Une empreinte carbone annuelle à moins d’une tonne? Au Québec, si on a un chauffage électrique, il est relativement facile de réaliser une telle performance. Il faut alors « travailler » sur le transport et l’alimentation puisque l’électricité possède une très faible composante carbone en raison du parc de production essentiellement alimenté d’énergie de sources renouvelables. Seules les Îles de la Madeleine et quelques communautés nordiques isolées du réseau font exception à ce constat. Voyons donc, comment on peut y arriver et ce, en partant de mon expérience personnelle.
Transport1
Les moyens à mettre en œuvre diffèrent selon qu’on vive en milieu urbain dense, où des services de transport en commun permettent de se passer de l’automobile, ou dans un milieu où il est difficile de se passer des services de la voiture. Bien sûr, le transport actif (à pied ou en vélo) ne produit pas de gaz à effet de serre, mais il faut remplacer 5 000 kilomètres de voiture par année par ce mode de transport pour sauver une tonne d’émissions.
Pour produire une tonne d’émissions de CO2, il suffit de brûler 400 litres d’essence. C’est un budget vite consommé pour une personne célibataire qui conduit une voiture consommant huit litres aux cent kilomètres. En revanche avec une voiture hybride les émissions coupent de moitié. Si la voiture hybride sert pour une famille de quatre personnes, le bilan baisse d’autant, puisque le véhicule réalise alors une performance meilleure que celle d’un autobus urbain rempli à pleine capacité. Donc, le covoiturage en famille ou entre voisins permet d’égaliser les choses entre les rats des villes et les rats des champs. Ma conjointe et moi avons une auto hybride branchable qui parcourt 12 à 13 000 kilomètres par année, et je covoiture avec ma fille pour aller à l’Université. En 2018, notre consommation totale de carburant a été de 310 litres. Cela représente la plus grande partie de notre empreinte carbone pour deux personnes. On parle d’un maigre 365 kilos par personne par année. Cette partie de l’empreinte carbone ne comprend que l’utilisation de l’auto. Pour une auto conventionnelle, la phase d’utilisation représente plus de 85% des émissions de GES. Les émissions de cycle de vie doivent être divisées par le nombre d’années d’utilisation, ce qui est relativement négligeable. Pour un véhicule électrique utilisé au Québec, les émissions de la phase utilisation sont presque nulles alors que les autres émissions de GES liées au cycle de vie ramenées à un kilomètre parcouru sont encore très faibles.
Alimentation
L’alimentation est le deuxième secteur où on peut le mieux contrôler son empreinte carbone. Comme les aliments sont détruits lors de la consommation, il faut compter l’ensemble des émissions de cycle de vie en amont de l’achat pour déterminer leur contribution à l’empreinte carbone d’une personne. En effet, le CO2 que nous rejetons après les avoir consommés est biogénique et ne contribue pas aux changements climatiques. En revanche, les émissions liées aux carburants fossiles, au méthane et au protoxyde d’azote, de même que les gaz réfrigérants perdus dans leur production sont des facteurs importants à prendre en compte. La consommation de viande rouge, de charcuteries et de plats surgelés2 émet entre 3 et 5 kilos d’équivalent CO2 par portion. Les repas à base de végétaux, d’œufs, de produits laitiers ou de poulet émettent entre 10 et 30 fois moins. La fermentation entérique des animaux de boucherie qui produit du méthane et la chaîne du froid qui émet des halocarbones sont les principales explications de cette différence.
Bien sûr, les pertes d’un niveau trophique à l’autre, soit du végétal à l’animal, expliquent aussi qu’il faut cultiver des surfaces en proportion de l’efficacité de transformation pour les mêmes calories. Par exemple, il faut une dizaine de calories d’aliments végétaux pour produire une calorie de bœuf, quatre pour le porc et moins de deux pour le poulet. L’efficacité de transformation des calories est encore meilleure pour les œufs et les produits laitiers. Sur un millier de repas par année, la différence compte! Un carnivore qui mange 10 portions de bœuf ou de produits transformés par semaine émet au moins deux tonnes par année alors qu’un végétarien ou un flexitarien (1/2 portion de viande rouge par semaine, œufs, produits laitiers, la majeure partie des calories provenant de végétaux) diminue son empreinte à 250 kilos ou même moins s’il privilégie la production locale.
À la maison, avec un grand potager, un pommier et six poules (pour deux familles) et un régime flexitarien, nous produisons chacun environ 3 kilos d’émissions pas semaine soit environ 160 kilos par année.
Déchets
Le troisième secteur est la gestion des déchets. Mettre la poubelle au régime fait maigrir l’empreinte carbone. Chaque québécois produit 800 kilos d’émissions d’équivalent CO2 par année selon l’inventaire national. Plus de 500 kilos sont liés à la décomposition des matières organiques qui dégagent du méthane.
En faisant du compostage domestique et en gâtant les poules avec les restes de table, nous arrivons à produire moins d’un kilo de déchets ultimes pour deux par semaine. La litière des poules va au compost avec les épluchures et les feuilles mortes, puis le tout retourne au potager. Alors, s’il le faut, calculons que notre empreinte se réduit à 50 kilos par personne par année. Les émissions liées au recyclage du plastique verre et métal sont impossibles à quantifier car elles comportent trop d’incertitudes. Lorsque la cueillette des matières organiques et leur traitement par compostage ou biométhanisation sera disponible partout, l’empreinte carbone des citoyens pour la gestion des matières résiduelles se rapprochera de 300 kilos. Avec un petit effort de réduction des emballages, de réutilisation et de recyclage, on pourra la couper encore en trois.
Autres « dépenses »
Pour le reste, les quantités sont plutôt insignifiantes. La consommation d’électricité de notre maison représente 10 kilos par année donc 5 kilos par personne. Nous avons peu d’appareils électroniques et comme nos appareils ménagers et nos vêtements, ils vivent longtemps. Ne jamais essayer de suivre la mode, acheter de la qualité et entretenir ce qu’on a choisi de ramener à la maison constituent des comportements qui réduisent l’empreinte carbone en divisant les émissions de GES du cycle de vie par le nombre d’années d’utilisation.
Bref, c’est possible au Québec de vivre à l’intérieur d’un budget carbone de moins d’une tonne par année. Et pour les voyages, la compensation carbone peut permettre d’équilibrer son budget.
Rappelons pour mémoire que si les humains réduisaient leur empreinte à 2,2 tonnes par personne, la biosphère pourrait absorber la chose sans impact pour le climat.
Pour plus d’informations et pour calculer votre empreinte carbone : http://carboneboreal.uqac.ca
- 1Note de la rédaction : En novembre 2019, un article de Claude Villeneuve était publié dans le dossier spécial sur les changements climatiques de Québec Science, réalisé en collaboration avec le réseau de l’Université du Québec. Il y faisait mention de son empreinte carbone : « Depuis plusieurs années, ma conjointe et moi avons modifié notre façon de vivre et mesurons minutieusement nos émissions de gaz à effet de serre. Résultat : nous en produisons chacun 680 kg par année ». Nous l'avons donc invité ici à nous faire part du comment il en arrivait à ce poids léger. https://www.quebecscience.qc.ca/partenariat/changements-climatiques-claude-villeneuve-optimiste/
- 2Les plats surgelés sont congelés à l’usine, leur empreinte carbone est surtout liée à l’énergie pour la production, l’emballage et le maintien de la chaîne du froid. Aussi, ces plats ont souvent beaucoup voyagés.
- Claude Villeneuve
Université du Québec à Chicoutimi
Claude Villeneuve est biologiste. Depuis plus de 40 ans, il partage sa carrière entre l'enseignement supérieur, la recherche et les travaux de terrain en sciences de l'environnement. En 2001, il a créé le programme de DÉSS en éco-conseil à l’UQAC qu’il a dirigé jusqu’en 2016, et il a piloté la création de cinq programmes courts permettant la maîtrise par cumul en éco-conseil. Il est actuellement professeur titulaire au département des sciences fondamentales de l’UQAC et dirige la Chaire en éco-conseil et l’infrastructure de recherche « Carbone boréal ». Il est un spécialiste internationalement connu pour ses travaux sur le développement durable et l’analyse systémique de durabilité. Deux outils issus de ses recherches ont été adoptés par les Nations Unies en 2017. Il a publié treize livres dont cinq sur les changements climatiques. Tout au long de sa carrière, il a reçu de nombreuses récompenses pour la qualité de son travail. En 2016, il a été nommé personnalité forestière de la région du Saguenay-Lac-Saint Jean. En 2017, il a reçu la médaille Paul Harris du Rotary International pour sa contribution à l’avancement mondial du développement durable. En 2018, il a reçu le prix d’excellence de l’Université du Québec en enseignement volet leadership.
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