Je ne crois pas que la classe populaire se désintéresse volontairement de la politique, de l’économie, de l’environnement, du développement social ou encore des enjeux mondiaux. Je crois que c’est un problème de langage.
De naïveté en réalisme
Fort naïve à l’époque, j’ai cru pendant longtemps que l’intelligence se gagnait à coup sûr à l’université. Pour moi qui vient d’un milieu populaire, ce grand mot, entouré d’un halo imperceptible, était garant d’une justesse des actions, d’empathie… et aussi, pourquoi pas, du respect de mes idéaux, de la paix dans le monde! Rien de moins!
C’est en côtoyant finalement cet univers, longtemps (pré)jugé inatteignable, que j’ai rencontré une déception des plus pures. Non seulement, l’université ne façonne pas forcément des êtres plus unis et plus compréhensifs envers les autres, mais elle les éloigne du reste de la population en les formant au discours savant, qui souvent sert à exclure.
Après cinq années d’études supérieures, j’ai perdu depuis, vous vous en doutez, ma naïveté et gagné en réalisme, ce qui me permet aujourd’hui de mieux démêler les forces et les faiblesses de l’institution. Je perçois désormais l’université comme une ruche d’idées et de penseurs… un maillon fondamental et indispensable au développement et à la transmission des connaissances. Mais je rêve encore d’une université qui adapterait sa richesse de sorte qu’elle soit accessible au plus grand nombre, particulièrement à ceux et celles qui, par l’exclusion dont ils sont ou non victimes, n’ont pas les moyens de prendre leur place dans la société.
Ma contribution
Je ne crois pas que la classe populaire se désintéresse volontairement de la politique, de l’économie, de l’environnement, du développement social ou encore des enjeux mondiaux. Je crois que c’est un problème de langage. Se rend-on compte, par exemple, que beaucoup de gens ne peuvent lire Le Devoir ou La Presse? Je crois que la transmission orale et imagée est encore bien plus en vigueur dans le monde populaire qu’on pourrait le croire. Le langage écrit, pour être accessible, devrait donc prendre des airs de langage parlé, avec ses intonations et ses expressions, qui font de lui une matière vivante.
Mais pour rendre la connaissance vivante, encore faut-il que le véhicule soit percutant, vibrant et passionnant, et que la matière soit adaptée. C’est pourquoi je m’applique, depuis maintenant plus de six ans – chez Exeko, un organisme que j’ai cofondé avec François-Xavier Michaux –, à créer et déployer un programme qui pourrait offrir aux personnes qui n’ont pas les clés du savoir, la chance de comprendre le monde qui les entoure, sans pour autant juger des mots qu’ils emploient pour le faire. C’est la raison d’être du programme idAction.
Je dirige ce programme depuis ses débuts avec l’œil qui est le mien, celui d’une femme issue du milieu populaire, qui a eu la chance de fréquenter les bancs universitaires, et qui souhaite par-dessus tout faire le pont.
Le projet idAction
Philosophie adaptée, réflexion politique, économique et citoyenne, études de cas, mise en place de projets solidaires, idAction est un parcours qui ouvre sur le monde. Il agit à la source de l’exclusion : ce sentiment d’incompréhension qui mène à se définir en dehors du cadre social. C’est, littéralement, la connaissance qui retourne à la rue et reprend son rôle de catalyseur.
idAction est offert en milieu carcéral, chez les jeunes adultes les plus à risque d’exclusion, et on cherche à le transformer en programme dédié aux Premières Nations du Canada.
Depuis six ans, ce programme d’Exeko est devenu source de réflexion, d'engagement et de réinterprétation du monde pour plus de 650 participants dans le besoin. Ils sont venus y chercher des outils essentiels à une meilleure compréhension de la société, mais ils y ont aussi trouvé une source d'espoir pour l'avenir.
Chaque année, des dizaines d'entre eux s'initient aux mécanismes régissant la pensée, aux rouages façonnant le tissu social, ou encore, à l’élan naturel de l’humain vers la solidarité. Ils dissèquent, analysent et réfléchissent ensemble pour ensuite passer à l’action. Mais par-dessus tout, ils prennent conscience qu'il est possible d'agir sur soi pour créer un monde plus ouvert, plus inclusif et plus solidaire.
Appel aux chercheurs
Toute l’équipe du programme se joint à moi pour lancer un appel aux chercheurs qui sont d’avis que le développement des habiletés d'esprit critique et l'aptitude à comprendre la société jouent un rôle crucial dans le processus d'inclusion sociale. Notre programme idAction en est à sa deuxième phase de développement et nous voudrions notamment évaluer son impact social.
Les possibilités de collaboration sont aussi vastes que le désir de les faire fructifier est présent : développement des contenus et ateliers de formation, stratégies d’approches innovatrices et créatives, processus d’évaluation d’impact… Domaines de spécialisation : philosophie, sociologie, éducation, pédagogie, sciences politiques, économie solidaire, psychologie, sciences cognitives, design graphique, etc.
- Nadia Duguay
Exeko
Nadia Duguay a poursuivi des études en coopération internationale et obtenu, de plus, un certificat et un B.A. Elle a cofondé Exeko en 2006 ainsi que New Democracy Productions, basé à Los Angeles, et P2P Productions, au Canada. Elle est membre du Groupe de recherche sur la médiation culturelle de l’UQAM et membre fondatrice de « La Cathédrale et le Bazar ». Son travail porte essentiellement sur les dynamiques qui émergent entre l’innovation sociale, l’inclusion, la culture et l’éducation chez les populations défavorisées, notamment en milieu autochtone, en milieu carcéral et chez les jeunes les plus à risque d’exclusion. Exeko est un organisme à but non lucratif, basé à Montréal, dont la mission est de favoriser, par l’éducation et la culture, l’inclusion et le développement des populations les plus marginalisées. L’organisme est né en 2006, avec pour mandat de positionner l’innovation en éducation et en culture comme moteur de changement social. Il conçoit l’éducation selon les principes de la pédagogie ouverte, et la culture selon ceux de la médiation culturelle. Ses réalisations lui ont valu le Fellowship d’Ashoka et le prix Coup de cœur de l’ESG UQAM en 2011, la Médaille de la paix du YMCA en 2009 et le prix Défi de l'entreprenariat en 2008.
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