La lecture du présent dossier ramène à ma mémoire les nombreux témoignages que nous recevons depuis des années, et qui sont désormais soutenus par des données probantes. Les constats sont sans équivoque : il faut agir maintenant! Ces constats ne sont pas nouveaux, mais les données le sont : elles nous nous permettront d’encore mieux défendre les intérêts de notre communauté.
L’heure de la sensibilisation et de l’action a sonné. Il faut intensifier et valoriser la recherche en français, et ce, partout au Canada. Les conditions d’exercice de la recherche ne sont certes pas les mêmes selon qu’on soit chercheur-se- au sein d’une université francophone du Québec ou dans un établissement anglophone ou bilingue ailleurs au Canada. Le rapport de recherche que nous avons publié comprend neuf recommandations qui concernent la réalité de la recherche en français en milieu minoritaire, mais aussi l’ensemble de la recherche qui s’effectue dans cette langue au Canada. Je les détaille en quelques lignes.
Premièrement, en raison du manque de soutien offert aux chercheur-se-s d’expression française sur leurs campus en milieu minoritaire et des nombreux blocages qui les empêchent de faire de la recherche dans la langue officielle de leur choix, nous proposons que l’Acfas coordonne, avec ses partenaires, la mise en place d’un Service d’aide à la recherche en français au Canada (SARF).
Le SARF offrirait notamment un service d’appui-conseil interuniversitaire à la recherche aidant les chercheur-se-s dans la préparation de leurs demandes de financement en français. Les chercheur-se-s pourraient bénéficier de ce service et envoyer directement leurs demandes de financement aux agences subventionnaires. Ce faisant, ils n’auraient pas la tâche de traduire leurs demandes et pourraient déposer celles-ci en français. Cette mesure aurait sans nul doute un effet positif sur le nombre de demandes soumises en français aux conseils subventionnaires fédéraux. Par ailleurs, le SARF pourrait également fournir une aide dans l’approbation des demandes éthiques en recherche en mettant en place un comité d’éthique interuniversitaire, pleinement reconnu par les universités et les conseils. Nous étudions actuellement la structure de fonctionnement idéale pour ce service et les modalités de son financement. Sont dans notre mire Patrimoine canadien, les gouvernements provinciaux et les universités qui bénéficieront du service.
Deuxièmement, pour assurer un meilleur accès aux ressources pour les chercheur-se-s travaillant en contexte minoritaire, il sera nécessaire que les agences subventionnaires fédérales prévoient des fonds et des programmes pour appuyer les petites universités ainsi que les campus et bureaux universitaires francophones, afin de les aider à développer leurs activités de recherche. En effet, nos analyses démontrent que les chercheur-se-s des campus francophones et des petites universités ont peu de soutien pour mener leurs travaux. Le CRSH a déjà mis en place ce genre de programme1. De tels fonds pourront financer le démarrage de projets en facilitant la constitution d’équipes de recherche, la préparation de demandes de financement et l’acquisition d’équipements de recherche, notamment.
Troisièmement, nous recommandons que les agences subventionnaires fédérales créent et maintiennent à long terme des programmes de financement qui ciblent les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) comme objet d’étude. Les chercheur-se-s qui étudient ces sujets travaillent en français, ils sont proches de leur communauté et obtiennent des données à la fois inédites et essentielles, quoique souvent sous-estimées. Les particularités des groupes minoritaires sont souvent oubliées dans les vastes études, alors qu’il est essentiel que ces populations soient étudiées, pour les doter de services adéquats et leur permettre de s’épanouir. En plus de prévoir des fonds dédiés aux études sur les CFSM, de tels programmes auraient pour grand avantage de soumettre l’évaluation des projets à des comités formés de membres connaisseurs des problématiques afférentes à ces groupes. De tels programmes contribueraient en outre à relever un autre défi soulevé par les répondant-e-s de notre étude, à savoir l’incompréhension à l’égard de ce domaine d’études et son manque de valorisation par les comités d’évaluation des demandes de subvention, une réalité qui entraîne souvent des refus injustifiés.
Quatrièmement, chaque université bilingue ou anglophone située à l’extérieur du Québec devrait développer des services en français, de façon à répondre adéquatement aux besoins des membres d’expression française de son corps professoral ainsi que de ses étudiant-e-s francophones ou bilingues. Si une université n’est pas en mesure d’offrir ce type de service en français sur son campus, elle devrait à tout le moins contribuer financièrement au fonctionnement du SARF, qui lui rendrait un fier service.
Les cinq autres recommandations de notre rapport visent à renforcer l’existence, le financement et la diffusion de la recherche qui se fait en français partout au Canada, peu importe les conditions de son exercice. C’est dire combien cette recherche a besoin de soutien pour arrêter sa décroissance…
Cinquièmement, donc, les IRSC ont récemment mis en place une mesure visant à rééquilibrer le taux de succès des demandes soumises en français en assurant que la proportion des demandes en français financées soit (au minimum) la même que celle des demandes soumises en français. Cette mesure devrait accroître la proportion de demandes soumises en français et contribuer, à moyen terme, à défaire la perception qu’il y a moins de chances d’être financé si la demande est soumise en français. Nous recommandons le maintien et l’expansion de cette mesure, et que des mesures similaires soient adoptées au CRSNG et au CRSH afin que les taux de succès des demandes soumises en français soient au moins équivalents à ceux des demandes soumises en anglais. Par ailleurs, nous recommandons que ces agences exercent une veille continue afin de s’assurer que la proportion des demandes soumises en français tend à refléter la proportion de francophones au pays.
Sixièmement, afin de soutenir la diffusion des savoirs en français, nous recommandons que Patrimoine canadien et les gouvernements provinciaux mettent sur pied un fonds en soutien aux presses universitaires et aux autres activités de diffusion des savoirs en français, telles que les revues scientifiques ainsi que les revues et les médias de vulgarisation scientifique. Effectivement, pour consolider l’espace de la recherche en français, la diffusion des résultats de cette recherche est cruciale. Nous avons constaté, dans nos analyses et en parcourant la littérature scientifique, à quel point l’anglais possède une force d’attraction de plus en plus grande dans la diffusion de la recherche. La présente recommandation permettrait d’offrir à la population canadienne d’expression française un meilleur accès aux savoirs en français, tout en promouvant la diffusion de la recherche en français.
Septièmement, afin d’atteindre ce même objectif, nous suggérons à toutes les agences subventionnaires fédérales de s’assurer que leurs programmes sont équitables, en consacrant des fonds suffisants aux revues francophones en contexte minoritaire pour garantir leur pérennité.
Huitièmement, pour favoriser une évaluation juste et valoriser la recherche faite en français, nous recommandons que les agences subventionnaires de recherche et les universités adoptent une politique empêchant le recours, en comité d’évaluation, à des arguments évoquant le facteur d’impact des revues ou la qualité de l’université d’attache. C’est en vertu d’un tel changement que les chercheur-se-s pourront publier dans la langue de leur choix et continuer à étudier des sujets nationaux plutôt que de les délaisser. Nous encourageons fortement ces institutions à appuyer les initiatives comme DORA et Helsinki afin de réduire l’importance accordée aux facteurs d’impact des revues lorsque l’on évalue le dossier d’un-e- professeur-e-, et de mieux soutenir le multilinguisme en recherche.
Neuvièmement, pour atteindre ce même objectif, les agences subventionnaires fédérales devraient améliorer le processus d’évaluation des demandes de subvention en français. Cela passe notamment par des actions telles que :
- ajouter une case « minorité de langue officielle » aux formulaires de dépôt de demande de subvention, et ce, pour identifier les projets portant sur les CLOSM;
- faire une meilleure estimation du niveau de bilinguisme des évaluateur-trice-s afin de s’assurer que ces personnes comprennent bien les demandes rédigées en français;
- et offrir un service d’interprétation simultanée, lorsque nécessaire, dans les comités d’évaluation, afin de permettre aux évaluateur-trice-s de s’exprimer dans la langue de leur choix.
Eu égard à ces neuf recommandations, l’Acfas ne peut agir seule, car c’est tout un système qui doit s’adapter et un service d’aide inédit qui doit être bâti. À l’aube de notre 100e anniversaire, nous sommes toutefois prêts à donner une forte impulsion à ce vent de changement, en collaboration avec nos partenaires, à faire les rencontres requises pour sensibiliser les acteurs concernés et à faire le suivi de la mise en œuvre des changements requis.
Changer les choses requiert une action concertée de différents acteurs du milieu de la recherche, que l’on pense aux agences subventionnaires fédérales, aux universités ou aux organismes. Les gouvernements doivent eux aussi s’impliquer afin de soutenir adéquatement la minorité francophone au Canada.
Oui, nous voyons grand, mais la communauté des chercheur-se-s d’expression française est grande, et elle mérite d’avoir sa place et d’être valorisée. Nous avons d’ailleurs participé récemment aux Assises de la francophonie scientifique, rassemblement international de l’Agence universitaire de la francophonie, où notre cause a trouvé bon nombre d’alliés, ce dont nous nous réjouissons.
Il y a un long chemin à parcourir, certes, mais l’Acfas est là depuis 100 ans. Notre organisation existe pour et par sa communauté, et elle souhaite continuer à la soutenir et à la représenter pour les 100 prochaines années.
Pour consulter :
Le rapport long - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_final_1.pdf
Le rapport sommaire - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_sommaire_final_1.pdf
Le rapport en anglais - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_sommaire_en_final_0.pdf
Pour consulter les autres articles du dossier Francophonie canadienne, cliquez ici.
- 1Voir ce document archivé sur ce programme https://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/programs-programmes/aid_small_universities-aide_petites_universites-fra.aspx (11 mars 2021). Ce programme fait désormais partie des Subventions institutionnelles du CRSH. Le CRSNG a établi le programme de subventions à la découverte axées sur le développement qui « offrent des ressources aux chercheurs des petites universités dont la demande de subvention à la découverte, bien que jugée de qualité suffisante pour justifier un appui, n’a pas été financée dans le cadre du concours des subventions à la découverte ». https://www.nserc-crsng.gc.ca/ Professors-Professeurs/Grants-Subs/DiscoveryPilot-DecouvertePilote_fra.asp (Consulté le 12 mars 2021).
- Sophie Montreuil
Acfas
Sophie Montreuil est directrice générale de l’Acfas depuis décembre 2019, après avoir assuré des postes de direction à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et à l’Association des communicateurs scientifiques du Québec. Elle est détentrice d’une maîtrise de l’Université de Montréal et d’un doctorat de l’Université McGill en langue et littérature françaises.
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