En climatologie, règle générale, plus on s’éloigne de l’équateur plus il fait froid. Mais, des particularités météorologiques ou encore des exceptions régionales parsèment la planète. C’est le cas d’un certain type de temps qui caractérise la région de Chicoutimi au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Une situation inédite que nous-mêmes proposons d’appeler Akua-Nutin, expression innue signifiant Vent du Sud. Nous avons alors entrepris une recherche pour lever le voile sur ce qui était « caché » jusqu’à aujourd’hui. Et à ce propos, les lignes qui suivent ont pour but de décrire le phénomène, d’en voir la fréquence et de déceler une sorte de modèle d’occurrence.
Le phénomène
L’histoire commence par l’observation simultanée des conditions météorologiques de Chicoutimi et de Québec, car on y décèle parfois l’existence de différences quotidiennes importantes et même des paradoxes, soit un temps plus chaud à 220 km plus au nord.
Voyons à titre d’exemple le temps qu’il a fait le 7 mai 2017 :
- À 13h00, les vents (des rafales) supérieurs à 30 km/h et provenant du sud gravissent le contrefort du massif des Laurentides en s’élevant de près de 1 000 m (figure 1). Lors de l’ascension, la température initiale de l’air à Québec de 12,6 °C chute progressivement avec l’altitude pour se situer à 9,7 °C à la Forêt Montmorency et atteindre 7,5 °C à l’Étape. En redescendant dans la dépression du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’air se réchauffe et atteint 17,0 °C : soit une différence de 4,4 °C par rapport à Québec. Également, il pleut à Québec de même qu’aux deux autres stations déjà mentionnées; à l’autre extrémité, le ciel est dégagé à Chicoutimi.
C’est le phénomène de l’Akua-Nutin. Il commence quand au contact d’un obstacle orographique les vents se comportent à la manière du Chinook dans l’Ouest nord-américain et du Foehn en Europe. Les masses d’air sont forcées de gravir un massif montagneux, elles se refroidissent, perdent leur humidité et tombent en précipitations. Puis elles redescendent plus chaudes et plus sèches.
Pour l’explication, on fait appel à la physique. En s’élevant, l’air devient moins dense, il y a perte de chaleur, et ce, selon un gradient vertical de 0,6 °C/100 m (adiabatique humide). Quand il redescend, l’air, déchargé de son humidité, voit sa densité augmenter et il y a un gain de chaleur presque deux fois plus grand que lors de sa montée, soit au rythme de 1 °C/100 m (adiabatique sèche); si bien que l’air à la fin de la course y est plus chaud qu’au départ.
Les vents du sud constituent l’élément central du phénomène, car ils doivent d’abord souffler sur Québec avant de poursuivre leur course sur Chicoutimi. Les vents du sud coïncident avec les grandes circonvolutions du courant-jet provenant de l’ouest : ce fort courant d’altitude qui laisse des traces au niveau du sol. En fait, ce courant fait parfois des boucles qui l’amène, entre autres, à quitter les latitudes nordiques pour atteindre la côte est des États-Unis et se diriger par la suite vers le nord. La figure 2 illustre ce phénomène, où y on voit clairement la « verticalité » du courant sur le Québec1. En conséquence, durant quelques dizaines d’heures les masses d’air balayent la zone étudiée2.
Méthodologie
L’analyse des données météorologiques s’effectue en décelant l’occurrence du phénomène, c’est-à-dire la fréquence des dates auxquelles se combinent les trois conditions :
- plus chaud à Chicoutimi;
- plus pluvieux à Québec;
- et des vents provenant du sud mesurés à Chicoutimi.
L’analyse est réalisée par la constitution d’une base de données comparative jumelant les informations de la station météo de l’aéroport Jean-Lesage Intl avec celle de Bagotville3. La période couverte s’étend sur 61 années (de 1957 à 2017).
Résultats
On y compte 161 jours où les trois conditions sont présentes, soit une moyenne de 2,6 fois par année; et il y a même des années où la fréquence s’élève jusqu’à 7 comme en 1989. Tout au long de l’année, la fréquence varie selon les saisons, les mois et les semaines. L’une des représentations les plus parlantes est celle de la distribution selon les 52 semaines de l’année (figure 3); il est aisé de constater que deux pics se dégagent nettement soit au printemps et à l’automne; qu’il y a un creux en août et que l’hiver est peu touché.
Afin d’éviter la coupure régulière en blocs 7 jours de semaine comme on vient de le voir, nous avons pensé établir des regroupements de jours consécutifs selon les fréquences. C’est alors qu’ont été découvertes des périodes de densité (fréquence sur nombre de jours) de la présence de l’Akua-Nutin; constituant ainsi un modèle descriptif et peut-être prédictif du phénomène.
Le modèle à la figure 4 présente sept périodes de longueurs distinctes, comportant des cas de nombre inégaux et par conséquent présentant des concentrations différentes.
- La plus grande concentration (densité) s’étend sur une courte période à l’automne avec un taux de 12,7 fois sur 10 jours (10 étant la base de comparaison); allant du 28 septembre au 9 octobre.
- Puis il y a un moment très bien pourvu au printemps avec 9,7; allant du 23 avril au 24 mai.
- Le début de l’été est passablement occupé avec un taux de 6,2; allant du 25 mai au 30 juillet.
- Puis trois périodes possèdent des valeurs relativement basses : 27 février au 22 avril avec une densité de 4,5; vers la fin de l’été du 31 juillet au 27 septembre avec un taux de 3,2; et en automne du 8 octobre au 26 novembre avec un taux de 3,9;
- En hiver, du 27 novembre au 26 février, on ne compte que 10 occurrences sur 92 jours, pour un taux très bas de 1,1.
- Somme toute, grosso modo, le modèle laisse voir deux pics de concentration soit au printemps et au début de l’automne puis un grand vide en hiver.
Conclusion
Nul doute que l’Akua-Nutin qui touche la région de Chicoutimi au Saguenay-Lac-Saint-Jean est un phénomène météorologique original. Cela correspond à un temps plus chaud et moins humide que les régions plus méridionales. Il correspond à des périodes où le vent soufflant du sud passe au-dessus du massif des Laurentides et occasionne une subsidence atmosphérique lorsqu’il perd de l’altitude.
Le phénomène a été décrit et expliqué en comparant les données météorologiques de Chicoutimi et de Québec. Cette situation n’est pas nouvelle en météorologie. Ce qui est nouveau c’est de s’être penché scientifiquement sur la question. La présente étude est donc une contribution à la connaissance du territoire et particulièrement de ce qui le caractérise.
Il reste à savoir maintenant quel est son impact sur ses habitants et sur la vie en général. Cela reste à explorer. À titre d’exemple, ne faudrait-il pas demander aux oies sauvages si elles tiennent compte de l’Akua-Nutin pour « grimper » au nord ou encore si elles attendent paisiblement des vents plus favorables pour regagner leurs quartiers d’hiver?
Nul doute que l’Akua-Nutin qui touche la région de Chicoutimi au Saguenay-Lac-Saint-Jean est un phénomène météorologique original.
- 1C’est pour mieux voir le territoire étudié que nous avons choisi délibérément cette date même si le courant-jet ne passe pas spécifiquement sur la région d’étude. Profitons de l’occasion pour rappeler que les systèmes atmosphériques se déplacent toujours vers l’Est.
- 2Il y avait des cartes magnifiques sur la météo du continent sur le site Web The Weather Network, malheureusement fermé depuis.
- 3Nous utilisons délibérément l’appellation liée au territoire, Québec et Chicoutimi, plutôt qu’aux stations météorologiques Aéroport Jean-Lesage Intl et Bagotville.
- Majella Gauthier
Université du Québec à Chicoutimi
Docteur en géographie, professeur émérite et membre du Laboratoire d’expertise et de recherche en géographie appliquée (LERGA).
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