Audrey Gratadour se demande "si la confusion existante à propos des mouvements de population n’est pas directement liée à une certaine défaillance du droit".
- 84e Congrès de l'Acfas - 2016
- Colloque 471 : Migrants, déplacés ou réfugiés? L’apport du droit international à la compréhension du conflit syrien
- Communication : Compréhension de la crise migratoire par le droit : menaces, défaillances et perspectives
Une crise migratoire majeure meurtrit l’Europe en ce moment. Guerre, désespoir socioéconomique. Ils s’enfuient de la Syrie, ils fuient l’Afrique. Et se retrouvent réfugiés, dans une sorte de no man’s land. Que peut le droit pour eux? Est-il lui aussi dépassé? Audrey Gratadour se demande même « si la confusion existante à propos des mouvements de population n’est pas directement liée à une certaine défaillance du droit ». Quel cadre théorique alors lui permettrait de se repenser, de s’adapter? Les limites du droit des réfugiésLa Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, de l’Organisation des Nations Unies, définit le « réfugié » et ses droits, et les obligations légales des états. Le document a connu quelques ajustements depuis, mais « ce cadre législatif montre ici ses limites parce que la situation de "crise" implique une dynamique et des réponses singulières. Et la fragmentation du droit (interne, communautaire, international) ne facilite pas le développement de réponses adaptatives », de dire la chercheuse, qui vient de déposer une thèse de droit, en cotutelle entre l’Université Laval et l’Université de Lille. Une première limite concerne la confusion des termes. Chaque législation nationale, par exemple, établit sa propre liste de pays « les plus sûrs », ce qui nécessairement complique le traitement des demandes de statut de réfugié. Traitement qui s’éternisant devient à son tour un obstacle de taille. « Ainsi les milliers de migrants coincés au camp de Grande-Synthe au Nord de la France, dans des conditions dramatiques, deviennent, malgré eux, par devers eux, une nuisance pour la communauté environnante », poursuit-elle. Pour dépasser ces limites, on peut « penser à des règles générales qui sont ensuite opérer par de petites unités s’adaptant aux territoires, aux cultures, aux réalités singulières des urgences ». Le traitement des demandes, par exemple, se réalise déjà à l’échelle des organismes comme l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) ». Ces initiatives pourraient être multipliées.
«Les théories actuelles du droit n’apportent que des réponses limitées aux obstacles posés par de telles situations de crises. Selon la chercheuse, le droit devrait alors être pensé en termes plus dynamiques».
Appel à la théorie des systèmes dynamiques complexesCependant, les théories actuelles du droit n’apportent que des réponses limitées aux obstacles posés par de telles situations de crises. Selon la chercheuse, le droit devrait alors être pensé en termes plus dynamiques. Ainsi pour réfléchir à l’élaboration d’un droit particulier applicable en période de crise, elle fait appel, comme lors de sa thèse sur l’action normative du Conseil de sécurité de l’ONU, à une théorie peu connue dans son domaine, celle des systèmes dynamiques complexes. Cette approche qu’elle a déjà mise à l’épreuve serait la plus aboutie pour étudier un système à l’échelle globale tout en intégrant les interactions qui le composent. Ces travaux sur l’interaction du droit dans la crise migratoire n’en sont qu’à leurs débuts, mais déjà Audrey Gratadour voit tout l’intérêt de l’utilisation de sa théorie à ce cas particulier. Cette théorie est favorable à une réflexion prospective, puisque ses outils permettent de tester l’efficacité d’une réglementation. De plus, elle explique, par exemple, à travers l’image de l’attracteur étrange, comment un même texte pourrait en fonction de la dureté des temps ou du fractionnement de la société, conduire à un traitement injuste des populations migrantes, alors que dans une période de prospérité, ce même texte serait un gage de justice sociale et d’intégration. Cette étrange dynamique fait dire à la chercheuse que si nous nous contentons d’une simple lecture positiviste, il y a risque de participer à la confusion de la crise.
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