En ce qui concerne Fake News : le vrai, le faux, la science, la question n'était pas « pourquoi j’ai écrit ce livre ». Comme il s’agit d’un recueil de mes textes parus dans Le Soleil — soit principalement mes chroniques de fact-checking « Vérification faite », avec quelques-unes de mes chroniques « Science au quotidien » et des billets de blogues mélangés —, presque tout était déjà écrit quand l’idée de ce livre a émergé. Le thème des fausses nouvelles était dans l’air, l’éditeur MultiMondes se montrait intéressé, la matière première du livre dormait dans des archives numériques, alors tout cela s’est ficelé aisément.
Non, la vraie question était plutôt : quels textes choisir, et comment les organiser dans un livre, d’une façon qui serait logique et efficace?
S’il est une chose que j’ai littéralement sous les yeux à longueur de semaine, c’est à quel point ces histoires de fausses nouvelles se résument souvent, en fait, à des « tons de gris ». Certaines, bien sûr, sont de pures fabrications, voire des fabulations. Qu’on se souvienne par exemple de ces « usines à fake news » de l’Europe de l’Est qui inventaient littéralement des faussetés à forte charge émotive dans le but de générer des clics et d’en tirer des revenus publicitaires.
Mais la plupart du temps, on a affaire à des « dégradés de vérité », pour ainsi dire. L’affirmation qu’on me soumet (car la plupart de mes chroniques répondent à des questions que les lecteurs m’envoient) contient une part de vrai, une véritable assise factuelle. Mais l’information se trouve mésinterprétée, à des degrés divers, selon le cas, parce qu’elle est incomplète, qu’elle manque de contexte, qu’elle a été mal comprise, etc.
Il existe des « tonnes » de manières de se tromper.
Alors j’ai voulu adopter un format, une structure, qui allait refléter non seulement ce dégradé, mais aussi la difficulté pour M. et Mme Tout-le-Monde de déceler les éléments trompeurs. J’ai donc rassemblé dans un premier chapitre les faussetés pures et simples, celles qui n’ont juste pas d’appui dans la réalité. Par exemple, la thèse défendue par le mouvement QAnon selon laquelle une « élite » mondiale de pédophiles satanistes contrôlerait nos gouvernements démocratiquement élus.
Quand ils parlent de fake news, les médias traditionnels font souvent référence à ce genre de faussetés manifestes, et il y a de bonnes raisons de le faire — après tout, quand on vit dans un monde aussi coupé de la réalité et aussi manichéen, on porte un fort potentiel de radicalisation. Mais du point de vue des dommages causés à l’information publique, je ne crois pas que ce type de mythe soit particulièrement dangereux. Les faussetés les plus grossières sont les plus faciles à démonter et à détecter, alors ce sont aussi celles qui ont le moins de chance de rallier beaucoup de gens, et/ou de persister longtemps dans l’espace public.
Ce sont plutôt les demi-vérités qui sont les plus dommageables — c’est mon chapitre 2. De toutes les fake news que j’ai croisées au cours de ma carrière, les pires, les plus difficiles à démonter et, surtout, celles auxquelles les gens qui y croient s’accrochent le plus fort, ce sont elles. Parce qu’elles sont moins flyées que la plupart des faussetés manifestes, parce qu’elles ont une apparence d’assises factuelles, il est souvent très difficile de convaincre leurs tenants de les abandonner, ceux-ci ayant le réflexe de retourner continuellement aux « faits » qui semblent leur donner raison.
Tenez : si j’avais reçu 5¢ à chaque fois qu’un lecteur m’a dit que la COVID-19 est un virus, mis au point en laboratoire, qui s’est échappé (ou qui a été relâché), je serais probablement millionnaire. Cette histoire a été démontée des tonnes de fois, les études sur la génétique du virus pointent toutes vers une origine naturelle, mais… il s’adonne que dans la ville de Wuhan, où la COVID-19 est apparue en premier à l’automne 2019, il y a un grand laboratoire de virologie « de niveau 4 », comme on dit, ce qui est le plus haut niveau de sécurité qu’un labo peut avoir. Tout indique que ce n’est rien de plus qu’un hasard, mais cela donne une patine factuelle à cette histoire, ce qui explique sans doute pourquoi elle refuse de mourir.
Ce sont plutôt les demi-vérités qui sont les plus dommageables. De toutes les fake news que j’ai croisées au cours de ma carrière, les pires, les plus difficiles à démonter et, surtout, celles auxquelles les gens qui y croient s’accrochent le plus fort, ce sont elles. Parce qu’elles sont moins flyées que la plupart des faussetés manifestes, parce qu’elles ont une apparence d’assises factuelles, il est souvent très difficile de convaincre leurs tenants de les abandonner, ceux-ci ayant le réflexe de retourner continuellement aux « faits » qui semblent leur donner raison.
Il existe une dernière catégorie de faussetés que j’aborde dans ce livre (mon chapitre 3), qui ne me fera pas beaucoup d’amis dans mon métier : les biais médiatiques. Ce sont rarement des mensonges ou des manipulations conscientes. La plupart des reporters sont des gens honnêtes qui ont sincèrement à cœur d’informer convenablement. Mais il demeure qu’ils sont tous (ou presque) dans le même genre de situation. Un journaliste, c’est quelqu’un qui est payé pour trouver des histoires à raconter, pour en trouver le plus souvent possible et les plus grosses possible, afin de générer le plus de clics possible. Cela va inévitablement orienter leur jugement pour les amener à se concentrer uniquement sur les éléments les plus tapageurs — avec pour conséquence de présenter une version parfois très, très déformée de la réalité.
Un « bel » exemple de cela est cet article paru dans le USA Today il y a quelques années. Le papier, basé sur le rapport d’un organisme environnementaliste, indiquait que pas moins de 95 % des bières et vins américains contenaient du glyphosate, l’herbicide le plus vendu au monde. Dis comme ça, ça paraissait épouvantable, mais l’article ne donnait pas le plus petit détail au sujet des concentrations qui avaient été mesurées. Or quand je suis remonté à la source et que j’ai comparé la plus forte concentration trouvée à la dose maximale recommandée par Santé Canada, je me suis rendu compte qu’il fallait boire 41 litres de ce vin-là en une journée pour la dépasser.
Cette manie de rapporter uniquement ou très principalement les taux de détection (qui donnent toujours les chiffres les plus spectaculaires) sans rien dire, ou presque, des concentrations est d’ailleurs très répandue chez les journalistes. J’aborde plusieurs exemples comme celui-là dans Fake News : le vrai, le faux, la science. Mais il y a pire…
Au fil du temps, à force de voir les déformations de ce genre faire les manchettes, j’ai fini par décider de compiler des statistiques sur la couverture médiatique de certains dossiers très techniques ou scientifiques, comme l’agriculture ou les gaz de schiste. J’ai compté, par exemple, combien de fois les articles sur un sujet donné citaient tel ou tel type de sources (experts véritables et indépendants, organisations militantes, politiciens, industrie, etc.). Et il apparaît clairement que les reporters ont une très forte préférence pour les sources qui viennent accréditer une thèse, habituellement alarmistes, quitte à mettre les vrais experts de côté.
... [j’ai compilé] des statistiques sur la couverture médiatique de certains dossiers très techniques ou scientifiques, comme l’agriculture ou les gaz de schiste. J’ai compté, par exemple, combien de fois les articles sur un sujet donné citaient tel ou tel type de sources (experts véritables et indépendants, organisations militantes, politiciens, industrie, etc.). Et il apparaît clairement que les reporters ont une très forte préférence pour les sources qui viennent accréditer une thèse, habituellement alarmistes, quitte à mettre les vrais experts de côté.
Ces résultats-là, je ne les avais jamais mis par écrit avant de les inclure dans le livre. Cela ne fait pas une grosse section de « contenu original », ces chiffres et leur explication tiennent sur une vingtaine de pages. Mais je croyais important de les publier. On dit souvent que le journalisme est ébranlé par une grave crise financière, ce qui est vrai. Or on passe encore plus souvent sous silence que le métier traverse une grave crise de confiance. Depuis les années 1970, il y a de moins en moins de gens qui font confiance aux médias. D’après la maison Gallup, aux États-Unis, il y a 50 ans, entre 70 et 75 % des Américains faisaient « très » ou « assez confiance aux médias. En 2020, ils n’étaient plus que 40 %. Et je ne peux pas m’empêcher de faire un lien entre cette chute et la manière dont les médias travaillent, l’empressement à sortir la nouvelle qui nous fait tourner les coins ronds, la soif de clics qui nous pousse à sensationnaliser.
Cette partie-là du livre, c’était ma manière à moi de dire : il faut que ça change.
P.S. : Qu’on se rassure, je ne parle pas que de choses sombres dans cet ouvrage. Il y a aussi un quatrième chapitre qui ne porte pas sur des faussetés à proprement parler : ce sont des affirmations que j’ai vérifiées et qui se sont avérées vraies. Comme quoi, même à l’ère des réseaux sociaux, cela arrive encore!
- Jean-François Cliche
Journaliste scientifique, Le Soleil
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