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Caroline Raymond, Université du Québec à Montréal, Isabelle Oppenheim, Université du Québec à Montréal

Caroline Raymond fait de la recherche en danse avec ceux et celles qui l'enseigne, mais aussi avec les artistes qui la pratique. De ce côté, elle s'intéresse à leur production de données tout comme à leurs trajectoires méthodologiques. Dans le présent article, retrouvez un entretien vidéo avec la professeure-chercheuse, ainsi que le témoignage d'Isabelle Oppenheim, une artiste en danse qui a réalisé son mémoire de maîtrise sous sa direction. Isabelle y présente son processus d'objectivation autour de son mémoire, associant tango et « entretiens d'explicitation de l'action ».

« Faire de la recherche en danse, ce n'est pas que faire un récit d'expériences sensibles et artistiques, c'est décrire les processus inhérents à cette expérience, qui passeront alors au statut de connaissance. » 

- Caroline Raymond 

Caroline Raymond
Caroline Raymond. Source : UQAM.

Entretien avec Caroline Raymond

Pour la chercheuse, la subjectivité correspondrait au « monde du sensible, fait de sensations, de perceptions, d'impressions, de connaissances intériorisées de l'expérience; du « soi » aussi qui s'autorise à prendre parole ». Quant à la question de l'objectivité dans le champ de la recherche en arts vivants, plutôt qu’un paradigme positiviste, il est surtout question de processus d'objectivation des pratiques : « cette parfaite mise à distance où la personne devient capable de décrire, chemin faisant, ce qui conditionne son activité artistique », dit-elle. 

Son approche sollicite à la fois l'anthropologie, la sociologie, mais aussi l'ethnographie, de qui elle emprunte divers outils : entretien, observation, immersion dans le milieu, captations photo ou vidéo. Elle apprécie, entre autres, l'angle du « pacte ethnographique », exploré par Jean-Pierre-Olivier de Sardan dans son ouvrage La rigueur du qualitatif; cette idée où l'on croit en l'expérience vécue par la personne observée ou accompagnée, où son expérience est catégorisée comme une « vérité plausible, valide et valable sur les plans de l'expérience humaine et de la construction sociale ».

LIEN VERS L'ENTRETIEN VIDÉO

[Entretien réalisé par Barbara Delacourt, corédactrice invitée du dossier Objectivité+Subjectivité du Magazine de l'Acfas.]

Références

  • FORGET, Marie-Hélène et Annie Malo, (2021). (Se) Former à et par l’écriture du qualitatif, Québec, Presses de l'Université Laval, 2021, 376 pages.

  • OPPENHEIM, Isabelle (2023). L'expérience d'une connexion extatique et inoubliable entre les partenaires de tango argentin social. Mémoire de maîtrise en danse,. Université du Québec à Montréal. 

  • PAILLÉ, Pierre et Alex Mucchielli (2012). L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Éditions Armand Colin, Collection U. 424 pages

  • RAYMOND, Caroline et Marie-Hélène Forget, (2020). « Pour un usage judicieux de l’analyse par théorisation ancrée dans le champ des didactiques », dans Éducation et didactique, vol. 14, 2020, pp.31-47. https://shs.cairn.info/revue-education-et-didactique-2020-1-page-31?lang=fr

  • RAYMOND, Caroline (2024). De la cohérence de combiner des méthodes donnant accès aux mondes du représenté et du réalisé d’enseignantes de danse à l’école. Dans A. Arnaud-Bestieu et H. Duval (dir.). Transmettre la danse : état des lieux d'une décennie de recherche en France et au Québec (p. 83–93). Presses universitaires de Provence. Collection Apprendre enseigner.

  • SARDAN, Jean-Pierre-Olivier de Sardan (2008). La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique, 2008, Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 368 p. https://journals.openedition.org/amades/1080


 

[Isabelle Oppenheim a réalisé sa maîtrise en danse sous la direction de Caroline Raymond. Elle nous présente ici ses réflexions sur le « couple » au cœur du dossier. La rédaction]

Isabelle Oppenheim
Isabelle Oppenheim lors d'une pratique de tango. Source : Isabelle Oppenheim.

Quand la subjectivité fait couple avec l'objectivité

Par Isabelle Oppenheim

La connexion tango est une expérience subjective, en plus de mobiliser une expérience d’intersubjectivité. Comme en témoigne cette vidéo, avant même qu’on ne se touche, mon partenaire de tango reçoit toute mon attention. Activé, mon système perceptif s’oriente vers lui alors que nous entrons dans une étreinte rapprochée, l’abrazo. Nous sommes dans un environnement de pratique. Aussi agréable soit-il, j’oublierai sans doute rapidement ce moment dansé dans l’improvisation. Les traces de son souvenir iront se mêler aux multiples autres danses de mon vécu tango. Pourtant, ce moment n’a rien de banal. Au centre de l’attention de mon partenaire, je peux le sentir me sentir. En cet instant-même et tout au long de cette rencontre dansée, mon plaisir est ample et entier.

Nous sommes dans la connexion du tango dansé socialement, un phénomène complexe qui s’opère invariablement, avec plus ou moins d’ouverture. La connexion s’invite aussitôt que deux tangueres (danseur·euses de tango) se rencontrent dans la danse, même s’iels ne se connaissent pas. Les corps-esprits (minded bodies) entrent alors en dialogue sensoriel, physique et kinesthésique, à l’écoute mutuelle de la musique. 

"Nous sommes dans la connexion du tango dansé socialement, un phénomène complexe qui s’opère invariablement, avec plus ou moins d’ouverture", Isabelle Oppenheim 

Dans cette connexion peut parfois émerger un état intense : une extase où l’on a la sensation de ne faire qu’un avec sa ou son partenaire, la musique et l’environnement, tout en étant emporté·e au-delà de soi et du monde réel. Fugace et imprévisible, cette expérience est à la fois intime et inoubliable. C’est à ce phénomène singulier, recherché sans fin par les tangueres, que j’ai consacré mon mémoire de maîtrise.

Dans cette recherche qualitative, j’ai analysé les données subjectives recueillies auprès de tangueres ayant vécu un tel moment en dansant le tango. J’ai conduit des entretiens d’explicitation de l’action1, invitant les participant·es à entrer dans un état d’évocation, une disposition impliquant un lâcher-prise sur l’interprétation immédiate des souvenirs. Cet état est atteint grâce à des questions ouvertes stimulant une mémoire du revécu. Ce processus a permis aux participant·es d’identifier, à travers leur verbalisation, les actions matérielles et mentales posées ainsi que les sensations éprouvées lors de leur moment de connexion tango extatique et inoubliable. Par exemple: “« Nos cages thoraciques commencent à monter puis à descendre ensemble ». Le sens de cette expérience a émergé en les amenant à s’arrêter sur un instant émotionnellement marquant2. Ce sens variait selon les individus. Pour certain·e·s, il était lié à des dimensions identitaires ancrées dans l’enfance. Par exemple, l’un·e a ressenti, dans cet instant de connexion extatique, une forme d’amour rappelant celui entre un·e enfant et un parent, tandis qu’un·e autre se sentait empli·e d’une joyeuse vitalité enfantine.

Tout au long de ma démarche, j’ai veillé à appliquer une rigueur méthodologique. Lors de mes entretiens, je suis restée fidèle à la structure propre à cette technique, validant mes interprétations avec les participant·es. Par la suite, j’ai analysé et manipulé les données avec le souci de préserver la fidélité aux descriptions du revécu. Ainsi, bien que mon sujet soit éminemment subjectif, ma recherche repose sur une structure offrant un certain degré d’objectivité.

  • 1

    Vermersch, P. (2017). L’entretien d’explicitation (9e éd.). ESFED.

  • 2

    Faingold, N. (2020). Les entretiens de décryptage : de l'explication à l'émergence du sens. L'Harmattan.


  • Caroline Raymond
    Université du Québec à Montréal

    Caroline Raymond, Ph.D en éducation, est professeure au Département de danse de l’Université du Québec à Montréal depuis 2008 et qu'elle dirige depuis juillet 2022. Elle complète, en 2014, son doctorat à l’Université de Sherbrooke et obtient le Prix de la meilleure thèse (secteur des lettres, sciences humaines et sociales). En 2015, elle cofonde le Groupe de recherche interdisciplinaire en arts vivants (GRIAV) à l’UQAM . En plus d’intervenir dans les champs de la didactique de la danse et des méthodologies qualitatives et de recherche-création, ses intérêts de recherche portent sur l’éducation artistique inclusive. Elle est aussi formatrice certifiée à l’entretien d’explicitation (GREX2) depuis 2017, une méthode qu’elle réinvestit dans son enseignement aux cycles supérieurs et ses recherches universitaires.

  • Isabelle Oppenheim
    Université du Québec à Montréal

    Isabelle trouve un sens à sa vie dans l’étude du mouvement. Titulaire d’une maîtrise en danse de l’UQAM (2023), elle poursuit une certification en Body-Mind Centering. Elle explore comment une perception affinée de soi et de l’autre enrichit la connexion en danse, du tango argentin social à la danse contact improvisation. Passionnée, elle continue d’explorer et de transmettre par l’enseignement.

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