toute la biochimie et plusieurs fonctions génétiques de la plante qui sont modifiées par la présence des symbioses racinaires, ce qui influence notamment le goût des aliments, le parfum des fleurs et les relations avec les insectes pollinisateurs. De plus, la symbiose mycorhizienne joue un rôle majeur dans les cycles biochimiques des nutriments du sol et la fertilité de ce dernier.
Enfin, les réseaux de champignons mycorhiziens entourant les racines les plus fines structurent le sol en profondeur et constituent des écosystèmes spécifiques autour desquels gravitent des biofilms bactériens.
Le travail et la compaction des sols agricoles ont des effets destructeurs sur ces réseaux et sont donc à minimiser au maximum dans une perspective d’agriculture durable.
2. Les biofertilisants et biostimulants microbiens en agriculture et en horticulture
Indépendamment de l’engouement actuel pour toute une nouvelle gamme de biostimulants des cultures, les inoculants mycorhiziens restent des biofertilisants majeurs, toujours d’actualité en agriculture durable et nécessaires pour la préservation de la vie du sol. En effet, contrairement aux sols non travaillés, les pratiques culturales conventionnelles, notamment le labour, ont pour effet de détruire les réseaux mycéliens du sol. Il est donc maintenant recommandé de réduire au maximum ces pratiques, en laissant la vie naturelle du sol (racines, réseaux mycorhiziens et vers de terre, notamment) assurer le travail de structuration et d’aération. Parallèlement, pour favoriser l’action émergeant de toute cette vie, il est essentiel de réduire au minimum l’emploi de fertilisants chimiques et d’éliminer au maximum l’usage des pesticides.
De plus, considérant la courte saison de culture du climat nordique québécois, les bénéfices de la mycorhization racinaire ne peuvent s’exprimer que si celle-ci s’installe le plus tôt possible à l’émergence des plantules, d’où l’intérêt d’ajouter des inoculants aux semis.
Certaines familles de plantes d’intérêt agricole, telles que les crucifères (canola, moutarde, chou, radis, etc.), les chénopodiacées (betterave), les graminées (la plupart des céréales) et les polygonacées (sarrasin) sont faiblement ou totalement dépourvues de mycorhization, ce qui a pour conséquence d’affaiblir les sols en inoculants naturels. L’apport d’inoculants après le passage de ces familles de plantes, associé à une culture fortement mycorhizogène, telle qu’une légumineuse, rééquilibre leur concentration dans les sols pour les années subséquentes.
Rappelons que la mycorhization des plantes leur confère un avantage inestimable en termes de vitalité et de protection contre les ravageurs des cultures. Un sol biologiquement sain et riche produit des végétaux plus nutritifs et plus sains, ce qui peut faire toute la différence en cas d’attaque d’un ravageur ou de conditions climatiques difficiles.
Rappelons que la mycorhization des plantes leur confère un avantage inestimable en termes de vitalité et de protection contre les ravageurs des cultures. Un sol biologiquement sain et riche produit des végétaux plus nutritifs et plus sains, ce qui peut faire toute la différence en cas d’attaque d’un ravageur ou de conditions climatiques difficiles.
Il existe différentes formulations d’inoculants mycorhiziens optimisées pour diverses applications, mais elles renferment toutes une ou quelques espèces de champignons mycorhiziens arbusculaires, capables de mycorhizer un grand nombre de cultures d’herbacées, à l’exception de la plupart des arbres et arbustes.
Le marché des biostimulants microbiens, quant à lui, est en pleine croissance. Ces « bons » microbes du sol s’associent aux champignons mycorhiziens pour métaboliser et rendre disponibles aux racines tous les nutriments essentiels à leur croissance. Certains biostimulants microbiens, identifiés pour leur action particulière comme PGPR2 ou agissant en synergie avec les champignons mycorhiziens arbusculaires, sont cultivés en laboratoire et vendus déshydratés sous forme de poudre.
Conclusion : Vers des pratiques culturales plus saines et nutritives
Pour accroître et restaurer la santé des sols et des cultures, l’agriculture durable doit s’appuyer sur le principe d’augmentation de la biodiversité des plantes et des micro-organismes du sol, en évitant au maximum de laisser celui-ci à nu entre les cultures, et en le travaillant le moins possible. C’est pourquoi les nouvelles pratiques culturales privilégient les semis de cultures de couverture3 et/ou intercalaires4, le semis direct5 ou le travail réduit6, l’agroforesterie et la rotation des cultures annuelles.
En gardant en tête qu’à chaque plante correspond un microbiome racinaire particulier, on comprend mieux que la « propreté » et l’uniformité du champ cultivé nuisent à cette biodiversité et qu’il vaut mieux adopter de bonnes pratiques de contrôle des mauvaises herbes plutôt que de bannir totalement ces dernières. Pour ne citer qu’eux, les fameux pissenlits, si redoutés tant ils se reproduisent vite – comme de nombreuses plantes de la famille des composées, summum de l’évolution des dicotylédones –, ont des propriétés médicinales extraordinaires, des feuilles aux racines, qui de plus améliorent la structure des sols. Heureusement, leur apparition au printemps est désormais de plus en plus appréciée chez la plupart des citadins comme des agriculteurs.
L’adoption de techniques et de principes plus sains et naturels en agriculture a l’énorme avantage de diminuer les besoins en intrants chimiques, qui sont polluants et nuisibles à la santé des écosystèmes comme des humains au sommet de la chaîne alimentaire. Il s’agit finalement de compter le plus possible sur la biochimie naturelle du sol et sur les diverses formes d’engrais biologiques pour enrichir nos sols en azote et en phosphore plutôt que sur l’agrochimie, soit les fertilisants et pesticides de synthèse.
Ainsi, tel qu’illustré ci-dessous, le cycle vertueux de la biofertilisation tient compte de la microbiologie des sols en préservant la biodiversité et la santé des écosystèmes, contrairement au cycle rapide et appauvrissant de la fertilisation chimique.
Pour en savoir plus :
- Fortin, J.A., Plenchette, C., Piché, Y. 2015. Les mycorhizes. L’essor de la nouvelle révolution verte. Éditions Multimondes.
- Selosse, M.A. 2017. Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations. Éd. Actes Sud.
- Selosse, M.A. 2021. L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent. Éd. Actes Sud
- 1J. A. Fortin, Christian Plenchette, Yves Piché. 2015. Les Mycorhizes. L’essor de la nouvelle révolution verte. Éditions Multimondes.
- 2Plant Growth Promoting Rhizobacteria
- 3Culture de couverture : espèce semée en interculture et non récoltée pour éviter de laisser le sol à nu
- 4Culture intercalaire : espèce semée entre les rangs d’une culture pour minimiser la présence d’espèces indésirables
- 5Semis direct : semis réalisé sans aucun travail de sol préalable
- 6Travail réduit : travail de sol réduit au minimum, peu profond, réalisé avec une machinerie légère
- Christine Lethielleux-Juge
Irrigation NORCO
Christine Lethielleux-Juge, directrice scientifique de la compagnie Irrigation NORCO, spécialisée en restauration écologique minière, détient un doctorat de l’Université Laval sur la symbiose mycorhizienne arbusculaire et un postdoctorat réalisé à Agriculture et Agroalimentaire Canada sur l’étude des interactions mycorhizes-rhizobium-PGPR chez le soja. Elle offre chaque année à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ) une formation sur les biofertilisants et biostimulants microbiens.
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