Des études tant en laboratoire qu’en milieu naturel montrent que l’évolution peut être observée sur quelques générations seulement. Mes recherches doctorales visent à vérifier l’un de ces cas : l’impact évolutif de l’homme, par la chasse sportive, sur une population d’ours bruns en Scandinavie.
Vous croyez que l’évolution est un lent processus se déployant sur des millions d’années? Détrompez-vous! En sept ans, la plante annuelle Brassica rapa , de la famille du bok choy, a évolué vers une date de floraison plus hâtive en raison d’une importante sécheresse en Californie. Cet exemple n’est pas une exception. En effet, des études tant en laboratoire qu’en milieu naturel montrent que l’évolution peut être observée sur quelques générations seulement. Mes recherches doctorales visent à vérifier l’un de ces cas : l’impact évolutif de l’homme, par la chasse sportive, sur une population d’ours bruns (Ursus arctos) en Scandinavie.
L’humain, moteur de l’évolution
De par nos activités économiques et récréatives, nous effectuons un remaniement des pressions sélectives s’exerçant sur la majorité des espèces de la planète. Changements climatiques, perte et fragmentation d’habitat, pollution, etc., exposent les populations animales et végétales à de nouvelles contraintes. Puisque nos actions sont souvent drastiques et touchent de grandes superficies, on pense que leurs effets sur les populations sauvages sont de plus grande ampleur que les changements naturels.
La chasse et la pêche font partie des activités qui modifient le paysage adaptatif. En effet, elles augmentent la mortalité de plusieurs ordres de magnitude par rapport à la mortalité naturelle, d'où des conséquences sur certains traits morphologiques et traits d’histoire de vie. Par exemple, les populations de poissons sous une pression de pêche commerciale montrent une croissance annuelle plus lente, une maturation à un plus jeune âge et à une plus petite taille. Chez le mouflon d’Amérique (Ovis canadensis), la taille des cornes s'est réduite en réponse à une récolte des mâles les mieux nantis, dont les attributs finissent en trophées de chasse.
Les connaissances relatives aux effets de la pêche ou de la chasse sur l’évolution du comportement demeurent très fragmentaires. Par mes recherches sur l’impact de la chasse sportive sur l’évolution du comportement des ours bruns, j’espère contribuer à l’avancement des connaissances.
La chasse aux données
La sélection d’habitat est un comportement fondamental, puisqu’elle relie les individus aux ressources dont ils ont besoin pour survivre et se reproduire. Afin de quantifier ce comportement, il faut détenir des informations sur les endroits fréquentés par les ours et sur le type d’habitat. Avec le développement de la technologie, il est maintenant plus facile de connaître les déplacements des ours à l’aide des colliers GPS. Cependant, afin de munir les ours de collier GPS, une tâche demeure : la capture.
L’été dernier, j’ai eu l’opportunité d’assister à quelques captures réalisées par l’équipe du Scandinavian Brown Bear Research Project. Dans le cadre de mes études, je collabore avec ce groupe qui recueille des informations longitudinales sur les ours bruns en Scandinavie. Depuis 1984, plus de 750 ours ont été capturés, marqués et suivis, pour la plupart, de leur naissance jusqu’à leur décès.
Bien que la découverte scientifique et la recherche me stimulent, la capture et la manipulation des ours demeurent des moments inoubliables. Pour capturer un ours, nous l’immobilisons à l’aide d’une fléchette remplie d’anesthésique tirée à partir d’un hélicoptère. L’ours désormais bien tranquille, nous prenons plusieurs mesures morphométriques, le munissons d’un collier GPS pour suivre ses déplacements et prélevons un petit échantillon de peau. Au laboratoire, nous utilisons cet échantillon pour identifier le père et la mère afin d’élaborer le pedigree de la population.
La variabilité, la sélection et l’héritabilité
Toutes les données recueillies au cours des années par les Scandinaves m'aideront à déterminer si la chasse sportive induit une évolution du comportement chez les ours. Pour ce, je devrai vérifier la présence des trois conditions nécessaires pour qu’il y ait évolution par sélection naturelle : la variabilité, la sélection et l’héritabilité.
Afin de vérifier la première condition, soit la variabilité comportementale, je dois montrer qu’il existe des différences comportementales entre les individus. J’ai donc utilisé les localisations enregistrées par les colliers GPS pour déterminer si le comportement de sélection d’habitat étaient différents les uns des autres.
Les résultats indiquent des différences individuelles constantes à travers les années, tout en tenant compte de la proportion d’habitat disponible pour chaque ours – certains fréquentaient davantage les tourbières et d’autres, les coupes forestières. Ainsi, la première condition nécessaire à l’évolution est vérifiée.
La sélection peut être exprimée par les chasseurs. Par exemple, on pourrait présumer que les chasseurs récoltent davantage les ours qui fréquentent les coupes forestières, puisque cet habitat offre une plus grande visibilité et accessibilité grâce aux routes. Nous pouvons vérifier cette hypothèse en comparant le comportement des ours tués et le comportement de ceux qui ont survécu à la chasse. Ceci est possible, puisque, de manière générale, 10 à 20 % des ours munis de collier GPS sont abattus annuellement. Ces analyses sont en cours.
Finalement, au cours des prochains mois, je tenterai de déterminer si le comportement de sélection d’habitat est héritable. J’utiliserai les données issues des colliers GPS ainsi que du pedigree de la population afin de déterminer s’il existe une base génétique transmissible de ce comportement des adultes vers les oursons. Si tel est le cas, on pourra affirmer que le comportement de sélection d’habitat a le potentiel d’évoluer au fil des générations en réponse à la sélection imposée par les chasseurs.
À terme, je l’espère, mes travaux auront contribué à répondre à des questions théoriques stratégiques en écologie et en évolution. La connaissance de l’impact humain sur une population sauvage de grands carnivores aidera à mieux comprendre comment nos activités modifient le paysage adaptatif. Les résultats obtenus aideront également à affiner la gestion de la chasse sportive. En effet, bien que régir le nombre d’individus dans une population demeure l’objectif principal d’une saine gestion, se préoccuper de la santé génétique d’une population permet de veiller à une survie à long terme de l’espèce.
- Martin Leclerc
Université de Sherbrooke
Martin Leclerc est étudiant au doctorat en biologie à l’Université de Sherbrooke sous la supervision de Fanie Pelletier et d’Andreas Zedrosser. Auparavant, il a réalisé une maîtrise à l’Université du Québec à Rimouski sur l’impact de la foresterie sur le comportement des femelles d’une population de caribou forestier et la survie de leurs faons, sous la supervision de Martin-Hugues St-Laurent et de Christian Dussault. Par ces recherches, il désire mieux comprendre les impacts de l’activité humaine sur l’écologie et l’évolution afin d’affiner les stratégies de conservation.
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