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Robert Gagnon, Université du Québec à Montréal, Denis Goulet, Université du Québec à Montréal

1969, année de la sortie du microsillon Québec Love de Robert Charlebois. Parmi les titres, Tout écartillé raconte les hauts et les bas d’un jeune Québécois, perdu dans « Paris aux sept péchés », qui « étudie le béton précontraint ». Quand on sait que les programmes de bourses et d’échanges culturels entre la France et le Québec ont foisonné pendant la Révolution tranquille, on ne s’étonne pas que Charlebois en ait fait le héros de sa chanson. Pourtant, bien avant les années 1960, les voyages d’études à l’étranger en général, et en France en particulier, ont constitué un moyen pour le Québec de se doter d’une élite scientifique, artistique et intellectuelle. 

Gagnon et Goulet
Robert Gagnon et Denis Goulet

Les institutions de l’enseignement supérieur d’avant la Révolution tranquille

Une multitude d’institutions d’enseignement supérieur ont vu le jour bien avant 1960. Pensons à Polytechnique Montréal (1873), aux HEC Montréal (1907), à la Faculté des sciences de l’Université de Montréal (1920) et à l’École supérieure chimie de l’Université Laval (1920). En 1923, l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) fédère les sociétés savantes récemment fondées, toutes disciplines confondues, se faisant ainsi le porte-parole d’une jeune communauté scientifique dynamique. À l’instar de ce qui se passe en science, les décennies des années 1920 sont propices à l’éclosion de nouveaux lieux de formation en arts et en sciences sociales, économiques et politiques. Quant aux décennies des années 1940 et 1950, elles voient la création d’instituts ou de départements portant les noms des principales disciplines des sciences humaines et sociales et même la création d’une toute nouvelle université à Sherbrooke. La pédagogie et la formation des maîtres font leur entrée dans les universités francophones à partir des années 1940. Les Écoles techniques de Montréal et de Québec deviennent des terreaux propices à l’émergence de nouvelles institutions axées sur les arts comme l’École du meuble née en 1935 et l’École des arts graphiques créée en 1942. En médecine, les choses bougent comme ailleurs. Les spécialités font leur apparition dans les hôpitaux et dans les facultés de médecine bien avant la déconfessionnalisation du réseau hospitalier. 

Le programme des « bourses d’Europe »

Bref, toutes ces institutions et d’autres encore, qui sourdent tout au long de la première moitié du XXe siècle, forment, avant les années 1960, des centaines de Québécois, scientifiques, intellectuels, artistes et artisans. Ceux-ci participent au développement culturel du Québec. Or, l’apport de ces institutions n’aurait pu se faire avec autant de force sans un programme de bourses d’études à l’étranger institué par le gouvernement québécois en 1920, connu alors sous le nom des « bourses d’Europe ». Comment les dirigeants de ces institutions de l’enseignement supérieur auraient-ils pu trouver, ici, les « compétences » pour entamer la production des « compétences » dont on affirmait alors qu’elles manquaient cruellement au Canada français? 

La réussite de ce programme de bourses repose, notamment, sur le rôle que les boursiers du gouvernement vont jouer dans la transmission d’un savoir hautement spécialisé, l’émergence des pratiques de la recherche et la diffusion des courants contemporains en art. Au sein des instituts, départements et facultés universitaires francophones, les boursiers vont importer des savoirs et des pratiques qui, non seulement vont rehausser le niveau d’enseignement, mais également entamer le virage qui mène à l’université moderne, soit une institution à la fois vouée à la transmission des savoirs et à la production de nouvelles connaissances. Même l’Université McGill, qui ne manquait pourtant pas de professeurs formés le plus souvent en Grande-Bretagne, a su profiter de ce programme, puisque certains de ses diplômés, après avoir étudié à l’étranger, reviennent enseigner au sein de leur alma mater. Signalons, toutefois, que les anglophones constituent à peine plus de 10 % des boursiers et que, par conséquent, le programme de bourses du gouvernement a profité principalement aux institutions francophones. L’impact culturel et social de ce programme fut si avantageux pour le Québec que les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais cru bon de l’abolir ni même d’en diminuer l’ampleur. Quand finalement il disparaît en 1959, il aura décerné plus de 600 bourses, dont près du tiers à de jeunes médecins, le quart à des finissants en sciences humaines et sociales, plus de 20 % à des artistes et à peu près le même pourcentage à de jeunes scientifiques. 

Émergence du programme

Ce programme de bourses a, bien sûr, été marqué par les bouleversements qui touchent la société québécoise entre 1920 et 1960. D’abord, à la fin de la Grande Guerre quelques politiciens et journalistes lancent l’idée qui est prise au bond par le haut-commissaire du Canada à Paris, Philippe Roy. Ce dernier convainc le premier ministre Gouin de promulguer une loi qui permet au gouvernement de décerner des bourses pour aller étudier à Paris. La prospérité des années 1920 permet alors d’augmenter le nombre de bourses décernées annuellement et d’autoriser les récipiendaires à choisir des destinations autres que la Ville lumière. La crise économique des années 1930 ne diminue en rien les budgets de ce programme, au contraire. La Seconde Guerre mondiale, elle, marque le début d’une toute nouvelle ère. En interdisant les voyages d’études outre Atlantique, le conflit transforme les « bourses d’Europe » en « bourses d’Amérique ». Enfin, l’après-guerre, avec la réouverture des portes des institutions européennes pour les boursiers québécois, fait entrer le programme dans une troisième et dernière phase. On observe alors un clivage entre les boursiers en sciences qui vont continuer à se diriger massivement vers les universités américaines et les artistes qui préfèreront aller parfaire leur pratique en Europe. Cette dernière période est également marquée par le fait que le programme des bourses à l’étranger, jusque là sous la responsabilité du Secrétariat de la province, est pris en charge, en 1946, par le ministère du Bien-Être social et de la Jeunesse.

Des retombées hors des universités

L’apport du programme de bourses d’études à l’étranger ne se confine pas aux seules universités et écoles supérieures. Nombre de boursiers ont fait leur marque à l’extérieur du champ académique et participé, eux aussi, au développement du Québec et du Canada. Dans la fonction publique, ils ont occupé des postes de commande, et ils ont été souvent sollicités pour prendre en charge les nouvelles structures mises en place par les différents niveaux de gouvernement, dont Hydro-Québec qui a, à sa tête, un boursier lors de la nationalisation de 1963. On compte une dizaine de boursiers parmi les commissaires des grandes commissions d’enquête fédérales et provinciales, mises sur pied entre 1953 et 1985. Dans la diplomatie canadienne, certains sont devenus des ambassadeurs. 

Dans le champ politique, de nombreux boursiers ont occupé des postes de ministres et de sous-ministres. Ceux-ci se sont surtout distingués à partir des années effervescentes de la Révolution tranquille. Parmi eux, Maurice Sauvé, Jean-Luc Pépin, Maurice Lamontagne, Guy Frégault et Arthur Tremblay ne sont pas passés inaperçus. D’autres se sont imposés comme les principaux intellectuels de leur époque, participant ainsi à la définition de la société canadienne-française et, plus tard, à sa redéfinition. Victor Barbeau, Jean-Marie Nadeau, François-Albert Angers, Hubert Aquin, l’abbé Wilfrid Morin, Adrien Pouliot, Jeanne Lapointe et Jean-Marc Léger représentent qu’une partie de l’intelligentsia que le programme de bourses québécois a formée. 

Ce système de bourses a également permis à de jeunes diplômés des HEC ou de Polytechnique d’aller parfaire leur formation en affaires, en commerce et en génie. De retour au Québec, ils ont investi leur capital scientifique, acquis au MIT, à Harvard et autres « business schools », dans le champ économique. Certains ont pu ainsi créer des entreprises qui sont aujourd’hui des fleurons du Québec inc. Ainsi, Roméo Valois fonde Lalonde et Valois qui deviendra Lavalin, puis SNC-Lavalin et Henri Audet se lance dans l’aventure de la télévision en créant la station CKTM TV, socle sur lequel va s’ériger l’empire Cogeco. Or, ils sont loin d'être les seuls récipiendaires de bourses à avoir fait éclore des entreprises dans moult de secteurs. 

C’est dans le domaine artistique que l’on compte les boursiers les plus connus du grand public. Il est d’ailleurs assez surprenant de constater qu’ils constituent une part relativement importante de l’ensemble des récipiendaires de bourses, plus que les scientifiques et les ingénieurs. En musique, notamment, ils sont nombreux à avoir connu un succès, notamment les compositeurs, dont les œuvres sont jouées encore aujourd’hui. L’enfant prodige André Mathieu et son père Rodolphe en font partie, mais également Eugène Lapierre, Jean Papineau-Couture, le compositeur de musique de film Maurice Blackburn et Violet Archer, qui, à elle seule, a signé plus de 300 pièces musicales. Les chanteurs Louis Quilicot, André Turp et Léopold Simoneau, bien connus des mélomanes, ont en commun d’avoir été de récipiendaires d’une bourse d’études à l’étranger. Les cantatrices, quant à elles, représentent une importante cohorte des femmes à avoir été récipiendaires d’une bourse. Parmi elles, Pierrette Alarie n’a toujours pas été oubliée par les amateurs de bel canto. Dans les beaux-arts, les noms des boursiers révèlent des peintres, des sculpteurs, des orfèvres, des relieurs, des designers et des architectes qui ont laissé un héritage culturel que l’on peut admirer dans nombre de musées du pays, voire ailleurs dans le monde. Qu’il suffise de mentionner Rodolphe Dugay, Alfred Pellan, Jean-Philippe Dallaire, Émile Brunet, Stanley Cosgrove, Julien Hébert, Gilles Beaugrand-Champagne, Émile Venne et Marcel Parizeau. Les artistes de la scène, metteurs en scène, comédiens, acteurs et danseurs n’ont cependant pas été légion parmi les boursiers. Le Père Émile Legault, l’instigateur des Compagnons de Saint-Laurent, troupe emblématique qui a fourni tant de comédiens et comédiennes, en fait cependant partie.

Examiner les trajectoires pour en mesurer l’impact

Dans notre étude sur l’histoire du premier programme québécois de bourses à l’étranger, nous présentons les principales statistiques sur le profil des boursiers. Quelle a été leur formation, ici, au Québec? Où sont-ils allés étudier? Dans quel domaine? Quelle fut la proportion des clercs à avoir reçu une bourse? Des anglophones? Des femmes? Quels sont les montants attribués aux récipiendaires? Quel fut le mode de sélection des candidats? Nous nous penchons également sur leur séjour à l’étranger, notamment à Paris où la plupart se sont dirigés pendant l’entre-deux-guerres. Comment ont-ils vécu leur immersion dans un milieu stimulant, autant d’un point de vue intellectuel que culturel? Nous nous attardons également, dans la mesure où les sources nous l’ont permis, au programme d’études qu’ils ont suivi afin de préciser les connaissances et pratiques qu’ils ont pu acquérir.

Notre principal objectif reste cependant de rendre compte de l’impact de ce programme sur la formation d’une élite québécoise — scientifique, intellectuelle, artistique et médicale — qui a joué un rôle crucial dans le développement du Québec d’aujourd’hui. Il nous est apparu essentiel, pour atteindre cette visée, d’axer notre étude sur les boursiers eux-mêmes. Nous avons donc retracé la trajectoire du plus grand nombre d’entre eux, en mettant l’accent, quand faire se peut, sur la formation qu’ils ont reçue lors de leurs études à l’étranger. Loin de constituer un petit bataillon de figures emblématiques, ces boursiers furent assez nombreux (640) pour constituer un véritable régiment. Comment d’ailleurs les changements en profondeur de la société québécoise auraient-ils pu se faire sans une masse critique d’individus?

Leur absence dans les livres d’histoire ou dans la mémoire collective s’explique par différents facteurs. Ainsi, certains d’entre eux ne sont pas revenus vivre au Québec après leurs études à l’étranger, bien qu’il s’agisse d’une minorité. C’est le cas, surtout, des boursiers anglophones plus nombreux que les francophones à avoir succombé à l’attrait d’une carrière hors Québec. Or, ces exilés, à peu près ignorés des historiens québécois, ont, eux aussi, connu de brillantes carrières, forçant à reconnaître que ce programme, par la sélection des boursiers et leur passage dans les grandes institutions européennes ou américaines, les prédisposait à devenir des sommités dans leur domaine, ici comme ailleurs. 

Le parcours de Pierre-Raoul Gendron

La plupart des boursiers francophones, beaucoup plus nombreux que les anglophones, ont cependant œuvré au Québec après leurs études à l’étranger, sans que, pour une bonne part, leur nom ne soit pas mieux connu aujourd’hui. Qui a entendu parler de Pierre-Raoul Gendron?

Le maire Drapeau reçoit les clés du Planétarium du Dr Gendron
Le maire Drapeau reçoit la clé du Planétarium du Dr Pierre-Raoul Gendron. Source : Espace pour la vie.

Ce dernier obtient l’un des premiers doctorats en chimie de l’UdeM en 1949. Il remporte, cette année-là, une bourse du gouvernement pour aller se spécialiser à l’université Columbia à New York. Il reste aux États-Unis et participe aux recherches dans les laboratoires de la US Air Force. De retour à Montréal en 1952, il reprend son poste de professeur à la faculté des sciences de l’UdeM. L’année suivante, il devient le premier directeur de l’École des sciences appliquées que l’Université d’Ottawa vient tout juste d’inaugurer. En 1962, le magnat de la bière, E.P. Taylor, le convainc de quitter le milieu académique pour devenir président de la brasserie Dow. À ce titre, l’ancien boursier met ses énergies à promouvoir une idée qui lui tient à cœur : doter Montréal d’un planétarium. Il concrétise son projet et le Planétarium Dow (aujourd’hui Planétarium de Montréal) ouvre ses portes en 1966. Gendron devient, par la suite, président de l’Institut des pâtes et papier du Canada. Ce boursier aura ainsi contribué à l’émergence des sciences appliquées dans une université francophone de l’Outaouais en plus d’offrir, à Montréal, l’une de ses grandes infrastructures de vulgarisation scientifique.  

Le parcours de Mercier Fauteux

Dans le domaine médical, le Dr Mercier Fauteux n’a peut-être pas la notoriété d’un Armand Frappier. Or, ce boursier du gouvernement est un pionnier de la médecine expérimentale au Québec. Après l’obtention de sa bourse en 1924, il se forme auprès des grands précurseurs mondiaux de la chirurgie cardiaque à Paris. Il entreprend des recherches expérimentales inédites en cardiologie qui sont remarquées au point qu’il se trouve invité à la Faculté de médecine de Harvard par le célèbre professeur de chirurgie, le Dr Eliot Cutler, pour y prononcer le discours inaugural des cours de médecine. Le Pr Cutler l’invite alors à joindre son laboratoire. Après quelques années à Harvard, il est nommé professeur l’Université de Montréal où il poursuivra ses travaux. Le Dr Fauteux est l’un des premiers chirurgiens francophones à se consacrer quasi exclusivement à la recherche expérimentale.

L’effet de langue

L’accent, mis sur les études et la carrière des boursiers, nous permet également d’apercevoir comment la langue, le sexe et le statut de clerc ou de laïc, voire l’origine sociale, limitent ou élargissent le champ des possibles. On l’a entrevu, les boursiers anglophones ont beaucoup plus de chance de mener une carrière hors Québec que leurs compatriotes francophones. L’examen de l’ensemble des trajectoires fait ainsi ressortir comment la langue (indissociable le plus souvent de la confessionnalité religieuse) explique le choix de ne pas retourner au Québec. Ainsi, plusieurs boursiers et boursières anglophones ont rencontré leur conjoint pendant leur voyage d’études aux États-Unis, ce qui a pu les inciter, bien souvent, à rester au pays de l’Oncle Sam. Par ailleurs, McGill n’avait pas nécessairement autant besoin de ce programme de bourses pour se doter d’un corps professoral hautement spécialisé. L’université anglo-montréalaise, contrairement aux universités franco-québécoises, n’a pas constitué une filière de recrutement importante pour les boursiers anglophones. Ces derniers ont plutôt essaimé vers d’autres universités, nécessairement situées au-delà des frontières du Québec. Or, il était d’autant plus facile pour eux de trouver refuge dans ces institutions, car ni la langue ni la religion ne constituaient une barrière psychologique comme ce fut le cas pour leurs compatriotes francophones.

Seulement deux boursières en science

Si l’émancipation des femmes est un long processus qui traverse tout le XXe siècle, il ne commence à s’accélérer de façon tangible qu’avec les années 1960. Le programme de bourse d’études à l’étranger du gouvernement québécois est là pour nous le rappeler. À peine 11 % des boursiers sont des femmes. Qui plus est, la très grande majorité s’est perfectionnée dans les arts musicaux. En effet, seulement deux femmes ont reçu une bourse pour étudier en sciences, quatre en médecine et deux en droit. Encore là, on ne saurait comprendre leurs trajectoires, à bien des égards différentes de celles des hommes, sans présenter un contingent important des boursières. La multiplication des cas fait alors apparaître les obstacles qu’elles ont dû surmonter et les sacrifices qu’elles ont parfois consentis pour aller au bout de leurs rêves. Dans le contexte des années 1920-1960, on ne sera pas surpris non plus de voir, chez ces dernières, une carrière prometteuse prendre fin avec leur mariage ou se heurter au plafond de verre. 

L’origine sociale

Il nous fut impossible de retracer l’origine sociale de tous les boursiers pour en tirer des statistiques probantes. Le fait que la plupart d’entre eux ont préalablement terminé des études universitaires avant d’aller étudier à l’étranger reste un bon indice pour supposer qu’ils ne provenaient pas en majorité des classes ouvrières ou, plus largement, des classes populaires. La démocratisation de l’enseignement universitaire ne commence, en effet, qu’avec les années 1960. Les centaines de boursiers présentés dans notre étude révèlent, cependant, que la le capital hérité — culturel, social ou artistique — a joué un rôle fondamental dans l’obtention d’une bourse. C’est vrai, bien sûr, pour les artistes, dont plusieurs sont issus d’une famille de musiciens ou de chanteurs. Dans les autres domaines, les exemples sont tout aussi éloquents.

La formation d’une élite laïque

L’Église a-t-elle marqué d’une manière ou d’une autre l’histoire de ce programme de bourses dont on verra qu’il a constitué un élément clé dans la constitution d’une nouvelle élite au Québec? La question vient nécessairement à l’esprit quand on sait la place qu’occupe le clergé dans l’enseignement supérieur jusque dans les années 1960. Rappelons que la sélection des boursiers, par le Secrétariat de la province, et à partir de 1946 par le ministère du Bien-Être social et de la Jeunesse, se fait à partir des recommandations fournies par les institutions de haut savoir. Or, si les recteurs des universités francophones québécoises font partie de la haute hiérarchie de l’Église québécoise, les facultés de médecine, de droit, de sciences, les deux Écoles des beaux-arts, les Conservatoires de musique, les HEC et Polytechnique ne sont pas dirigés par des clercs. Bref, à partir de 1920, le poids de l’Église dans le champ des institutions universitaires, bien que toujours imposant, tend à diminuer au profit de celui des laïcs. La faible proportion des clercs chez les boursiers révèlent d’ailleurs que le programme de bourses à l’étranger est largement destiné à former une élite laïque. À peine 3,5 % des boursiers sont issus du clergé québécois. Qui plus est, la quasi-totalité de ces derniers obtient leur bourse pendant l’entre-deux-guerres, signalant ainsi, qu’à partir des années 1940, la décléricalisation de l’enseignement supérieur s’entame et que, pour le programme de bourses à l’étranger, elle est bel et bien consommée. Il faut dire que les clercs, par tradition ou désintérêt, s’excluent eux-mêmes de larges domaines dominés entièrement par les laïcs. La médecine, le droit, le commerce, la finance, voire l’architecture sont pour eux, pratiquement, des carrières interdites. On les retrouve en théologie bien sûr, mais également en sciences humaines et sociales tout comme en sciences. En art, leur présence paraît souvent incongrue.

Il n’en demeure pas moins que l’Église, surtout entre 1920 et 1939, exerce son influence sur un programme dont le bon fonctionnement repose en grande partie sur la bonne entente entre les dirigeants des institutions d’enseignement supérieur et le Secrétariat provincial. Plus globalement, l’Église, par son influence et ses ressources, a agi avec plus ou moins de force sur les choix de carrières d’une partie des boursiers. Dans les beaux-arts, nombre d’entre eux ont été initiés à l’art sacré. La musique sacrée constitue également un genre qui a trouvé preneur dans le groupe des boursiers en arts musicaux. En sciences sociales, certains ont été influencés par une sociologie de l’action qui, sans être complètement celle préconisée par la doctrine sociale de l’Église, favorisait l’engagement social. 

En somme, ce programme de bourses du gouvernement québécois aura marqué l’histoire du Québec, en contribuant à former une élite scientifique, intellectuelle et artistique. 


  • Robert Gagnon
    Université du Québec à Montréal

    « Formé en histoire et en sociologie à l’Université de Montréal, Robert Gagnon a développé tout au long de sa carrière des intérêts sur l’histoire des groupes professionnels, sur l’histoire de l’éducation et celle de la technologie. Sa thèse de doctorat portait sur l’émergence d’un nouveau groupe social au Canada français, les ingénieurs. Il a ensuite travaillé sur l’histoire des écoles publiques à Montréal. Ses derniers travaux portent sur la mise en place au XIXe siècle du réseau d’égouts de la Ville de Montréal ». Source : http://www.cirst.uqam.ca/chercheurs/gagnon-robert/

  • Denis Goulet
    Université du Québec à Montréal

    Denis Goulet est professeur associé et chargé d’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé à l’UQAM. Il a publié de nombreux ouvrages et articles scientifiques sur l’histoire de la médecine au Québec. 

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