Les mesures d’austérité ont généralement pour effet d’accroître ces inégalités. Voilà des conséquences qui ne sont malheureusement pas prises en compte par les puissantes agences de notation de ce monde.
Les premières actions du Parti québécois au lendemain de son élection – l’annulation de la hausse des frais de scolarité, l’organisation d’un Sommet sur l’enseignement supérieur et la création d’un ministère entièrement dédié aux cégeps et aux universités – laissaient espérer que l’éducation supérieure constituerait une priorité du nouveau gouvernement. Puis, la mise en doute d’un réel sous-financement des universités, l’annonce d’une diminution rétroactive des budgets consacrés aux établissements d’enseignement supérieur et les compressions drastiques dans les trois Fonds de recherche québécois ont eu l’effet d’une douche froide, très loin des lendemains qui chantent.
Le Québec, comme bien d’autres pays avant lui, se met donc à l’heure de l’austérité. À la lumière des doutes exprimés tout récemment sur les bienfaits réels de cette philosophie économique par deux de ses plus farouches partisans et économistes au Fonds monétaire international, on peut questionner ces décisions et surtout les effets collatéraux qu’elles risquent d’engendrer.
D’autant plus que les mobilisations populaires d’ampleur qui se succèdent depuis 2010 – pensons au mouvement transnational Occupy Wall Street, au printemps arabe, au printemps érable, aux actuelles mobilisations autochtones qui se déroulent partout à travers le Canada – montrent bien que les conflits sociaux sont attisés par les inégalités qui s’accentuent. Des inégalités économiques certes, mais également de genre, d’âge, culturelles, géographiques, etc. Or, les mesures d’austérité ont généralement pour effet d’accroître ces inégalités. Voilà des conséquences qui ne sont malheureusement pas prises en compte par les puissantes agences de notation de ce monde.
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À l’heure du discours de l’austérité, on soutient que tous les secteurs doivent participer à l’effort collectif, la recherche comme les autres. C’est ainsi que les trois fonds de recherches du Québec – Société et culture, Santé, Nature et technologies – subissent des coupures draconiennes : 13 % du budget amputé pour les deux premiers fonds, 30 % pour Nature et technologies.
Ces compressions en recherche apparaissent dramatiques pour les acteurs du milieu universitaire, notamment parce que les Fonds de recherche québécois soutiennent prioritairement la relève scientifique.
Ces compressions en recherche apparaissent dramatiques pour les acteurs du milieu universitaire, notamment parce que les Fonds de recherche québécois soutiennent prioritairement la relève scientifique. En effet, la part la plus importante de leurs budgets est consacrée aux bourses de maîtrise, de doctorat et de post-doctorat (dans le cas du Fonds québécois de recherche Culture et Société (FQRSC), 44.4 % du budget 2010-11 était consacré au soutien à la relève ). Pour les subventions accordées aux professeurs, la relève est également encouragée par l’entremise d’un programme réservé aux nouveaux professeurs-chercheurs.
Les fonds travaillent aussi depuis plusieurs années à la mise en place de « regroupements stratégiques » réunissant un grand nombre de chercheurs travaillant sur des thèmes communs afin de développer des « créneaux d’excellence d’envergure international » et pour faire face aux enjeux de notre époque qui exigent la mise en commun de connaissances multidisciplinaires : climat, sida, décrochage scolaire, énergie, etc. Ces regroupements ont besoin d’un engagement financier à long terme; c’est dans la durée seule que la recherche donne ses fruits.
Quoi d’autre? Les fonds apportent un soutien financier à différentes revues scientifiques pour favoriser la diffusion et la valorisation des résultats de recherche, notamment en langue française
Dans laquelle de ces missions le couperet de la rigueur budgétaire frappera-t-il?
L’ennui supplémentaire c’est que les Fonds québécois font déjà figure de parents pauvres des organismes subventionnaires. Par exemple, le Fonds québécois de recherche Culture et société (FQRSC) offre des bourses au doctorat de 60 000 $ (20 000 $ par année pour un maximum de 9 sessions, soit 3 sessions/année), tandis que son homologue canadien, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), accorde généralement des bourses de 105 000 $, voire de 150 000 $ parfois pour un doctorat. Réduire le montant des bourses pour répondre aux diktats de l’austérité budgétaire apparaît dans ce contexte mal avisé; c’est donc probablement le nombre des bourses qui sera réduit, avec comme impact direct moins d’étudiants qui entreprendront l’aventure du doctorat. ***
Et ce grand sommet sur l’éducation supérieure? Les échos de la presse et des observateurs laissent entrevoir un dialogue de sourds renforcés à coup de rapports d’étude et de chiffres contradictoires. La profonde méfiance de part et d’autre, ajoutée aux annonces gouvernementales de réductions budgétaires, semble vouloir dessiner un sommet qui ne fera qu’alourdir le climat de marasme universitaire.
Réussirons-nous à créer une grande messe "communale" caractéristique des social-démocraties scandinaves, où tous les acteurs concernés sont réunis aux plus hauts sommets de l’État pour accoucher d’un pacte où tous font des compromis, mais en vue de l’atteinte d’objectifs jugés supérieurs.
Réussirons-nous à créer une grande messe « communale » caractéristique des social-démocraties scandinaves, où tous les acteurs concernés sont réunis aux plus hauts sommets de l’État pour accoucher d’un pacte où tous font des compromis, mais en vue de l’atteinte d’objectifs jugés supérieurs.
- où le gouvernement reconnaîtrait l’importance intellectuelle et stratégique d’avoir des universités d’excellence sur son territoire et que l’austérité budgétaire doit donc y être manipulée avec des pincettes;
- où les étudiants reconnaîtraient que la vétusté des locaux et équipements universitaires, que l’offre de cours réduite et les classes bondées ne favorisent pas un développement intellectuel et professionnel épanouissant et que le gel ou la gratuité scolaire ne peuvent renverser cette dépréciation;
- où les directions universitaires reconnaîtraient que la mission principale de leur institution doit demeurer l’enseignement et la recherche, que l’accessibilité doit être fermement maintenue et que leurs administrations doivent montrer patte blanche en matière de gestion des fonds publics;
- où les entreprises reconnaitraient qu’elles bénéficient de la main-d’œuvre éduquée et innovatrice qui diplôment des universités et que leur part au financement de ces établissements devrait être plus importante.
Peut-être pourrait-on alors en arriver à un pacte où le mode de financement public serait revu pour éviter une course à la clientèle forcément néfaste, où le gouvernement reviendrait sur ses décisions de compressions budgétaires, où les frais de scolarité seraient indexés ou très modérément augmentés, en contrepartie de l’assurance que cette hausse serait investie directement dans l’enseignement et non dans la construction de campus satellitaires; où le personnel de direction des universités gèlerait ses salaires pendant quelques années, a contrario de l’augmentation moyenne de 150 % qu’ils se sont octroyés au cours de la dernière décennie, en pleine crise du sous-financement.
Il serait regrettable que les recettes toutes pensées de l’austérité et que le climat de défiance qui règne depuis près d’un an dans le milieu universitaire évacuent les choix politiques qui peuvent être faits pour éviter que les universités québécoises ne périclitent dans l’indifférence générale.
- Maude Benoit
Université Laval et Université Montpellier 1
Maude Benoit est candidate au doctorat en science politique à l’Université Laval (Québec) et à l’Université Montpellier 1 (France). Ses recherches portent sur les politiques publiques en agriculture au Canada et dans l’Union européenne. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’intégration des préoccupations de développement rural et d’environnement dans l’action publique agricole.
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