Entre les réseaux de neurones artificiels, les données massives et les enjeux éthiques, l’intelligence artificielle (IA) suscite autant d’engouement que d’inquiétude. Et bien souvent, les discussions sont teintées d’idées reçues, d’amalgames et d’hésitations, tant le concept d’IA est encore mal compris. À quoi a-t-on vraiment affaire?
L’Association des communicateurs scientifiques (ACS) prend le taureau par les cornes pour préparer ses membres à jouer un important rôle dans ce grand chantier : donner les clés de compréhension de l’IA. Le congrès annuel de l’association, intitulé L’anatomie de l’intelligence artificielle, s’inscrit dans cette démarche en proposant une réflexion plus large sur l’impact qu’aura l’IA sur la communication scientifique.
Il faut dire que l’IA promet de mener à une nouvelle révolution dans la société, d’une ampleur qu’on a du mal à imaginer, et que Montréal a d’ores et déjà annoncé qu’elle sera dans le peloton de tête de la recherche et de l’innovation basées sur l’IA.
Or, il semble plus simple de décortiquer la très complexe intelligence « naturelle », malgré le jargon des neurosciences, que de discuter des rouages de l’intelligence artificielle. Qu’est-ce qui se cache dans ces algorithmes? Comment les conçoit-on? Comment évalue-t-on ce qui en résulte? Lorsque la réponse à une question prend la forme d’équations mathématiques et de code informatique, le dialogue n’est pas aisé.
L’ACS s’est demandé comment préparer les communicateurs scientifiques à cette nouvelle mission de vulgarisation. Pour s’y retrouver, les concepts de base doivent être éclaircis et la carte de l’écosystème de l’IA, esquissée. Le congrès donnera l’occasion aux praticiens de l’IA d’expliquer les technologies déjà mises de l’avant et leurs possibilités, mais aussi leurs limites et les enjeux éthiques associés.
Mais si on parle de révolution, c’est que les changements pourraient s’opérer partout. Au-delà du buzz et des promesses de la Silicon Valley, de quels bouleversements parle-t-on? L’IA sera intégrée aux sciences, par exemple, changeant la façon de faire pour plusieurs types de recherche. Jusqu’à présent, le traitement et l’interprétation des données massives constituaient des freins, mais la puissance de calcul et l’apprentissage automatisé font tomber ces barrières et donnent une nouvelle valeur à cette matière première. Ainsi, les sociologues auront accès aux traces comportementales de millions d’individus, les radiologues bénéficieront des analyses de la somme de toutes les images médicales numérisées, les données des satellites pourront être couplées aux données ouvertes des villes pour mieux comprendre les enjeux urbains. Comment cette transformation prend-elle place? Quelle sera la nature des résultats de recherche impliquant l’IA? Serons-nous à même de valider ces résultats?
Et qu’en est-il des pratiques professionnelles des journalistes, rédacteurs, enseignants en science et tous les autres? Les plus inquiets avancent que la rédaction automatique aura raison de nombreux emplois, d’autres croient au contraire que l’IA donnera les moyens pour aller plus en profondeur dans nos analyses et pour travailler toujours plus efficacement. Quoi qu’il en soit, cette révolution amènera de nouveaux défis, notamment pour la validation des sources, à mesure que l’édition ou la génération automatisée d’images, de vidéos et de voix se raffinent. Peut-on battre de vitesse cette évolution et trouver la signature des faussaires numériques?
Décidément, il y a beaucoup à comprendre pour les communicateurs scientifiques, afin qu’ils puissent aider les autres acteurs sociaux à prendre la juste mesure des tenants et aboutissants de l’IA et à dessiner le cadre dans lequel elle se déploiera. Entre autres, face à la crainte que les algorithmes mènent à une perte de contrôle sur les données privées et même sur la démocratie ; des personnalités telles qu’Elon Musk s’inquiètent des impacts profonds de l’IA et de leur potentiel destructeur.
Ces craintes sont un drapeau rouge levé par la population : le développement et l’utilisation de l’IA peuvent avoir un effet de polarisation si les canaux de communication ne sont pas établis avec les entreprises et les chercheurs du domaine. On voit aujourd’hui dans le secteur des technologies de l’information que le manque de transparence est de plus en plus dénoncé. Certes, la nouvelle communauté montréalaise de l’IA n’a pas l’intention de rester en vase clos. Déjà, le souci éthique et la réflexion sociétale sont bien ancrés dans cette communauté : la déclaration de Montréal pour un développement responsable de l'intelligence artificielle en témoigne. Mais il faudra bâtir encore plus de ponts pour approfondir le dialogue.
Pour que le débat percole dans la société, les professionnels de la communication des sciences seront au rendez-vous dans une démarche collaborative.
- Stéphanie Thibault
Association des communicateurs scientifiques du Québec
Stéphanie Thibault, présidente de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec
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