Cette photographie est un artéfact croqué sur le vif lors d’une expérience impliquant des cellules mammaires cancéreuses et une molécule synthétisée par des plantes qui cristallise trop facilement. En la regardant, je me dis que même si le cancer peut bien tenter de « se sauver » et de proliférer anarchiquement, il y aura toujours l’espoir que quelqu’un de plus vite que lui réussisse à le déjouer… dans une partie de quidditch dans un pétri!
L'enjeu
Le cancer est un « mauvais sort » pour la personne atteinte. Pour une jeune scientifique comme moi, il constitue un stimulant défi à relever, car les mécanismes sous-jacents au caractère immortel des cellules cancéreuses ne sont pas tous élucidés. À travers mon projet de maîtrise, je me suis improvisée apprentie magicienne en m’attaquant au stade le plus malin du cancer du sein, soit l’étape où il devient indépendant et n’a plus besoin d’hormones pour se développer; le moment où il n’est plus possible de le combattre en modulant le système hormonal. On dit alors qu’il est hormono-indépendant.
Je livre cette bataille à l’intérieur même de cellules humaines cancéreuses... in vitro. C’est un travail expérimental et je suis à fourbir les armes sur un terrain appelé pétri, au cœur du Laboratoire de toxicologie cellulaire et moléculaire de l’INRS Institut Armand-Frappier, dirigé par le Dr Michel Charbonneau.
L’enjeu de la partie : désactiver la télomérase, une enzyme qui joue un rôle central dans l’immortalité des cancers.
Arrêtez la télomérase
La télomérase est une enzyme active dans le noyau des cellules à l’état embryonnaire et fœtal. Elle est responsable de la formation des télomères, de petites structures situées aux extrémités des chromosomes et jouant un rôle critique dans le maintien de l'intégrité du génome. D’une copie à une autre de ce code génétique, lors du développement de nouvelles cellules, les télomères s’abiment peu à peu, et ces lacunes mènent éventuellement soit à la mort cellulaire (apoptose), soit à l’apparition de tumeurs. Ce sont des processus normaux, les cellules ont une durée de vie limitée, et elles peuvent évoluer vers des comportements un peu chaotique. L'accumulation de mutations fait en sorte que la cellule acquiert des comportements autres que ceux pour lesquels elle a été "programmée" initialement.
Tout au long de la vie, la télomérase demeure active dans les cellules germinales, soit les ovules et les spermatozoides, mais dans les autres cellules, les somatiques, elle ne s’exprime pratiquement plus.
Si cette enzyme se réactive, elle devient alors un facteur de haute importance dans la prolifération et l'immortalisation des cellules cancéreuses. De ce fait, elle confère de la stabilité à leurs chromosomes et à leur code génétique. Elle constitue donc une cible de choix pour des traitements spécifiques contre le cancer.
Trouver la clé
Lorsque je me suis jointe à l’équipe du Dr Charbonneau, les travaux étaient bien amorcés, car on y avait découvert une cible : le récepteur aux hydrocarbures aromatiques (Ah). Une « grosse » protéine « flottant » librement à l’intérieur des cellules. Une « serrure » qui, une fois déverrouillée, désactiverait la télomérase…
Mon rôle? Contribuer à la découverte de la bonne molécule-clé. Il en existe plusieurs, mais il faut repérer la moins toxique pour la santé globale d’un individu atteint du cancer, la plus efficace à faible dose et, de préférence, une molécule naturellement synthétisée par des plantes.
Une clé efficace mais toxique
Différents modèles in vitro ont démontré les liens entre l'activité de contaminants environnementaux dans le processus de cancérogenèse et le rôle d'une enzyme impliquée dans la longévité cellulaire, la télomérase.
Pour leur part, les travaux réalisés par mon équipe de recherche ont établi que la modulation du récepteur Ah par la dioxine appelée TCDD permet de diminuer l'expression et l'activité de la télomérase dans des cellules cancéreuses mammaires humaines. Elle présente à ce jour la plus haute affinité connue avec notre récepteur Ah. Mais attention, la TCDD, ou 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin, est une substance extrêmement toxique.
C’est pourquoi mon projet d'étude vise à investiguer des substances chimiques naturellement synthétisées par les plantes tout en ayant une haute affinité avec le récepteur Ah. Nous avons appris beaucoup de choses à son sujet grâce à la TCDD; il est donc fort intéressant de rechercher des molécules ayant le potentiel d’activer ce récepteur de manière analogue à la TCDD. Effectivement, au cours de la dernière décennie, beaucoup d’études ont été conduites pour trouver les rôles endogènes du récepteur Ah.
Conjointement, d’autres avancées du laboratoire ont ainsi démontré un lien entre l'activation du récepteur Ah et l'activation d’un récepteur (ErbB2), une protéine présente en très grande quantité à la surface des cellules mammaires cancéreuses.
Il fut aussi établi que l'exposition des cellules mammaires cancéreuses à la TCDD empêcherait le récepteur ErBb2 de quitter la membrane cellulaire, d'entrer dans la cellule et de déclencher des mécanismes qui augmentent la prolifération cellulaire. La surexpression de ce récepteur est commune dans plusieurs types de carcinomes humains et son implication dans la prolifération cellulaire est bien connue. Les cancers dont les cellules expriment le récepteur ErbB2 de manière exagérée démontrent un degré d'agressivité très élevé et sont souvent associés à une résistance aux traitements de chimiothérapie, à un mauvais pronostic et à une plus grande difficulté de traitement.
C'est pourquoi l'étude du lien existant entre le récepteur Ah, la télomérase et le récepteur ErBb2 s'avère plus que pertinent dans l'optique du développement de nouvelles voies thérapeutiques.
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Cette animation 3D est réalisée par le ré-assemblage d'images 2D. Elle permet de bien localiser les récepteurs Ah. Aussi, cette visualisation permet de faire une synthèse des observations.
Les visées
Nos recherches visent à développer des molécules ayant un potentiel pharmaceutique alliant les domaines émergents de la pharmacogénomique (médecine à la carte où l’on pourra agir selon le pedigree de votre cancer) et de l'ethnopharmaceutique (médecine où l’on fait usage de molécules synthétisées par mère nature).
Une partie de quidditch pour le cancer du sein… Voilà mon projet de maîtrise!
- Marjolaine Miclette
INRS - Institut Armand-Frappier
Détentrice d’un baccalauréat en biologie APP de l’UQÀM spécialisé en toxicologie et santé environnementale ainsi que d’un diplôme de 2e cycle en enseignement post-secondaire de l’UQÀM, Marjolaine Miclette poursuit actuellement une maîtrise en sciences expérimentales de la santé à l’INRS-Institut Armand-Frappier dans le laboratoire de toxicologie cellulaire et moléculaire du Dr Michel Charbonneau. Elle est aussi Vice-Présidente des affaires environnementales de la Fédération des étudiants de l’INRS (FEINRS), fait partie du conseil d’administration de la FEINRS et siège sur le comité de subvention de projets étudiants de l’association étudiante de son centre (AGEIAF).
Remerciements : un merci particulier à Jessy Tremblay, responsable de la plate-forme de microscopie et de FACS de l’INRS-IAF.
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