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Claudia Picard-Deland, Université de Montréal

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À bord d’une voiture volante, en se faisant pousser des ailes, en tournoyant, à reculons, ou encore les bras projetés vers l’avant : les manières de voler dans les rêves sont multiples. C’est au Laboratoire des rêves et des cauchemars, situé à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, que se déploient ces diverses positions de vol sous les paupières de participants endormis. Sur un écran dans la chambre voisine, l’activité de leur cerveau est patiemment inspectée dans l’attente du moment optimal pour les réveiller et faire la collecte de leurs rêves. Un peu plus tôt, ces mêmes participants faisaient l’expérience d’une simulation de vol en réalité virtuelle. Le but de l’expérience? Provoquer des rêves de vol en laboratoire pour mieux étudier le phénomène.

Des sensations en lien avec la gravité, telles que le fait de voler, de tomber ou d'avoir les jambes lourdes, sont typiques du pays des rêves. La plus agréable d’entre toutes, voler, a un bagage interculturel riche et a inspiré de nombreux récits folkloriques et traditions mystiques. C’est l’une des expériences les plus exaltantes que l’on puisse vivre – éveil inclus – et l’une des activités les plus prisées par les rêveurs lucides expérimentés qui peuvent contrôler leurs rêves. Si certains leur attribuent une symbolique de liberté ou d’ambition, d’autres y verront plutôt le produit de notre système vestibulaire, c’est-à-dire le réseau de neurones qui contribue à notre équilibre, qui se réactiverait durant le sommeil. On estime que près de la moitié de la population fera l’expérience d’un rêve de vol au moins une fois dans sa vie nocturne. Pourtant, ces rêves sont rares, ne constituant que de 1 à 2 % de la totalité des rêves, et demeurent à ce jour bien peu étudiés.

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Le tapis volant, par Viktor Vasnetsov (1880). Huile, toile. Source: Wikimedia Commons

Apprendre à voler

Lorsque nous dormons, notre cerveau réactive spontanément les traces de mémoire de nos expériences récentes afin de renforcer et d'intégrer ces souvenirs. Certains éléments de ces souvenirs, particulièrement ceux qui sont intenses ou saillants, seront rapidement incorporés dans nos rêves la nuit suivante (pensez à un film d’horreur qui aurait hanté vos nuits par la suite). En se basant sur ce principe, mon projet de doctorat visait à créer une expérience de vol qui serait immersive, nouvelle et marquante afin d’augmenter les chances qu’elle soit réactivée dans les rêves. Notre outil : la réalité virtuelle. Plus de 135 participants ont ainsi appris à « voler » sous un casque de réalité virtuelle dans un paysage de montagnes, de tunnels et de sphères flottantes. La vitesse et l’orientation de leur vol pouvaient être contrôlées en utilisant deux manettes ainsi que des mouvements du corps entier, créant une impression réaliste de voltige et de vertige.

Immédiatement après cette simulation de vol, et quelques biscuits soda pour les estomacs plus fragiles, les participants ont fait une sieste au laboratoire. Celle-ci était enregistrée par polysomnographie, c’est-à-dire par des électrodes qui enregistrent à la fois l’activité cérébrale, l’activité musculaire et les mouvements des yeux durant le sommeil. Ces enregistrements permettent d’identifier l’arrivée du sommeil paradoxal, un stade du sommeil où nos yeux font des mouvements rapides et saccadés, où nos muscles sont presque entièrement paralysés, et où notre cerveau est très actif et fort probablement en train de rêver. C’est le moment optimal pour réveiller les participants et leur demander un rapport détaillé de leurs rêves. Après l’expérience, les participants ont tenu un journal de rêves tous les matins pour plus d’une semaine.

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Participante qui dort au laboratoire après l’expérience de réalité virtuelle. Son sommeil est enregistré par polysomnographie. Source : Laboratoire des rêves et des cauchemars

Arrive le moment préféré de tous chercheurs en science du rêve : la lecture des récits. Plus de 1500 récits de rêves ont ainsi été collectés avant, pendant et après l’expérience, pour lesquels les différentes thématiques en lien avec la gravité (voler, tomber, etc.) ont été minutieusement notées. L’effet de la réalité virtuelle sur les songes des participants est somme toute flagrant. La fréquence des rêves de vol est passée de 1.3% avant l’expérience à 7.1% pendant la sieste (soit 5 fois plus fréquents), et jusqu’à 10.6% la nuit suivante (soit 8 fois plus fréquents). Les participants ont aussi rapporté avoir plus de contrôle sur leurs rêves de manière générale à la suite de leur visite au laboratoire. Certains ont même incorporé des manœuvres de la réalité virtuelle (par exemple accélérer en éloignant les bras du corps) pour mieux maîtriser leur vol au sein du rêve. La simulation de vol a ainsi agi en tant que gabarit pour pratiquer, ou « incuber » un type de rêve bien précis.

Lorsque nous dormons, notre cerveau réactive spontanément les traces de mémoire de nos expériences récentes afin de renforcer et d'intégrer ces souvenirs. Certains éléments de ces souvenirs, particulièrement ceux qui sont intenses ou saillants, seront rapidement incorporés dans nos rêves la nuit suivante.

Générateurs d’illusions

Comment est-il possible d’avoir l’impression de voler tout en dormant? La réponse semble être liée au phénomène de vection, soit l'illusion d’être en mouvement tout en étant immobile. Un exemple commun de vection se produit lorsque nous sommes assis dans un train stationnaire près de la fenêtre et que le départ du train voisin nous donne l’impression de bouger dans le sens opposé. Cette illusion est généralement déclenchée par une stimulation visuelle, telle qu'un flux optique ou un changement dans le paysage : c’est précisément ce qui crée la sensation de mouvement dans une simulation de réalité virtuelle.

Les rêves étant majoritairement visuels, nous pensons que des mécanismes similaires de vection pourraient être réactivés durant notre sommeil. La différence est que dans les rêves, ce flux optique serait généré entièrement par notre cerveau endormi afin de produire cette sensation illusoire de voler. Étudier de plus près les récits de ces rêves permet aussi d’identifier certains facteurs intrinsèques qui amplifient cette sensation de voler, tels que sentir le vent sur sa peau ou se tenir près du sol ou d’une surface en volant pour augmenter l’illusion d’accélération. L’observation de ces rêves pourrait donc en retour améliorer les technologies de simulation de vol pour les pilotes ou les joueurs.

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Participante qui fait la simulation de vol en réalité virtuelle. Source : Laboratoire des rêves et
des cauchemars

Au-delà du vol

Le fait de voler dans les rêves pourrait faciliter l’apparition d’un autre phénomène connexe : le rêve lucide, c'est-à-dire un rêve où nous sommes conscients d’être en train de rêver. Plusieurs rêves de vol montrent en effet des niveaux élevés de lucidité, parfois déclenchés par le fait même de voler (« je vole donc je dois être en train de rêver ! »), permettant à certains de prendre plein contrôle de leurs prouesses aériennes. Si l’on peut se pratiquer à voler dans les rêves, cela pourrait en outre faciliter le rêve lucide ou aider à mieux contrôler les rêves de manière plus générale. Ces habiletés peuvent à leur tour être bénéfiques pour vaincre les mauvais rêves et traiter les cauchemars chroniques.

À une ère où la technologie se développe rapidement, son utilisation pour diriger le contenu des rêves est également en plein essor. D’autres techniques de stimulation durant le sommeil sont présentement à l’étude. Si les implications thérapeutiques, artistiques et récréatives sont nombreuses, cette nouvelle science du rêve devra aussi se développer en tenant compte des considérations éthiques qui pourraient faire surface à l’idée d’infiltrer ce monde intime et encore quasi intouché.


  • Claudia Picard-Deland
    Université de Montréal

    Claudia Picard-Deland est candidate au doctorat en neurosciences à l’Université de Montréal. Elle travaille présentement au Laboratoire des rêves et des cauchemars au Centre d’études avancées en médecine du sommeil à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal avec le Dr Tore Nielsen. Ses intérêts de recherche portent principalement sur le sommeil, les rêves et la mémoire. Dans ses recherches, elle s’intéresse également aux rêves lucides, aux cauchemars, au phénomène de voler dans les rêves et aux faux éveils. Elle œuvre dans le milieu de la vulgarisation scientifique à travers l’enseignement, l’écriture et les médias. Elle fait partie de l’équipe éditoriale de la revue Dire de l’Université de Montréal, est coordonnatrice pour l’enseignement des neurosciences en milieu carcéral avec l’organisme Mission Cerveau, et est un membre actif de la campagne canadienne du sommeil Dormez-là-dessus.

    La proposition de Claudia Picard-Deland a été retenue comme coup de pouce / coup de cœur de la 28e édition du concours de vulgarisation de la recherche de l’Acfas.

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