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Denise Pérusse, Fonds de recherche du Québec

L’intersectorialité que nous voulons aussi promouvoir, c’est celle qui consiste à dépasser la simple réunion ou juxtaposition de plusieurs disciplines et secteurs (voire l’instrumentalisation d’une discipline ou d’un secteur par un autre) pour se saisir d’un objet de recherche.

DC - Note de Johanne Lebel, rédactrice en chef
L’opération « intersectorialité » menée par le Fonds de recherche du Québec, dont rend compte le présent article, a fait remonter à ma mémoire un entretien réalisé en 2005, pour le présent magazine (p.56), avec Louise Dandurand, alors présidente directrice générale du Fonds société culture. On pouvait y lire : « La politique québécoise de la science et de l’innovation, déposée en 2001, a joué un rôle important pour faire de la transdisciplinarité un critère central dans le financement de la recherche. Les fonds subventionnaires, par exemple, ont été restructurés en trois grandes domaines : nature et technologie, société et culture et santé ». Et Louise Dandurand de commenter : « On est à des années lumière d’il y a dix ans, alors que le financement était organisé autour de comités de disciplines. Aujourd’hui, nous reconnaissons la transdisciplinarité et contribuons à la forger. L’essentiel de la programmation, dont les regroupements stratégiques, va dans cette direction. »1 Autre étape, les FRQ travaille désormais au dialogue entre les trois grands Fonds. Les disciplines, comme les secteurs, pourrions nous dire, sont des catégories de la connaissance construites pour servir. Pour un temps, pour un lieu, pour un projet. Elles ne sont pas immuables, et toujours à refaçonner. 

Légende de l'image : Série de témoignages autour de la recherche intersectorielle, réalisée par les Fonds de recherche du Québec.

Dépasser la simple juxtaposition

Telle que la vivent les trois Fonds de recherche du Québec, sous l’impulsion de Rémi Quirion, le scientifique en chef, l’intersectorialité consiste en la conjonction opérée entre les trois unités administratives regroupant toutes les disciplines de la recherche universitaire. Mais cette définition simple exige quelques précisions. Elle repose en effet sur une division des disciplines de la recherche en fonction des secteurs chapeautés par les Fonds, tels que définis dans leur structure légale, soit : sciences naturelles et génie (SNG), sciences sociales et humaines, arts et lettres (SSHAL) et santé.

Mais l’intersectorialité que nous voulons aussi promouvoir, c’est celle qui consiste à dépasser la simple réunion ou juxtaposition de plusieurs disciplines et secteurs (voire l’instrumentalisation d’une discipline ou d’un secteur par un autre) pour se saisir d’un objet de recherche. Dans une perspective intersectorielle, disciplines et secteurs s’engagent donc résolument dans une approche de recherche conjointe, dont le mode d’opération se situe au-delà de la hiérarchisation des connaissances.

Nommé en 2011, M. Quirion, lui-même chercheur en neurosciences, aurait pu se contenter de gérer un organisme tricéphale, mais tant sa formation que son tempérament de chercheur le poussaient à tenter d’infléchir la simple conjonction des Fonds en une collaboration plus systématique visant l’émergence d’une véritable synergie capable de dynamiser la recherche universitaire du Québec.

Un temps de mises en relation

Tout ce potentiel à tirer des croisements, des rapprochements, des collaborations entre secteurs n’est certainement pas propre au Québec. Nous sommes, en effet, à l’échelle mondiale, à l’ère de toutes les relations, ce que symbolise bien la prévalence de tous les « inter » dont est ponctuée notre langue : interface, interaction, interactivité, interrelation, interculturel, intergénérationnel, etc. La clé pour la science du 21e siècle, on le réalise de plus en plus dans tous les domaines, c’est la capacité de faire des liens, d’établir des relations, parfois entre les réalités les plus « étrangères ». Nous en sommes au moment où la science et, plus généralement, le savoir, occupés tout au long de la modernité à atteindre la plus grande spécificité possible de leurs concepts, de leurs objets, de leurs méthodes, en un mot à discerner, distinguer, séparer, se voit au contraire amenée désormais à rapprocher, relier, mettre en réseaux, voire même comparer. Déjà, certaines disciplines au développement récent et fulgurant, de l’informatique aux neurosciences, semblent naturellement vouées, comme autrefois les mathématiques, à faire office de liens entre les disciplines et même à ouvrir un nouveau champ qu’exploiteront des pratiques parfois éloignées comme les arts, de plus en plus travaillés, quant à eux, par des concepts et même des objets émanant des diverses sciences.

La clé pour la science du 21e siècle, on le réalise de plus en plus dans tous les domaines, c’est la capacité de faire des liens, d’établir des relations, parfois entre les réalités les plus « étrangères ».

Affronter la complexité

De fait, la forme d’intersectorialité qu’appelle la répartition des disciplines au sein des trois Fonds de recherche permet d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche, d’inaugurer des cadres conceptuels inédits et de jeter un regard neuf sur des phénomènes complexes. Mieux, elle représente une réponse immensément efficace à quelques-uns des grands enjeux du Québec d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse des changements démographiques, du vieillissement de la population, de l’urgence environnementale, de développement durable, du fleuve et de son aménagement, d’entrepreneuriat, de l’omniprésence des environnements numériques, la recherche intersectorielle se présente comme une voie féconde pour répondre aux grandes préoccupations sociétales et contribuer à des avancées scientifiques importantes, et ce, en tablant non seulement sur la richesse propre à chacun des secteurs, mais en proposant des maillages et des croisements d’approches permettant de trouver des solutions innovantes et socialement acceptables.

L’intersectorialité n’est pas chose nouvelle

Le rapprochement entre les secteurs est déjà bien présent dans certains domaines de recherche. Depuis belle lurette, les chercheurs du Fonds de recherche en santé, par exemple, collaborent avec des chercheurs des deux autres Fonds : avec les chercheurs des diverses disciplines qui constituent les sciences sociales telles que regroupées au sein du Fonds Société et culture d’une part, ainsi qu’avec les biologistes, informaticiens et ingénieurs du Fonds Nature et technologies d’autre part. Il est courant de retrouver des collaborations de plusieurs secteurs ou des regroupements de disciplines dans un continuum logique (ex. : médecine familiale, santé publique et psychologie, génie biomédical et neurosciences, sciences cognitives et langage, etc.) ou des regroupements de chercheurs d’emblée intersectoriels tant en santé que dans les autres secteurs comme l’éthique, la pédagogie ou les technologies. En clair, si la matrice intersectorielle est bien présente au cœur de plusieurs recherches, notamment dans le domaine du vieillissement, de la santé publique, de la réadaptation, de l’environnement ou de l’aménagement du territoire pour ne citer que ceux-là, l’enjeu pour les Fonds est de pousser d’un cran cette intersectorialité déjà bien présente.

Entrée des arts

Quant aux arts, ils paraissent aussi, sous leur forme actuelle, devoir jouer un rôle moteur dans le développement de cette intersectorialité dont bien des chercheurs pensent qu’elle devrait être un stimulateur extraordinaire de créativité et un moyen de découvrir et d’innover encore insoupçonné. Non seulement les divers programmes du Fonds de recherche du Québec s’efforcent de susciter des collaborations intersectorielles qui raffinent les anciennes pratiques interdisciplinaires, mais ils incitent les chercheurs à se regrouper selon des maillages encore inédits, où aucune des disciplines sollicitées ne serait au service ou à la remorque d’une autre : c’est en particulier le cas de ce nouveau programme Audace dont le succès, l’année de son lancement, a dépassé toutes les attentes.

De l’audace…

Lancé à l’automne 2017, le programme Audace constitue le premier-né d’une programmation des FRQ misant sur des initiatives intersectorielles à vocation exploratoire, et qui ont le potentiel de transformer radicalement la recherche et la création. La barre est haute lorsqu’on cherche à solliciter auprès de la communauté de recherche des projets qui explorent de nouveaux territoires de connaissances et qui établissent des croisements inusités entre différents domaines de recherche. À l’issue de ce premier concours pilote, une chose est claire : le Québec regorge de chercheurs audacieux. L’avenir de la recherche intersectorielle passe par l’exploration, la collaboration et la combinaison réussie des différences. Nous sommes bien à l’ère de la collatéralité, de la coconstruction du savoir, de la corecherche, bref de l’intersectorialité, à savoir l’heure où les secteurs se fécondent les uns les autres autant de leurs questions que des réponses qu’ils y donnent.

Comme l’étincelle entre deux silex, l’invention naît souvent, l’histoire des sciences le prouve, de la rencontre improbable et intellectuellement violente entre deux réalités, parfois proches, parfois fort lointaines.

Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

  • 1Johanne Lebel. "Trandisciplinarité : uen vision globale pour des défis globaux", dans Découvrir, mai-juin 2005, p.59. http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2879548?docsearchtext=decouvrir%202005

  • Denise Pérusse
    Fonds de recherche du Québec

    Directrice aux défis de société et aux maillages intersectoriels, Bureau du scientifique en chef du Québec, Fonds de recherche du Québec (FRQ)

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