Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Guy Drouin, Université d'Ottawa

Entre décembre 1535 et avril 1536, 25 des 110 hommes d'équipage de la seconde expédition de Jacques Cartier au Canada succombent des suites du scorbut, et les autres, pour la plupart, sont très, très malades. Or Donnacona, le chef iroquoien, connaît un breuvage d’écorce et de feuilles de thuya (cèdre) blanc permettant de guérir cette maladie. Malheureusement, ce savoir ne sera guère transmis1. Cinquante des 200 membres de l’équipage conduits par Roberval mourront de cette maladie en 1542, et une dizaine de colons sous Samuel de Champlain au cours de l’hiver 1608-1609, lors de la fondation de Québec.

  • 1On estime que 2 millions de marins européens sont morts du scorbut entre les années 1500 et 1800.
La vitamine C est nécessaire à la synthèse du collagène. Une carence entraîne la dégradation des tissus conjonctifs. Les personnes deviennent de plus en plus faibles, leurs gencives saignent, leurs dents se déchaussent et les vieilles cicatrices s’ouvrent à nouveau...

Loin du potager

Durant l’hiver 1606-1607, Champlain, alors cantonné à Port-Royal et croyant que cette maladie résultait du manque de stimulation, créa « l'ordre de Bon-Temps », qui avait comme activité principale la dégustation de repas gastronomiques. Champlain n’était pas loin de la vérité en les invitant à bien se nourrir... On sait maintenant que le scorbut résulte d’une carence alimentaire, soit le manque de vitamine C qui ne peut provenir que de repas équilibrés.

Les limeys

Dans les années 1750, un chirurgien de la marine britannique allait prouver expérimentalement  l’effet bénéfique des agrumes. James Lind (1716-1794) testa différentes diètes auprès de douze hommes de mer bien malades. Ail, moutarde, eau de mer, cidre et agrumes furent mis à l'essai. Or, les mangeurs d’agrumes se remirent remarquablement bien. L’effet du jus de lime était connu, mais avec cette expérience, il était prouvé hors de tout doute1. Lind essaya de vendre le jus de lime comme médicament, mais comme la vitamine C s’oxyde rapidement au contact de l’air ou de la chaleur, par exemple durant la cuisson, se fut un échec..

ll fallut attendre 1795 avant que la Marine royale n'ordonne à ses marins de consommer un agrume frais quotidiennement. Ils prirent la chose au sérieux, et on se mit à appeler limeys ces hommes… à l’haleine de lime.

En 2012, cette maladie réapparaît encore ici et là, puisqu’elle découle d’une alimentation déficiente. Personne n’est à l’abri, à défaut de mettre la fameuse vitamine à son menu. (Petit secret entre vous et moi : le scorbut a frappé un professeur de mon département, maintenant à la retraite, qui avait une alimentation du type bœuf+patates!).

Acide « antiscorbutique »

La vitamine C est aussi nommée acide ascorbique, une abréviation du terme antiscorbutique. C’est un antioxydant nécessaire à la synthèse du collagène. Une carence entraîne la dégradation des tissus conjonctifs et l’apparition de plusieurs symptômes caractéristiques. Les personnes deviennent de plus en plus faibles, leurs gencives saignent et leurs dents se déchaussent. Puis, les vieilles cicatrices s’ouvrent à nouveau et les hémorragies touchant les muqueuses et la peau deviennent de plus en plus fréquentes. Sans supplément de vitamine C, c'est éventuellement la mort.

Minou n’a pas besoin de prendre sa vitamine C

Pourquoi sommes-nous sujets au scorbut? Après tout, on n’entend jamais parler de cette maladie chez nos chiens et chats...  La réponse est surprenante : nous avons perdu le gène nécessaire à la synthèse de la vitamine C. Ce gène, dénommé GLO (L-gulono-gamma-lactone oxidase), code pour une enzyme qui permet la conversion de la gluconolactone en acide ascorbique. La perte de ce gène empêche la production de notre propre acide ascorbique et nous oblige à en inclure dans notre diète.

D'où une deuxième question : comment peut-on perdre un gène qui synthétise une substance aussi essentielle? Étonnement encore une fois : nos ancêtres ne s’en servaient plus!

En fait, la disparition de ce gène s’est produite il y a environ 60 millions d’années chez nos ancêtres simiens. Les autres primates, les prosimiens, qui incluent les lémurs (oui, si vous avez des enfants, vous avez reconnu Zoboomafoo!), ont toujours un gène GLO fonctionnel.

Cette perte n’ayant pas eu de conséquences néfastes chez nos ancêtres, la caractéristique a pu être transmise aisément. En effet, leur diète riche en végétaux contenait de grandes quantités de vitamine C, et la conservation de ce gène n’était pas nécessaire à leur survie. En termes génétiques, cette perte est une mutation neutre, c’est-à-dire qu’elle ne cause aucun inconvénient à l’organisme. Par contre, la mutation n’est plus neutre quand l’environnement et le mode de vie se transforment.

Truites et chauves-souris aussi

Nous ne sommes pas la seule espèce dont la diète a entraîné la perte du gène GLO : il en est de même pour tous les poissons osseux (morue, truite, poisson zébré, etc.), les cochons d’Inde et un grand nombre d’espèces d’oiseaux et de chauve-souris. C’est donc dire que la perte de gènes non essentiels est relativement fréquente au cours de l’évolution. Par contre, dans ce cas-ci, elle ne se produit que chez les espèces dont la diète contient de la vitamine C – chair crue, légumes ou fruits frais – et jamais chez celles dont la nourriture contient peu de vitamine C, comme dans le cas d'une diète constituée essentiellement de graines.

Quiz éclair pour tester vos nouvelles connaissances : comment les Inuits peuvent-ils survivre dans le Grand Nord sans manger régulièrement des fruits et des légumes frais? (Réponse : en mangeant de la chair fraîche; d’où leur deuxième nom, Esquimaux, qui, en langue algonquine, veut dire « mangeurs de chair crue »).

Autres articles de cette série Parce qu'on évolue


  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires