[Note de la rédaction : Le présent article est paru initialement dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir. L'ouvrage a été publié sour la direction d'Emmanuelle Bernheim et de Pierre Noreau, aux Presses de l'Université de Montréal, en 2016]
On entend souvent que le parcours de la thèse confine le doctorant1à l’isolement2. Cette affirmation n’est certainement pas fausse en soi, mais elle appelle des nuances que nous souhaitons explorer dans ce texte. Ainsi, il nous semble plus juste, d’entrée de jeu, de parler des isolements qu’impose le travail de thèse. Cette conception plurielle de l’isolement traduit l’idée d’une diversité de moments, de durées, d’intensités et de formes d’isolement qui peuvent fluctuer en raison de facteurs divers, par opposition à une conception monolithique et linéaire révélant un état uniformément présent, du premier au dernier jour du parcours doctoral.
En partant de cette vision, nous proposons une réflexion qui s’appuie principalement sur l’expérience vécue de l’auteure, en tant que doctorante et observatrice privilégiée de ses pairs sur les formes d’isolement qui ponctuent le parcours doctoral (I) et sur les stratégies permettant de les transcender (II), pour permettre aux doctorants d’être de véritables « acteurs » de leur thèse.
I. Les isolements du doctorant
Au cours de son parcours, le doctorant est confronté à diverses formes d’isolement qui colorent les étapes de la recherche et de la rédaction de la thèse. Aux fins de la présente réflexion, nous entendons par « isolement » la situation du doctorant qui est séparé des autres, que cette situation soit attribuable à son souhait, qu’elle soit imposée par la nature ou les circonstances du travail ou qu’elle soit ressentie comme telle par le doctorant, sans égard à la réalité factuelle. Les formes d’isolement qui nous semble être les plus représentatives du parcours doctoral sont les suivantes : l’isolement intellectuel (A), l’isolement psychologique (B) et l’isolement social (C),3 mais nous n’excluons pas qu’il puisse en exister d’autres. Bien que nous distinguions ces catégories à des fins heuristiques, elles peuvent, dans les faits, être interreliées et interdépendantes.
A. L’isolement intellectuel
L’isolement intellectuel est inéluctable au cours du parcours doctoral. Le processus de réflexion intellectuelle étant, par essence, personnel, il nous convie en effet à une profonde rencontre avec nous-mêmes qui ne peut se déployer autrement que dans l’intimité de sa pensée. L’isolement créé par cette démarche est nécessaire au travail doctoral puisqu’il offre les conditions permettant de s’approprier le savoir, d’en dégager une compréhension personnelle et d’y ajouter une contribution, aussi modeste soit-elle, originale et unique. Sur cette voie, l’isolement du doctorant devient un corolaire de son autonomie intellectuelle et de sa capacité à penser par lui-même4. Il ne se vit cependant pas sans heurts et, à la différence des autres formes d’isolement, se présente rapidement dans l’aventure doctorale et ne quitte plus par la suite le chercheur et ce, même après le dépôt de la thèse de doctorat.
Cet isolement en est un qui se vit au plan idéel et cognitif et prend forme au fur et à mesure que le doctorant s’engage dans le travail de défrichage et de découvertes. Lorsqu’il franchit la frontière du monde connu pour explorer de nouvelles contrées, le doctorant pénètre au cœur de la zone de l’isolement intellectuel. Muni d’une question de recherche qui lui est propre, il s’aventure alors dans un antre qui, de par son immensité peut s’avérer hautement stimulant ou qui peut, à l’inverse, pétrifier et nuire à l’avancement du travail. Le doctorant se confronte alors aux multiples défis que présente l’isolement intellectuel propre à la recherche scientifique.
Un de ces défis consiste à faire les choix qui s’imposent pour pouvoir progresser dans le travail5. Il peut alors s’agir d’avancer dans une voie et d’en abandonner d’autres, d’opter pour un type d’analyse plutôt qu’un autre, d’étudier certains concepts de manière plus périphérique que centrale, etc. Ces choix, nombreux, doivent se faire au fur et à mesure de l’avancement des travaux, alors pourtant que le doctorant est lui-même en plein processus de découvertes. Certes, dans ces cas, son directeur de thèse et/ou autre figure intellectuelle signifiante, le cas échéant, peut aider et éclairer6, mais il n’en demeure pas moins que c’est le doctorant lui-même qui est le mieux placé pour faire ces choix, qu’il en est le seul responsable et qu’il doit les assumer, jour après jour, tout au long de sa recherche7.
Un autre défi important auquel le doctorant ne peut échapper, puisqu’il est central dans l’expérience doctorale, est celui de l’affranchissement intellectuel. Cet affranchissement consiste à avancer des perspectives théoriques ou analytiques, à proposer des angles jusqu’alors non abordés, des pistes de réflexion non explorées, en s’appuyant sur son propre travail, sans pouvoir complètement s’en remettre à la littérature préexistante. D’un défi, l’isolement intellectuel peut alors devenir la force du doctorant qui, à travers lui, se forge une identité intellectuelle personnelle. Enfin, la capacité à avancer à tâtons, dans une certaine obscurité, et à faire de ses intuitions personnelles une véritable boussole, en lieu et place de chemins balisés, constitue également un défi de taille qui se doit d’être assumé. Bien souvent, ces conditions ébranlent le doctorant et peuvent avoir pour effet d’entraîner des digressions dans la recherche, de la fuite en avant dans les lectures qui forment alors les derniers remparts auxquels se rattacher pour éviter de se retrouver seul, devant l’impression du vide8.
Un [...] défi important auquel le doctorant ne peut échapper, puisqu’il est central dans l’expérience doctorale, est celui de l’affranchissement intellectuel. Cet affranchissement consiste à avancer des perspectives théoriques ou analytiques, à proposer des angles jusqu’alors non abordés, des pistes de réflexion non explorées, en s’appuyant sur son propre travail, sans pouvoir complètement s’en remettre à la littérature préexistante.
L’isolement intellectuel du doctorant est intimement lié à sa condition et il ne peut s’en détourner puisqu’il fait partie intégrante de la recherche doctorale. Le fait de nommer et de reconnaître le phénomène contribue cependant à le normaliser et est susceptible d’accroître la capacité des doctorants à s’en saisir pour en faire une force créative, plutôt qu’un gouffre. Il n’est toutefois pas exclu qu’il engendre d’autres formes d’isolements, tel l’isolement psychologique avec lequel il entretient, généralement, des nombreux liens.
B. L’isolement psychologique
Nous entendons par isolement psychologique celui qui se vit dans le for intérieur du doctorant, dans ses doutes, ses peurs et ses angoisses et qui est souvent tributaire de l’isolement intellectuel, bien qu’il puisse aussi être attribuable à d’autres facteurs.
Comme nous l’avons vu, le parcours de la thèse place le doctorant au cœur d’une démarche visant l’acquisition de son autonomie intellectuelle. Ce travail le confronte sans cesse aux limites de ses propres connaissances et lui fait profondément prendre conscience de l’infinité des savoirs. Dans un tel contexte, le doctorant peut rapidement sentir qu’il n’est pas à la hauteur et être envahi par un sentiment d’imposture9. Le fait également de contribuer à l’avancement des connaissances en proposant des éléments nouveaux peut générer des doutes et des angoisses qui certes, peuvent être amoindris par la supervision du directeur de thèse ou la révision par les pairs, mais qui peuvent aussi subsister en raison précisément du caractère innovateur de la proposition qui, par définition, n’a pas été précisément exploré par les pairs.
La durée du travail doctoral, qui s’échelonne sur plusieurs années, peut aussi contribuer à transformer, chez le doctorant, des doutes ponctuels en doutes permanents et créer chez lui de réelles tensions. Il peut en venir jusqu’à mettre en doute sa capacité de pouvoir un jour terminer et déposer sa thèse de doctorat10. Le fait aussi de devoir, parallèlement au travail intellectuel relié à la thèse, se créer une identité professionnelle peut entraîner des doutes et de la confusion chez le doctorant, dans un environnement où la carrière académique est hautement valorisée sans qu’il n’y ait pour autant suffisamment de postes pour permettre à tous les doctorants de développer leur carrière dans le milieu universitaire.
Ces doutes et ces incertitudes sont rarement exprimés par les doctorants11, soit parce que leur isolement social ne leur en donne pas l’occasion, soit parce qu’ils croient être les seuls à y être confrontés et n’osent pas en parler, de peur de porter atteinte à leur crédibilité auprès du directeur de thèse ou des autres professeurs ou de nuire à leurs collaborations avec les collègues étudiants. Le fait de taire ces sentiments peut mener à des interrogations plus profondes sur ses capacités, ses buts et objectifs et plus généralement, sur soi-même12. Cette situation peut s’avérer contre-productive et enfermer le doctorant dans un isolement psychologique qui, allié à l’isolement intellectuel, vient renforcer l’isolement social, dans un processus tendant à s’alimenter de lui-même. De plus, l’intensité du parcours doctoral est souvent méconnue en dehors des murs de l’université et le doctorant peut facilement se sentir seul face aux réalités auxquelles il est confronté, et ce, même s’il est entouré.
...l’intensité du parcours doctoral est souvent méconnue en dehors des murs de l’université et le doctorant peut facilement se sentir seul face aux réalités auxquelles il est confronté, et ce, même s’il est entouré.
C. L’isolement social
L’isolement social13 renvoie à l’absence de socialisation du doctorant qui se coupe, sciemment ou non, de son réseau social, familial et/ou amical, le cas échéant, en raison de son travail ou en raison des effets de l’isolement intellectuel et/ou psychologique avec lesquels il doit composer.
Le travail relié à la thèse est long, exigeant, souvent nouveau pour le doctorant et demande un grand investissement intellectuel et personnel. Dans la mesure où ce travail n’impose pas d’horaire prédéterminé, il est facile, voire même rassurant, de lui donner toute la place d’autant plus que le fait de s’en éloigner, le temps d’une soirée, d’un week-end, peut aisément entraîner, chez le doctorant, un sentiment de culpabilité. Dans un tel schéma, le doctorant peut ressentir une perte d’intérêt à socialiser, son esprit étant entièrement absorbé par son travail ou peut être privé de socialisation en raison d’un horaire surchargé.
L’incompréhension des proches, et de l’entourage, à l’égard des défis que représentent le travail associé à la thèse et l’ensemble du parcours doctoral, voire la dévalorisation sociale du statut de doctorant peuvent aussi contribuer à cet isolement. L’identité sociale du doctorant comporte des contours fuyants. Ce dernier peut être perçu comme un adulte étudiant, qui « ne travaille pas » et le sentiment de devoir se justifier aux yeux des tiers peut être un irritant pour le doctorant. Ses moyens financiers limités sont aussi un frein aux activités de socialisation; son revenu annuel représente bien souvent une mince fraction de celui des amis actifs sur le marché du travail14.
Alors que l’isolement social peut être vécu difficilement, il s’avère aussi, de temps à autre, et de manière plus marquée à certains moments de la thèse, indispensable à la progression du travail. À cet égard, il peut être particulièrement ardu pour les doctorants qui sont aussi parents de réunir les conditions de cet isolement. La parentalité prémunit certes les doctorants d’un isolement familial, mais elle pose à la fois des défis15 pour ces derniers qui doivent composer avec des plages délimitées de solitude qui ne correspondent pas toujours aux moments les plus favorables au travail intellectuel. Cette question est directement traitée ailleurs dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir.
Le fait de reconnaître, dès le début de la thèse, les isolements qu’impose le parcours doctoral peut certainement contribuer à normaliser le phénomène et ainsi accroître la capacité des doctorants à anticiper ces périodes en les appréhendant davantage comme des réalités à circonscrire plutôt que comme une fatalité.
II. Circonscrire les isolements par une posture doctorale proactive
Le fait de reconnaître, dès le début de la thèse, les isolements qu’impose le parcours doctoral peut certainement contribuer à normaliser le phénomène et ainsi accroître la capacité des doctorants à anticiper ces périodes en les appréhendant davantage comme des réalités à circonscrire plutôt que comme une fatalité.
Ainsi, une conscience de cette réalité favorise le développement de stratégies qui permettent au doctorant de baliser ses isolements afin qu’ils offrent les conditions propices à l’avancement des travaux sans devenir pour autant trop lourds à porter. Ces dernières sont nombreuses et sont susceptibles de varier d’un individu à l’autre en fonction des intérêts, des aptitudes, des opportunités, mais elles ont toutes en commun de reposer, à la base, sur l’idée d’une posture proactive. Nous en présentons ici quelques-unes, sans prétendre à l’exhaustivité. Les premières englobent les stratégies d’intégration au milieu et les collaborations (A) alors que les secondes regroupent les stratégies relationnelles organisationnelles et de partage des connaissances. Dans l’ensemble, elles contribuent à la construction de la socialisation académique du doctorant.
A. L’intégration au milieu et les collaborations
Trois facteurs nous semblent favoriser l’intégration au milieu universitaire : le travail sur place (1), l’implication dans les activités institutionnelles (2) et les collaborations avec les collègues et les professeurs et chercheurs (3).
1. Le travail sur place
Il est indéniable que l’intégration au milieu universitaire peut être facilitée par le fait de travailler sur place, en obtenant par exemple un bureau à la faculté, au département ou dans un centre de recherche. Les rencontres avec les collègues doctorants et les chercheurs postdoctoraux qu’on y côtoie ont une valeur inestimable. Elles facilitent la compréhension du milieu, créent des opportunités de collaborations et permettent d’échanger sur les réalités académiques et personnelles qui colorent le parcours doctoral.
2. L’implication dans les activités institutionnelles
Il est primordial pour le doctorant de prévoir, tout au long de son parcours, des occasions où il pourra exposer aux pairs les fruits de ses recherches. Les échanges qui naissent à ces occasions lui permettent de confronter ses idées, de les opposer à d’autres perspectives et sont autant d’occasions précieuses de briser l’isolement intellectuel. À cette fin, de nombreux évènements sont organisés et prévus dans le cadre institutionnel, tels les séminaires et colloques étudiants. Les revues étudiantes constituent également un bon tremplin pour les premières publications.
3. Les collaborations avec les collègues, les professeurs et chercheurs
Enfin, les collaborations de recherche avec les professeurs et les collègues doctorants ou post-doctorants sont des expériences hautement formatrices et susceptibles de transcender les trois formes d’isolement dont nous avons traitées dans ce texte. Que ce soit à travers la co-organisation de colloques scientifiques, la corédaction d’articles16 ou d’ouvrages, la codirection de numéros thématiques ou spéciaux de revues scientifiques, d’ouvrages collectifs ou d’actes de colloques, la participation à des conférences à l’étranger; toutes ces initiatives sont grandement structurantes et permettent de mieux comprendre les rouages du monde universitaire. De notre point de vue, cette socialisation académique n’est pas encore suffisamment exploitée dans les facultés de droit17 alors pourtant qu’elle a un impact positif sur l’obtention du diplôme18 et sur le développement de la carrière académique19.
En contexte de recherche interdisciplinaire, les diverses stratégies évoquées connaissent des textures différentes. Elles sont alors l’occasion d’une double rencontre avec l’autre et préserve le doctorant d’une autre forme possible d’isolement; l’isolement disciplinaire, et lui exige de développer un « regard oblique »20 sur sa propre discipline21.
B. Les stratégies relationnelles, organisationnelles et de partage des connaissances
De nombreuses autres stratégies, appelées à se décliner au sein et en dehors du milieu universitaire, sont tout autant susceptibles de baliser les isolements associés au travail de thèse. Il s’agit des stratégies relationnelles et de partage des connaissances (1) et organisationnelles (2).
1. Stratégies relationnelles et de partage des connaissances
Le fait d’entretenir des liens avec les milieux professionnels peut par exemple, selon la discipline, le parcours et les objectifs poursuivis par le doctorant, offrir des opportunités de diffusion des travaux, ou de collaborations diverses. Les implications en milieu communautaire et dans la collectivité sont également des stratégies qui ont pour effet d’ancrer le doctorant dans les réalités sociales concrètes et matérielles et offrent l’occasion de partager, de coconstruire et de diffuser ses connaissances, voire de s’engager dans la transformation sociale22.
Pareillement, l’enseignement de charges de cours impose au doctorant de sortir de son monde intellectuel pour explorer celui de la pédagogie et d’en sonder les diverses dimensions, de manière bien réelle et pragmatique. Il s’agit d’une opportunité additionnelle pour développer des liens avec les étudiants et les collègues chargés de cours et professeurs et pour partager et confronter les résultats de ses recherches et réflexions.
Plus généralement, ces relations de partage des connaissances sont appelées à connaître de nouvelles formes à l’ère du numérique. En effet, les réseaux sociaux académiques qui sont en pleine progression offrent des perspectives de production et de diffusion des travaux et de réseautage présentant un intérêt pour les doctorants souhaitant se forger une identité numérique. Plus globalement, le concept de « science ouverte »23 et les méthodes de partage et de rétroactivité des savoirs qu’il présente laissent entrevoir des façons innovatrices de briser les isolements du doctorant24. Ces stratégies sont encore à construire tout en invitant à envisager autrement les rapports entre la recherche et les citoyens25.
2. Stratégies organisationnelles
Au plan organisationnel, la planification matérielle du travail, à long, moyen et court terme forme aussi indéniablement une stratégie permettant au doctorant de se préserver de l’isolement social. Un plan de travail est un outil qui permet d’éviter que la thèse devienne un projet indomptable et favorise un certain équilibre entre la vie personnelle et le projet doctoral. Ce plan doit certes englober le travail de recherche et de rédaction relié à la thèse, mais il doit aussi, pour être fonctionnel, englober l’ensemble des activités de diffusion des travaux, de publication, de collaborations et d’enseignement qui jalonnent le parcours26. Et sur un plan plus personnel, la recherche de soutien psychosocial, en cas de besoin, peut aussi permettre de s’attaquer aux effets négatifs que peuvent entraîner certaines formes d’isolement27.
Conclusion
Les isolements qu’impose le travail relié à la thèse sont bien réels et peuvent être difficiles à vivre à certains moments du parcours doctoral. Nous avons vu toutefois qu’en les reconnaissant d’emblée, le doctorant est susceptible de les appréhender différemment. Il peut alors se donner les moyens de les baliser pour qu’ils se vivent comme des moments, des passages, parfois nécessaires à la progression du travail et inévitables, mais qui se distinguent toutefois d’un état de fatalité échappant complètement à son contrôle. Nous avons vu également que de nombreuses stratégies permettent au doctorant de sortir de ces isolements et d’agir en tant que véritable « acteur » de sa thèse28.
Cette approche proactive à l’égard du parcours doctoral doit cependant être bien dosée pour ne pas devenir le prétexte à une fuite en avant et entraîner une dispersion du doctorant. Ce risque est réel et il peut traduire une volonté d’échapper à l’isolement et au travail de fond qui prend forme dans ses confins. Dans un tel contexte, le doctorant peut voir ses années doctorales s’allonger indûment et l’horizon du dépôt de la thèse peut devenir flou.
Un savant équilibre est donc à rechercher tout en acceptant, comme prémisse de base, que le travail de recherche et de rédaction associé à la thèse convient par essence à la solitude. En balisant les diverses formes d’isolement, telles, l’isolement intellectuel, psychologique et social par des stratégies d’intégration en milieu universitaire, de diffusion et de partage des travaux, de collaborations de recherche, d’enseignement et d’implication dans la collectivité, le doctorant découvre et explore les différentes facettes de la socialisation académique. En se confrontant à ces expériences, c’est son regard sur le travail de la thèse en lui-même qui est appelé à changer. Il peut alors le situer dans un ensemble plus vaste, relié au monde extérieur et en saisir les ramifications sociales, pédagogiques, économiques, etc. Après ces passages en terre de socialisation, le doctorant trouve très souvent un confort à replonger dans ses idées et ses réflexions solitaires.
En adoptant une posture curieuse et réflexive à l’égard de ce qu’il vit, tant au plan intellectuel que personnel, le doctorant se donne les moyens de connaître, de reconnaître et de nommer les isolements auxquels il est confronté, de les accepter et d’agir pour les baliser. Il devient alors « acteur » non seulement de sa thèse, mais de l’ensemble de son parcours doctoral, seul, et à la fois bien relié au monde académique qui s’ouvre devant lui.
En adoptant une posture curieuse et réflexive à l’égard de ce qu’il vit, tant au plan intellectuel que personnel, le doctorant se donne les moyens de connaître, de reconnaître et de nommer les isolements auxquels il est confronté, de les accepter et d’agir pour les baliser. Il devient alors « acteur » non seulement de sa thèse, mais de l’ensemble de son parcours doctoral, seul, et à la fois bien relié au monde académique qui s’ouvre devant lui.
Bibliographie
Ouvrages collectifs
- Gardner, Suzan K. et Pilar Mendoza. On becoming a scholar: Socialization and Development in Doctoral Education,Virginie, Sterling, 2010
Articles scientifiques
- Azad, Ali et Frederick Kohun. « Dealing with isolation feelings in is doctoral programs » (2006) 1 International Journal of Doctoral Studies 21.
- Azad, Ali et Frederick Kohun. « Dealing with social isolation to minimize doctoral attrition: A four stage framework » (2007) 2 International Journal of Doctoral Studies 33.
- Corbel, Emmanuel. « Réflexions sur la diversité des solitudes et leurs solutions » (2006) 17 :1 Horizons philosophiques 31.
- Farchy, Joëlle, Pascal Froissart et Cécile Méadel. « Science.com, libre accès et science ouverte » (2010) 57 Hermès, numéro spécial.
- Gardner, Suzan K. « Heard it through the grapevine: Doctoral student socialization in chemistry and History » (2007) 54 (5) Higher Education 723.
- Hyun, Jenny, et al. « Mental health need, awareness, and use of counseling services among international graduate students » (2007) 56:2 Journal of American College Health 109.
- Janta, Hania, Peter Lugosi et Lorraine Brown. « Coping with loneliness: An ethnographic study of doctoral students » (2014) 38:3 Journal of Further and Higher Education 1.
- Larivière, Vincent. « On the shoulders of students? The contribution of PHD students to the advancement ok knowledge (2012) 90:2 Scientometrics 463.
- Vézina, Christine et Marilou Gagnon. «Les postures du chercheur dans ses rapports au militantisme: brèves incursions dans la recherche en droit et en sciences infirmières » (2014) 27 6:2 Aporia, accessible en ligne : <http://www.oa.uottawa.ca/journals/aporia/articles/2014_04/Vezina_Gagnon.pdf>.
Articles de magazine
- Fullick, Melonie. « La santé mentale des doctorants » Affaires Universitaires, 6 février 2012, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/la-sante-mentale-des-doctorants.aspx>.
- Tamburi, Rosanna. « Une réforme du doctorat s’impose » Affaires Universitaires, 6 février 2013, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx>.
Textes d’ouvrages collectifs
- Becker, S. Howard. « Préface. Écrire une thèse : Enjeu collectif et malaise personnel » dans Mortiz Hunsmann et Sébastien Kapp, dir., Devenir chercheur : Écrire une thèse en sciences sociales, Éditions de l’École des hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2013, 9.
- Rocher, Guy. « Le regard oblique du sociologue sur le droit » dans Pierre Noreau, dir., Dans le regard de l’autre. In the Eye of the Beholder, Montréal, Thémis, 2005, 1.
Communications
- Charbonneau, Olivier. « Le blogue du doctorant » communication prononcée lors du colloque La révolution de la science ouverte et de l'accès libre. État des débats et des enjeux. 81e congrès annuel de l’Acfas, 2013, Université Laval, Québec.
Sites Internet
- Association science et bien commun, accessible en ligne : < http://scienceetbiencommun.org/ >.
- Heylighen, Francis. « The Loneliness of the PHD Student » Evolution, Complexity and Cognition group (ECCO group), Vrijee Universiteit Brussel, accessible en ligne: <http://ecco.vub.ac.be/?q=node/61>
- Legrand, Jade. « Pistes pour la prise d’initiatives et contre l’isolement » Les Aspects Concrets de la Thèse (ACT), 29 décembre 2010, accessible en ligne : <http://act.hypotheses.org/628>.
- 1L’emploi du masculin ne sert qu’à alléger le texte et n’est aucunement discriminatoire dans ce texte. * L’auteure profite de l’occasion pour remercier ses collègues doctorantes et doctorants du CRDP de l’Université de Montréal qui l’ont accompagnée tout au long de la rédaction de sa thèse. Elle remercie plus particulièrement les codirecteurs de cet ouvrage pour leur appui précieux au cours de ce parcours.
- 2Les auteurs Azad et Kohun mettent de l’avant les liens entre isolement et abandon des études supérieures. Ali Azad, Frederick Kohun, « Dealing with isolation feelings in is doctoral programs » (2006) 1 International Journal of Doctoral Studies p.21-33; Ali Azad, Frederick Kohun, « Dealing with social isolation to minimize doctoral attrition: A four stage framework » (2007) 2 International Journal of Doctoral Studies p. 33-49. Dans un article de 2013 publié dans Affaires Universitaires, Rosanna Tamburi fait état de nombreux facteurs qui militent en faveur d’une réforme des doctorats et met de l’avant certains obstacles auxquels sont confrontés les doctorants, tels, l’insuffisance des financements, les délais d’obtention de diplôme et notamment, le sentiment d’isolement. Rosanna Tamburi, « Une réforme du doctorat s’impose » Affaires Universitaires, 6 février 2013, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx> (site Internet consulté le 4 juillet 2014).
- 3Il existe peu de littérature sur les facteurs contribuant au sentiment d’isolement des doctorants. Hania Janta, Peter Lugosi et Lorraine Brown, « Coping with loneliness: An ethnographic study of doctoral students » (2014) 38:3 Journal of Further and Higher Education p. 1-18.
- 4Dans le cadre d’une réflexion plus générale sur les solitudes, Emmanuel Corbel présente une vision de la solitude porteuse d’émancipation, « d’autonomie et de capacité à penser par soi-même » qui se rapproche de l’idée que l’isolement intellectuel du chercheur est porteur d’émancipation. Emmanuel Corbel, « Réflexions sur la diversité des solitudes et leurs solutions » (2006) 17 :1 Horizons philosophiques p. 31-45, à la p. 35.
- 5Sur cette idée de choix qui se suivent et qui font sans cesse progresser le travail, voir Howard S. Becker, « Préface. Écrire une thèse : Enjeu collectif et malaise personnel », dans Mortiz Hunsmann et Sébastien Kapp, (dir.), Devenir chercheur : Écrire une thèse en sciences sociales, Éditions de l’École des hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2013, p. 9-17, à la p. 11.
- 6Voir dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le chapitre de Pierre Noreau.
- 7Voir dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy.
- 8Dans un court texte sur l’isolement du doctorant, Francis Heylighen évoque aussi cette forme d’évasion ou de procrastination consistant à s’inventer continuellement de nouvelles tâches, telles lire de nouveaux textes, assister à des conférences, obtenir plus de données, parler à de nouveaux experts et suivre de nouveaux cours. Francis Heylighen, « The Loneliness of the PHD Student » Evolution, Complexity and Cognition group (ECCO group), Vrijee Universiteit Brussel, accessible en ligne: <http://ecco.vub.ac.be/?q=node/61> (site consulté le 4 juillet 2014).
- 9Melonie Fullick fait référence à ce sentiment d’imposture qu’elle associe au fait, pour les étudiants aux études supérieures, de se retrouver entourés d’étudiants ayant les mêmes aptitudes qu’eux. Melonie Fullick, « La santé mentale des doctorants » Affaires Universitaires, 6 février 2012, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/la-sante-mentale-des-doctorants.aspx> (site consulté le 4 juillet 2014).
- 10On sait d’ailleurs que les abandons sont une réalité pour plusieurs doctorants. Rosanna Tamburi, « Une réforme du doctorat s’impose » Affaires Universitaires, 6 février 2013, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx> (site Internet consulté le 4 juillet 2014).
- 11Rosanna Tamburi, « Une réforme du doctorat s’impose » Affaires Universitaires, 6 février 2013, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/une-reforme-du-doctorat-simpose.aspx> (site Internet consulté le 4 juillet 2014).
- 12Francis Heylighen évoque lui aussi ces interrogations. Francis Heylighen, « The Loneliness of the PHD Student » Evolution, Complexity and Cognition group (ECCO group), Vrijee Universiteit Brussel, accessible en ligne: <http://ecco.vub.ac.be/?q=node/61> (site consulté le 4 juillet 2014).
- 13Dans le cas plus particulier des étudiants étrangers, voir dans cet La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le texte de Nanette Neuwahl.
- 14Voir dans cet La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.
- 15Voir dans cet La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir les chapitres d’Isabelle Dufour et de Dominique Tanguay.
- 16Dans une étude portant sur les activités de publication des doctorants du Québec de 2002 à 2007 et sur les collaborations favorisant ces publications, Vincent Larivière démontre qu’il existe des liens entre les activités de publication pendant le parcours doctoral et l’obtention du diplôme. Vincent Larivière, « On the shoulders of students? The contribution of PHD students to the advancement ok knowledge (2012) 90:2 Scientometrics p. 463-481.
- 17Vincent Larivière fait état des facteurs qui distinguent sur ce plan les sciences sociales et humaines aux sciences naturelles et de la santé. Ibid.
- 18Voir par exemple, Suzan K. Gardner « Heard it through the grapevine: Doctoral student socialization in chemistry and History » (2007) 54 (5) Higher Education p. 723-740.
- 19Voir, Suzan K. Gardner, Pilar Mendoza, On becoming a scholar: Socialization and Development in Doctoral Education, Virginie, Sterling, 2010.
- 20Voir sur cette perspective « oblique », Guy Rocher, « Le regard oblique du sociologue sur le droit » dans Pierre Noreau, (dir.), Dans le regard de l’autre. In the Eye of the Beholder, Montréal, Thémis, 2005, p. 57-73.
- 21Concernant la situation des étudiants au profil multidisciplinaire, voir dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le chapitre d’Emmanuelle Bernheim.
- 22Pour une réflexion sur les rapports entre recherche et militantisme, voir Christine Vézina, Marilou Gagnon, «Les postures du chercheur dans ses rapports au militantisme: brèves incursions dans la recherche en droit et en sciences infirmières » (2014) 27 6:2 Aporia, accessible en ligne : <http://www.oa.uottawa.ca/journals/aporia/articles/2014_04/Vezina_Gagnon.pdf>.
- 23Sur le thème du « libre accès » à la science et de l’impact du numérique sur l’édition scientifique, consultez Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel, « Science.com libre accès et science ouverte » (2010) 57 Hermès, numéro spécial. Voir aussi le site Internet de l’Association Science et Bien commun, accessible en ligne : < http://scienceetbiencommun.org/?q=node/26> (consulté le 26 octobre 2014).
- 24Olivier Charbonneau, doctorant à l’Université Concordia a prononcé une communication sur la pertinence du blogue en tant qu’« outil rédactionnel normalisé, mais aussi un moyen d'interaction avec une communauté […] pour transmettre le savoir universitaire au profit des citoyens branchés. Olivier Charbonneau, « Le blogue du doctorant » communication prononcée lors du colloque La révolution de la science ouverte et de l'accès libre. État des débats et des enjeux, 81e congrès annuel de l’Acfas, 2013, Université Laval, Québec.
- 25 Lors du colloque intitulé La révolution de la science ouverte et de l'accès libre. État des débats et des enjeux, 81e congrès annuel de l’Acfas, 2013, Université Laval, Québec, un panel a précisément porté sur ces rapports. Le panel était intitulé « Les dispositifs de transferts de connaissances entre étudiants et société civile dans les universités québécoises : une forme novatrice de science ouverte ».
- 26Sur l’importance de diffuser ses travaux de recherche, voir dans La thèse : un guide pour y entrer... et s'en sortir le chapitre de Jean Gabin Ntebutse.
- 27Voir le texte de Melonie Fullick qui traite de la dépression chez les doctorants. Melonie Fullick, « La santé mentale des doctorants » Affaires Universitaires, 6 février 2012, accessible en ligne : <http://www.affairesuniversitaires.ca/la-sante-mentale-des-doctorants.aspx> (site consulté le 4 juillet 2014). Voir aussi cet article qui traite de la question chez les étudiants internationaux, Jenny Hyun et al., « Mental health need, awareness, and use of counseling services among international graduate students » (2007) 56:2 Journal of American College Health 109.
- 28Jade Legrand, « Pistes pour la prise d’initiatives et contre l’isolement » Les aspects concrets de la thèse, 29 décembre 2010, accessible en ligne : http://act.hypotheses.org/628 (site consulté le 2 juillet 2014).
- Christine Vézina
Université Laval
« Christine Vézina travaille sur les injustices socio-économiques et de santé. Elle mobilise les théories socio-juridiques et la méthodologie empirique pour développer des recherches qui visent à saisir le droit en action, tel qu'il est ou non mobilisé par les acteurs sociaux. Ses questionnements épistémologiques l'amènent à poursuivre des réflexions sur l'engagement de la chercheure et la recherche participative. La professeure Vézina est chercheure régulière au Centre de recherche en droit prospectif (CRDP), dans l'équipe de recherche FRQ-SC Volence-Justice (VI-J) au sein de la Communauté de recherche interdisciplinaire sur la vulnérabilité (CRIV) et de l’Observatoire sur les profilages.» (Source)
Vous aimez cet article?
Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.
Devenir membreCommentaires
Articles suggérés
-
Un nouveau regard sur la guerre de Sept Ans : les travaux de Jacinthe De Montigny -
Entre droit occidental et droit autochtone : l’étude de la représentation politique de Fannie Duverger -
Sondage - La responsabilité sociale de la communauté de la recherche : la perception des chercheuses et des chercheurs
Infolettre