Jusqu'à maintenant, nous avons parlé dans notre chronique d'un seul des mécanismes de la sélection naturelle, soit la lutte pour la survie. Or, il en existe un deuxième, la lutte pour la reproduction, aussi appelée sélection sexuelle.
Sélection par la séduction
Darwin introduit le concept, en trois pages, dans son maître ouvrage On the Origins of Species, en 1859. La sélection sexuelle, écrit-il, « […] depends, not on a struggle for existence, but on a struggle between the males for possession of the females; the result is not death to the unsuccessful competitor, but few or no offspring. » C’est dans son texte de 1871 The Descent of Man and Selection in Relation to Sex qu’il développera abondamment la question, en plus de 500 pages...
La sélection sexuelle affecte principalement les caractéristiques des mâles. Selon Robert Trivers (1972), un sociobiologiste américain, cette situation résulte du fait que ce sont essentiellement les femelles qui s’investissent dans la survie de la progéniture. Elles produisent de volumineux gamètes (le volume d’un ovule est 65 000 fois plus élevé que celui d’un spermatozoïde!), portent l’embryon et allaitent le nouveau-né. Elles ont donc avantage à choisir des mâles garantissant le meilleur succès reproducteur possible.
Parmi les espèces qui amènent Darwin à réfléchir à cette forme de lutte se trouvent les paons. Dans ce cas, les préférences des femelles pour les beaux plumages ont conduit à des situations extrêmes où l'ostentation, tout en entraînant un grand succès reproducteur, a rendu les mâles vulnérables aux prédateurs – ils sont, en effet, très visibles et embarrassés par leur apparat dans leurs déplacements.
Ainsi, il peut être difficile de croire que l’extravagant plumage soit un signal d’un reproducteur fiable. Mais selon la théorie du handicap de Amotz Zahavi1, dans certains cas, le fait qu’un individu puisse survivre jusqu’à l’âge adulte malgré un tel encombrement démontre qu’il possède une constitution génétique supérieure.
La beauté et le choix de nos partenaires sexuels
Le choix de nos partenaires sexuels est souvent relié à ce qu’on nomme la « beauté ». On choisit également à partir de considérations religieuses, sociales ou pécuniaires, mais même dans ces cas, on ne peut s’empêcher de juger l’apparence.
On peut croire que le beau est subjectif, mais plusieurs études2 démontrent que trois caractéristiques faciales sont généralement considérées comme attrayantes par toutes les cultures humaines : un visage « moyen », symétrique et ayant des dimorphismes sexuels.
Ainsi, nous n’aimons guère les caractéristiques faciales extrêmes ou uniques. Pour démontrer ce point, des chercheurs utilisent des logiciels produisant des visages « moyens » à partir de plusieurs personnes. Il en ressort que ces visages sont perçus comme plus attrayants. Le site faceresearch permet d’évaluer cet effet ainsi que plusieurs autres.
Par ailleurs, nous aimons les figures et les corps symétriques, dont les parties opposées ont les mêmes forme, taille et position. Un nez un peu croche, un coin de la bouche trop relevé ou une oreille un peu plus basse, et on perd des points de beauté!
Mais pourquoi préférons-nous les personnes symétriques? Parce que, à défaut de plumes à mesurer, la symétrie nous sert d’indicateur d’une constitution génétique supérieure. Étant donné que nous nous développons à partir d’une seule cellule (le zygote formé par l’union de l’ovule de notre mère et le spermatozoïde de notre père) et que toutes nos cellules contiennent le même matériel génétique, notre corps, « normalement », devrait être parfaitement symétrique. Un corps asymétrique indique donc des faiblesses de développement. Ces « défectuosités » peuvent avoir des causes environnementales, telles que des carences nutritives, des parasites ou des maladies, ou des causes génétiques, indicatives de gènes défectueux ou de consanguinité.
Du côté génétique, l’étude de Hanne Lie et de ses collègues3 appuie le lien entre beauté et qualité génétique. Ces chercheurs ont démontré que les hommes favorisés par les femmes correspondent à ceux dont certains gènes du système immunitaire (les gènes MHC, pour Major Histocompatibility Complex) sont les plus diversifiés. Étant donné qu’une plus grande diversité génétique du système immunitaire contribue à une bonne santé, il semble donc y avoir un lien entre beauté et qualité génétique.
La troisième caractéristique faciale reliée à la beauté concerne les dimorphismes sexuels, soit les différences morphologiques entre les individus mâle et femelle d'une même espèce. Chez les humains, ces différences se traduisent chez les hommes par une abondance de poils, des pommettes saillantes et une large mâchoire. De même, les femmes ayant de plus grands yeux et de grandes lèvres sont généralement considérées comme plus attrayantes.
Un homme avec une grosse mâchoire carrée ou une femme avec de grands yeux de biche, tout comme un oiseau aux plumages démesurés, témoignent d’une qualité génétique supérieure. De fait, la possession de dimorphismes sexuels accentués fait foi d’une surproduction d’hormones sexuelles. Et si ces individus sont néanmoins en bonne santé malgré cette surproduction qui diminue l’efficacité de leur système immunitaire, voilà une bonne raison pour y associer ses gènes… C’est en fait une sorte de handicap à la Zahavi.
Que nous réserve le futur?
La préférence pour les figures « moyennes » devrait mener éventuellement à la diminution du nombre de personnes ayant des caractéristiques faciales extrêmes, et ce, à travers le monde. Par contre, d’autres caractéristiques évoluent selon des préférences régionales. Par exemple, la préférence des femmes asiatiques pour les hommes moins poilus est une sélection sexuelle bien visible. Leurs hommes sont pour ainsi dire imberbes par rapport aux Européens ou aux Africains. Mais cette évolution divergente s’est opérée depuis notre migration hors d’Afrique, il y a environ 50 000 ans. Ainsi, pour que nos attirances sexuelles aient un impact significatif sur notre évolution, il faut plus que des modes passagères!
Notes :
- 1. Zahavi, A. (1975), « Mate selection - a selection for a handicap». Journal of Theoretical Biology. 53: 205-214.
- 2.Voir l’article de Little, Jones et DeBruine, 2011.
- 3. « Genetic diversity revealed in human faces». Evolution. 62:2473-2486, 2008.
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- Guy Drouin
Université d'Ottawa
Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.
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