Les autres lauréat-e-s 2021-2022 de la 29e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas :
- Tom Birien pour « Attention : chutes de pierres! »
- Fanny Fronton pour « La biopsie liquide appliquée aux poissons »
Bo-doum, bo-doum, bo-doum… À chaque battement cardiaque, votre cœur propulse le sang dans les artères, pour irriguer tout votre corps de la tête aux pieds. En appliquant deux doigts sous l’os de la mâchoire, au creux de votre cou, vous pouvez d’ailleurs sentir le sang pulser au niveau de votre carotide. Cette artère majeure alimente l’organe le plus complexe du corps : votre cerveau.
Des artères majeures jusqu’aux fins capillaires
Plus on s’éloigne du cœur pour s’aventurer profondément dans le cerveau, plus les vaisseaux deviennent fins et fragiles. C’est pourquoi les artères principales, comme la carotide, se dilatent au passage du sang. Elles ralentissent ainsi sa course et l’empêchent de déferler comme un torrent dans les plus petits vaisseaux sanguins, qui ne pourraient pas tolérer une telle pression.
En bout de route, au niveau des capillaires – des vaisseaux plus fins qu’un cheveu –, le flux est très lent et n’est plus soumis au va-et-vient du cycle cardiaque. Cela permet au sang de prendre le temps d’échanger ses nutriments et son oxygène avec les neurones, et de les débarrasser des déchets qu’ils produisent.
Dans mon projet de doctorat, c’est cette circulation sanguine que je cherche à observer dans l’ensemble des vaisseaux du cerveau, car elle est cruciale pour déterminer son état de santé.
Mieux voir pour réagir à temps
En vieillissant, les artères perdent peu à peu de leur élasticité et se dilatent difficilement. La pulsation sanguine gagne alors du terrain : elle se propage de plus en plus loin dans les vaisseaux sanguins, jusqu’aux capillaires. Malmenés, ceux-ci peuvent finir par se rompre et par entraîner de petites hémorragies dans le cerveau. Les neurones qui étaient jusqu’alors alimentés par ces vaisseaux meurent, privés d’oxygène et de nutriments. La multiplication de ce genre d’événement peut entraîner peu à peu un déclin cognitif, qui se traduit par des pertes de mémoire ou d’attention. À terme, des maladies comme la démence peuvent se déclarer.
Peut-on enrayer ces effets en cascade? Il faudrait pour cela prendre le problème à la racine, car les premiers symptômes surviennent lorsque les dommages sont déjà considérables. C’est précisément le but de la technique d’imagerie que je développe au Laboratoire d’Ultrasons de Jean Provost, à Polytechnique Montréal : mesurer les pulsations du sang dans tout le cerveau, depuis les artères principales jusqu’aux plus petits vaisseaux. L’idée serait de pouvoir surveiller leur évolution au fil des mois pour éventuellement repérer des signes avant-coureurs de démence, afin d’agir avant que la maladie ne s’installe.
Des millions de bulles pour voir le flux sanguin pulser dans le cerveau
Tout comme une échographie réalisée chez les femmes enceintes, cette technique repose sur l’imagerie par ultrasons : elle ne demande donc ni chirurgie, ni radiations. Elle nécessite cependant une injection de millions de très petites bulles, déjà utilisées aujourd’hui par les médecins lors de certains examens d’imagerie médicale pour mieux visualiser le sang. Entraînées par le flux sanguin, ces bulles se promènent dans tout l’organisme durant plusieurs minutes, avant d’être naturellement éliminées par la respiration. Pendant ces quelques minutes, on réalise une échographie du cerveau en prenant des milliers d’images par seconde, à la manière d’un appareil photo qui ferait une série de clichés en rafale.
Par la suite, de puissants algorithmes sont lancés pour retrouver les bulles dans chacune des images et les suivre d’un cliché à l’autre, afin de retracer le chemin qu’elles ont parcouru. Après plusieurs heures d’analyse, à partir de toutes ces images, on peut reconstruire un film où l’on voit les bulles se propager dans le cerveau au rythme du pouls, à la fois dans les artères majeures et dans les plus petits vaisseaux sanguins.
De ce film, on peut tirer de nombreuses informations sur la taille des vaisseaux, sur la direction et la vitesse des bulles qui sont passées par là, mais aussi et surtout sur la dynamique du flux sanguin. Autrement dit, pour chaque vaisseau, on peut savoir si le sang pulse ou non.
Quelques défis à relever
Pour le moment, je n’ai testé cette méthode que sur des animaux en laboratoire. J’ai ainsi pu mesurer les pulsations du sang chez une souris dans de petits vaisseaux de seulement 30 µm de diamètre (soit un peu plus gros qu’un capillaire), mais également dans les artères principales du cerveau. Reste à savoir si cette technique est suffisamment performante pour repérer les signes d’une dégradation de l’état de santé chez une souris vieillissante . Des études sont actuellement en cours au sein du laboratoire pour répondre à cette question.
Cette méthode demande cependant de relever plusieurs défis avant de pouvoir être appliquée à l’humain. Elle repose sur des ultrasons qui sont envoyés vers le cerveau, puis qui traversent la peau, les tissus, le sang et les bulles afin d’en faire une image. Sauf qu’il y a un hic, et pas des moindres : le cerveau est protégé par le crâne, contre lequel les ultrasons rebondissent comme sur un mur de briques. Si le crâne est suffisamment fin, comme c’est le cas chez une souris, cette barrière n’est pas trop difficile à franchir ; mais pour un crâne humain, les choses se corsent. Cependant, en 2021, une équipe de chercheurs français a réussi l’exploit de former une image chez l’humain, en utilisant une méthode similaire. Il y a donc bon espoir que la méthode que j’ai développée soit un jour appliquée en clinique, et qu’elle puisse éventuellement aider à mieux dépister les signes précurseurs de démence.
- Chloé Bourquin
Polytechnique Montréal
Chloé Bourquin est étudiante au doctorat en génie biomédical à Polytechnique Montréal, au Laboratoire d’Ultrasons de Jean Provost. Elle est titulaire d’une maîtrise recherche dans le même domaine, et d’un diplôme d’ingénieur (ESPCI Paris). Elle a participé au concours de l’Acfas Ma Thèse en 180 secondes en 2021, pour lequel elle a remporté la compétition universitaire et représenté Polytechnique Montréal à la finale nationale. Emballée par cette expérience et encouragée par son directeur de recherche, elle décide de se lancer en journalisme scientifique en parallèle de ses études. Elle effectue dans la foulée deux stages chez La Presse et l’Agence Science-Presse. Depuis, elle jongle avec plusieurs casquettes : à côté de son doctorat, elle est pigiste pour des médias comme La Presse et Québec Science, chroniqueuse radio à l’émission Moteur de Recherche sur ICI Radio-Canada Première, ainsi que recherchiste et co-rédactrice de vidéos de vulgarisation scientifique pour Viviane Lalande (Scilabus).
Chloé Bourquin est lauréate de la 29e édition du concours de vulgarisation de la recherche de l’Acfas.
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