Devenir prof, ça ne s'apprend pas dans les livres. Pourtant, ce livre existe maintenant! Bien sûr, l’objet de l’ouvrage pourra surprendre. La fonction de professeur n’est-elle pas tout simplement d’enseigner? En contrepartie de quoi, celle d’étudiant serait d’apprendre. Dans cette perspective symétrique, la poursuite des études universitaires conduirait tout naturellement à la carrière universitaire. Et en poursuivant ses propres études, chacun se préparerait – par mimétisme – à remplacer ceux qui l’ont formé.
Si cette conception du métier d’universitaire est rassurante, elle ne rend pas compte du caractère multiforme de la fonction. Une fois en poste, on réalise rapidement que devenir « collègue » ne suffit pas. Il faut assumer les différents aspects de la tâche. C’est à ces différentes dimensions de la vie de prof qu’est consacré l’ouvrage Devenir Professeur, publié par les Presses de l’Université de Montréal.
Un ouvrage fondé sur des inspirations diverses
N’importe quel universitaire d’expérience peut prétendre écrire un ouvrage à peu près systématique sur la vie universitaire, mais ce livre ne serait alors que le produit d’une trajectoire singulière, présentée sous les traits d’un discours à valeur universelle. Emmanuelle Bernheim et moi avons préféré faire de ce livre une œuvre collective, à l'image de la vie intellectuelle qui est elle-même le produit d’un travail coopératif.
Restait à trouver un point de ralliement. L’université est rarement un objet d’étude pour elle-même, de sorte que les travaux d’érudition portant sur la carrière universitaire sont rares, du moins en langue française. Confrontés à l’insuffisance des sources, les auteurs ont souvent fait appel à des savoirs expérientiels, dont on pourra constater ici la valeur heuristique. Rédigés par des universitaires rompus aux exigences de l’exhaustivité, les textes devaient cependant rester courts, les auteurs s’exprimant dans un style direct et simple. Fondés sur des constats tirés de la littérature, sinon sur l’observation quotidienne de la vie universitaire, ils proposent des conseils et des outils aux membres de la communauté universitaire. Il ne s’agit pas tant de témoignages personnels ou de « tranches de vie ». On a plutôt tenté de faire que chaque texte réponde à des exigences de généralité.
L’ouvrage ne défend pas de posture particulière et ne propose pas de conception unifiée de l’institution universitaire ou de la fonction professorale. Mais on constatera la très grande convergence des préoccupations et des visées poursuivies par tous les auteurs en faveur d’une conception éthique de l’excellence, parfois éloignée des définitions mécaniques ou comptables qu’on en donne à l’université.
La structure de l’ouvrage
L’enseignement, la recherche, le service universitaire et le rayonnement hors des murs de l’université sont généralement présentés comme les quatre composantes de la vie professorale. Se posent pourtant quotidiennement aussi le problème de l’évolution de la « carrière » et, plus largement encore, celui de nos modes de vie. Plusieurs de ces dimensions sont traitées dans cet ouvrage. Nous avons cependant renoncé à tout ramener aux catégories « canoniques » de la vie universitaire. Et lorsque nous avons convenu de distinguer les textes touchant à l’enseignement de ceux qui abordent les conditions de la recherche professorale, c’est en sachant qu’il s’agit d’une fiction dont la réalité fait souvent l’économie.
Dans la succession des textes proposés, la structure du livre s’est imposée d’elle-même. Adoptant une approche itérative, l’ouvrage se présente ainsi sous quatre parties, qui abordent les dimensions les plus structurantes (et pour tout dire les plus concrètes) de la fonction universitaire. Il traite ainsi de la question de l’enseignement, puis de celles de la recherche et du rayonnement, avant d’aborder la question de l’évolution de la carrière et des défis et figures imposées par la vie universitaire.
L’enseignement y tient évidemment la première place. Comment transmettre des contenus nouveaux, structurer des apprentissages ou construire un bon plan de cours? Comment créer un climat propice à la formation, enseigner à un petit ou à un grand groupe, à des étudiants inscrits aux études supérieures? Comment enseigner à l’ère numérique (une nécessité tout à coup devenue criante), concevoir un cours à distance ou tirer avantage des évaluations d’enseignement?
Le thème de la recherche est lui-même traversé par une multitude d’interrogations. Qui est l’auteur d’un texte et quelles sont les règles de l’art dans le domaine de la communication scientifique? Doit-on publier en accès libre, dans une revue avec comité de lecture, dans une revue professionnelle ou entretenir un blogue? La rédaction d’une demande de subvention participe-t-elle d’un genre littéraire particulier?
Le thème de la recherche est lui-même traversé par une multitude d’interrogations. Qui est l’auteur d’un texte et quelles sont les règles de l’art dans le domaine de la communication scientifique? Doit-on publier en accès libre, dans une revue avec comité de lecture, dans une revue professionnelle ou entretenir un blogue? La rédaction d’une demande de subvention participe-t-elle d’un genre littéraire particulier?
Entre carrière et vocation, le parcours du professeur est souvent moins linéaire qu’on le croit. Comment terminer des études de doctorat en étant déjà professeur? Doit-on accepter des fonctions administratives ou syndicales en cours de route? Comment survivre à la collégialité, à la fragmentation des activités, au dilemme que constitue la possibilité de travailler à la maison ou au bureau? Peut-on enseigner à enseigner, et comment dès lors préparer nos propres étudiants à la carrière d’enseignant?
Enfin, il y a tout le reste : les défis et les figures imposées. Cette partie de l’ouvrage a fait office de catégorie résiduaire… Pourtant elle est très convaincante s’il s’agit de rendre compte de la face cachée de la vie universitaire : la complexification constante de vocation professorale. Comment répondre aux exigences posées par la diversité d’origines de nos étudiants ou intégrer des collègues issus d’horizons sociaux et culturels différents? Comment répondre aux besoins des étudiants en détresse? Comment s’adapter à la diversité des modes de la communication écrite? Quelles sont l’étendue et la limite de la liberté académique? Comment éviter les pièges entourant le conflit d’intérêts?
Toutes ces questions se posent aujourd’hui à l’ensemble des professeurs d’université et à ceux qui aspirent à le devenir. Devenir professeur… ce n’est pas une mission impossible!
Toutes ces questions se posent aujourd’hui à l’ensemble des professeurs d’université et à ceux qui aspirent à le devenir. Devenir professeur… ce n’est pas une mission impossible!
Il est aussi difficile de prévoir l’avenir de la fonction universitaire. Cet ouvrage laisse entrevoir les tendances qui traversent actuellement le milieu académique, mais ne fournit que des informations parcellaires sur l’évolution du métier. On sait qu’une proportion importante des mutations sociales et des avancées technologiques qui transforment le quotidien de nos vies de professeur depuis trente ans ont été développées en dehors du milieu scientifique. De même, l’offre de formation s’est déployée très au-delà du monde académique et l’acquisition de nombreuses compétences peut se faire aujourd’hui hors de l’université. Leur certification est assurée par des entités qui la concurrencent. Bien sûr, la formation universitaire reste encore un modèle de référence en matière de recherche, d’acquisition de connaissances et de compétences. Mais l’avenir de la vie à l’Université ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion approfondie sur nos modes d’enseignement et de communication, sur la concordance de nos formations avec l’évolution du monde contemporain, sur la pertinence de nos recherches et sur notre capacité à former nos étudiants à comprendre plutôt qu’à apprendre. Le savoir est en marche. Et les métiers du savoir aussi. C’est un mouvement réflexif que nous devons amorcer nous-mêmes et que nous avons les moyens de soutenir. Une histoire à bâtir…
- Pierre Noreau
Université de Montréal
Pierre Noreau est professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et chercheur du Centre de recherche en droit public, Centre dont il a été le Directeur de 2003 à 2006. Il est politologue et juriste de formation et travaille plus particulièrement dans le domaine de la sociologie du droit. Pierre Noreau a été président de l'Acfas de 2008 à 2012, directeur du Bureau des Amériques de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) de 2009 à 2013 puis vice-recteur à la programmation et au développement de l'AUF de 2011 à 2014. Ses recherches portent notamment sur le fonctionnement et l'évolution du système judiciaire, le règlement non-contentieux des conflits, l'accès au droit et à la justice et la diversité ethnoculturelle en droit. Ses publications récentes explorent les questions entourant la déontologie judiciaire, la justice communautaire et les conditions de la recherche interdisciplinaire en droit. Pierre Noreau détient un doctorat de l'Institut d'Études politiques de Paris. Il assure, par ailleurs, la direction scientifique du projet Accès au droit et à la justice (adaj.ca).
- Emmanuelle Bernheim
Université du Québec à Montréal
Emmanuelle Bernheim est professeure au département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS). Ses recherches portent sur le rôle du droit et des tribunaux au regard des inégalités sociales et ses projets actuels se développent autour de deux axes : psychiatrie et droit – mécanismes juridiques spécifiques, expertise, pratiques controversées – et accès à la justice, notamment pour les personnes n'ayant pas accès aux services juridiques.
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