Entre les quatre murs d'une école, on retrouve tout un laboratoire de partage de connaissances. Les enseignants, intervenants et professionnels se creusent quotidiennement la tête pour offrir un espace optimal d'apprentissage articulant les capacités des élèves aux attentes pédagogiques ministérielles. Cet espace, il est conçu principalement pour favoriser l’accès aux connaissances par les élèves. Qu'en est-il cependant des enseignants, des intervenants et des professionnels? Ces experts ont-ils eux aussi facilement accès à des connaissances éprouvées qui leur permettraient de s'adapter aux défis innombrables de la scolarisation des enfants?
Je suis l’une de ses expertes, enseignante en adaptation scolaire à l'École Saint-François à Québec. J’aimerais donc, à partir de mon expérience, proposer ici une mise en situation fictive, mais bien réaliste, mettant en scène un important paradoxe où éducation et connaissances, parfois, ne se croisent pas adéquatement.
Martine enseigne auprès d'élèves ayant des problèmes de comportement et autres troubles associés. Une fois sa planification de la semaine terminée, son matériel préparé, les suivis aux parents complétés et les rencontres d'équipe bouclées, il lui reste un rien de temps, s’il n’y a pas d’imprévus, pour approfondir ses connaissances. Un de ses élèves, Christophe, démontre un trouble de l'attachement et Martine craint que les comportements qui en émergent nuisent à la réussite de son année scolaire. Elle se lance donc dans une recherche sur Internet. Les ressources qui ressortent visent généralement les parents et présentent un portrait très général, voire trop, de la problématique. L’enseignante se tourne donc vers des bases de données en ligne de ressources scientifiques. Les résumés ne présentant que quelques détails, elle essaie d’accéder aux articles, 30$ par item… Son temps disponible est écoulé, et elle ne se sent pas beaucoup plus outillée. À quelques kilomètres de l'école, il y a des experts à l'université qui étudient le trouble de l'attachement dans ses plus fins détails. Ils sont tout près, mais les résultats de leurs études eux demeurent à distance dans des revues spécialisées inabordables, ou dans des congrès spécialisés exigeant temps et déplacement importants. Sans une grande proaction du côté de Martine et du côté des chercheurs, les chances qu'à court terme les connaissances établies viennent en aide au jeune Christophe sont alors des plus minces.
Légende de la photographie : Séance de travail à l'École Saint-François, où quelques fois par année, des enseignants réactivent leurs connaissances acquises lors de formations. Source : Julie Goulet-Kennedy
Une école à l’affut de la connaissance scientifique
Il peut être surprenant de constater que l'école, qui a pour mission de qualifier, socialiser et instruire nos enfants, intègre si peu les connaissances issues de la recherche. Dans une étude de 20141, les chercheurs ont sondé plus de 2500 professionnels scolaires sur leur utilisation de connaissances issues de la recherche, et la moyenne des répondants disait ne consulter la recherche qu'une à deux fois par année. Ce fossé entre la production de connaissances et son utilisation dans la pratique est donc bien présent dans le milieu de l'éducation.
Cette année, l'École Saint-François, école spécialisée qui admet des élèves ayant un profil comme celui de Christophe, et bien d'autres d'élèves qui présentent des besoins ne pouvant être répondus dans un milieu régulier, a décidé de raffiner son expertise en augmentant le dialogue entre les milieux théorique et pratique.
Les problèmes d'adaptation scolaire sont multifactoriels et leurs conséquences multiformes. Ainsi, il n'existe pas de recette, une seule manière de faire. Et, on sait pertinemment qu’une intervention qui fonctionne aujourd'hui peut provoquer une crise demain. La créativité et la résilience du personnel de cette école, je l’avoue, sont époustouflantes! Mais malgré le grand professionnalisme de l'équipe, il arrive que les stratégies manquent et que le sentiment de compétences soit affaibli.
C'est pourquoi nous voulons miser sur un plus grand transfert de connaissances. Cooper et Levin2, dans leur papier de 2013, présentent une définition du transfert qui traduit bien notre intention : « […] des efforts fournis intentionnellement pour accroitre l'utilisation des données de recherche pour l'adoption de politiques et de pratiques efficaces ». Le concept clé dans cette définition que je retiens ici : un effort intentionnel.
Soyons proactifs!
Une dispersion passive des connaissances s'avère peu efficace. L'interactivité du transfert est un aspect essentiel à la démarche (Jane Hemsley-Brown, 20043). En effet, les enseignants et professionnels de l'éducation le savent bien, un élève qui reçoit passivement des connaissances a peu de chance de les retenir. Alors, comment instaurer cette interactivité dans le partage de connaissances entre l'université et l'École Saint-François, tout en respectant la réalité des deux milieux?
Pour faciliter la personnalisation et l'interactivité dans l'élaboration de dialogues fructueux, une nouvelle tâche m'a été confiée, celle de « courtière en transfert de connaissances ». Alliant mon expérience d'enseignement et de recherche, j’ai établi deux objectifs majeurs : faciliter les échanges entre les experts des deux milieux et accompagner l'équipe-école dans l'intégration des connaissances jusque dans les classes. Nous avons commencé par une évaluation des besoins ressentis par l'équipe et des limites rencontrées. Le manque de temps est le facteur le plus mentionné, ce qui justifie une tâche consacrée à cibler préalablement les ressources adéquates, créer les contacts et organiser les activités de formation.
Professeurs, chercheurs, étudiants et professionnels, vous aimeriez contribuer à bâtir des ponts plus solides et durables entre le milieu théorique et la pratique? Que ce soit par le partage d'expérience, l'organisation d'un atelier, la participation à un projet de recherche ou l'invitation à une journée scientifique, notre milieu est ouvert aux échanges (jgkennedy@cppq.qc.ca).
- 1Lysenko, L. V., Abrami, P. C., Bernard, R. M., Dagenais, C, & Janosz, M. (2014). « Educational research in educational practice: Predictors of use », Canadian Journal of Education, 37(2).
- 2Cooper and Levin, « Research mediation in education : A typology of research brokering organizations that exist across canada », Alberta Journal of Educational Research 59(2):181-207.
- 3Jane Hemsley-Brown, (2004), «Facilitating research utilisation: A cross-sector review of research evidence », International Journal of Public Sector Management, Vol. 17 Issue: 6, pp.534-552, https://doi.org/10.1108/09513550410554805.
- Julie Goulet-Kennedy
Université Laval et École Saint-François (Québec)
Julie Goulet-Kennedy possède un baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale de l'UQAM. Après plusieurs années d'enseignement, elle a participé à la création d'un programme d'entrainement scolaire, Passerelle, qui vise la réintégration d'élèves à fort risque de décrochage scolaire. Aujourd'hui, elle termine une maîtrise en sciences biomédicales et cliniques à l'Université Laval. Sa recherche se concentre sur l'impact du stress sur l'impulsivité, la prise de risque et les performances scolaires en fonction du niveau de risque de décrochage scolaire de jeunes âgés de 15 à 20 ans. Nouvellement embauchée à l'école Saint-François, une école spécialisée en gestion de comportement, elle combine une tâche d'enseignement au secondaire avec une tâche de conseillère pédagogique. Son nouveau défi professionnel : créer des ponts entre ses deux passions, l'enseignement et la recherche.
Pour joindre l'auteure : jgkennedy@cppq.qc.ca
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