La thèse : un guide pour y entrer… et s’en sortir propose un tour d’horizon des défis et des satisfactions que rencontrent l’étudiant ou l’étudiante inscrits au troisième cycle. Bien que chaque destinée et chaque expérience soit singulière, les figures imposées reviennent invariablement : choisir un directeur de thèse, forger une question de recherche, rédiger la thèse, la soutenir, construire un CV académique diversifié.
On trouve sur les rayons quantités d’ouvrage sur l’art de la thèse. Umberto Eco a lui-même rédigé un ouvrage sur la question : Comment écrire sa thèse. La question de sa rédaction ou de sa structuration y tiennent une place centrale. Restait à couvrir les autres angles… et ils sont nombreux. Ayant été respectivement directeur de recherche et doctorante l’un de l’autre, nous savions pouvoir aborder la thèse non seulement en tant que trajectoire intellectuelle, mais également comme expérience humaine et relationnelle.
C’est le but de cet ouvrage collectif. Contrairement aux autres publications sur la question, il aborde les dimensions les plus concrètes et quotidienne du cheminement conduisant de l’inscription en thèse jusqu’à sa soutenance. L’expérience d’une seule personne ne suffit cependant pas à épuiser le sujet : il fallait que l’ouvrage prenne la forme d’un collectif. Plus d’une vingtaine d’auteurs, issus d’horizons et de disciplines variés, y contribuent. Notre but était de regrouper des collaborateurs encore proches de leur expérience au doctorat et capables de généraliser leur expérience. Aussi l’ouvrage a-t-il fait l’objet d’un appel de texte auprès d’auteurs qui avaient soutenu leur thèse depuis moins de 5 ans. Le livre rendrait ainsi compte de l’expérience doctorale telle qu’elle se vit aujourd’hui, alors que les thèmes nécessitant une plus longue observation de la vie universitaire auront été pris en charge par des collègues plus expérimentés. L’ouvrage aborde les sujets les plus susceptibles d’alimenter les questionnements des étudiants-chercheurs, mais il ne néglige pas certaines questions plus délicates, comme celle de la relation avec le directeur ou la directrice de thèse ou la celle de l’abandon du projet doctoral.
La thèse un guide pour y entrer… et s’en sortir est composé de trois parties qui traitent successivement de la thèse en tant que projet de vie, de la thèse telle quelle se fait, et de la thèse une fois terminée : la thèse… et puis après.
La première partie de l’ouvrage, la thèse en tant que projet de vie, aborde des dimensions trop rarement abordées alors qu’elles traversent de part en part la vie de la majorité des étudiants. Plusieurs de ces questions se posent avant même l’entrée de l’étudiant au troisième cycle : Pourquoi faire une thèse, quels grands choix sa réalisation implique-t-elle, notamment sur le plan des compétences, du calendrier et des ressources de ceux qui s’y engagent. Comment choisir un directeur de thèse ou s’intégrer dans un contexte universitaire nouveau, sinon étranger ? Comment passer sans trop de heurts du monde de la pratique professionnelle au milieu académique? Comment financer ses études doctorales et répondre aux exigences matérielles de la vie courante? À quelle condition peut-on combiner thèse et parentalité et poursuivre la rédaction d’une œuvre importante tout en répondant aux exigences de la vie familiale? Comment envisager l’isolement auquel tout doctorant est inévitablement confronté? Toutes ces questions peuvent être abordées par anticipation, ou à un moment ou l’autre de la trajectoire doctorale. Dans tous les cas, l’expérience de ceux qui ont eu à y répondre peut servir à ceux qui se les posent aujourd’hui.
Ayant été respectivement directeur de recherche et doctorante l’un de l’autre, nous savions pouvoir aborder la thèse non seulement en tant que trajectoire intellectuelle, mais également comme expérience humaine et relationnelle.
La seconde partie de l’ouvrage, la thèse telle quelle se fait, traite du cœur même de la démarche doctorale. Encore ici, les questions posées se placent dans le cours normal de la recherche et de la rédaction. À quoi reconnaît-on une bonne thèse et que cherche le lecteur exigeant ? Comment construire une question de recherche structurante pour l’ensemble de la démarche doctorale, et exploiter de façon à la fois critique et productive la littérature de votre domaine de recherche? Quels sont les avantages et des inconvénients de la thèse par article par rapport à la thèse « classique »? Comment se discipliner dans l’écriture et vaincre le syndrome de la page blanche ? Comment travailler avec le directeur de thèse qu’on s’est choisi? Comment parvenir à écrire sa thèse dans une autre langue, à mener à bien la rédaction d’une thèse multidisciplinaire ou combinant à la fois les exigences de l’analyse et de la création artistique? Et alors que l’aventure tire à sa fin… comment franchir la dernière étape du parcours et réussir sa soutenance de thèse?
La troisième partie de l’ouvrage, la thèse… et puis après, projette le doctorant vers l’avenir. Existe-t-il une vie après la thèse, et pour faire quoi? Lorsqu’on abandonne la thèse, est-ce qu’on tombe de haut? Comment l’impossible peut-il devenir une réalité? Et lorsqu’on la finit, qu’est-ce qu’on trouve devant? Le marché du travail nous attend-il quelque part et comment s’y préparer? Peut-on envisager de travailler hors du monde universitaire, en milieu de pratique? Ayant réalisé une thèse mobilisant plusieurs disciplines, comment éviter de se retrouver en plein no man’s land au plan professionnel et institutionnel?
Cet ouvrage reste inévitablement incomplet. Une multitude de thèmes pourraient encore être exploités utilement : les stratégies de publication de la thèse, la coopération scientifique et la propriété intellectuelle, la thèse en contexte de recherche-action, les stratégies de passage à la carrière universitaire, la poursuite d’une carrière au collégial, etc. On peut supposer que la parution de cet ouvrage suscitera la suggestion de bien d’autres thèmes et la poursuite d’autres questionnements.
Un avenir pour les doctorants
Les statistiques sur la destinée des titulaires d’un diplôme doctoral laissent entrevoir qu’on continuera longtemps à compter plus de doctorants que de postes de professeurs d’université ou de chercheurs de haut niveau. Se pose ainsi le problème de la pertinence des études doctorales pour plusieurs de ceux qui s’y engagent aujourd’hui. Cette conception comptable des choses est cependant oublieuse d’aspects beaucoup plus profonds. La justification du travail doctoral ne vient pas de ce qu’il permet à l’institution universitaire de se survivre à elle-même en montant sur ses propres épaules, non plus qu’en formant une nouvelle génération d’universitaires pareils à l’identique. Il trouve plutôt son sens dans la construction intellectuelle des candidats et dans le renouvèlement continu des connaissances. La thèse est l’une des dernières grandes aventures dans laquelle un esprit singulier peut s’engager. Le thésard s’y retrouve face à lui-même, confronté à ses limites et à ses ambitions. Aller au bout de soi, c’est, pour celui qui s’engage en thèse, le but à atteindre. Bien sûr, il faut reconnaître les dimensions collectives du savoir. Mais nous savons tous que les idées germent quelque part. Il arrive de temps en temps qu’on rencontre un étudiant inquiet de s’être engagé plus ou moins inconsciemment à vaincre l’Annapurna, mais on ne rencontre jamais personne se plaindre d’y être parvenu.
Se demander si le nombre d’étudiants au doctorat est trop élevé aujourd’hui revient à se demander si une société peut tout à coup compter trop d’individus capables de réfléchir systématiquement à un problème ou une question. Dès lors que cette question connaît une réponse positive, tout est perdu.
Quoi qu’il en soit les contributeurs à l’ouvrage La thèse : un guide pour y entrer… et s’en sortir ont tous de près ou de loin voulu voir dans la thèse un projet portant sa propre signification. L’idée de poursuivre une carrière universitaire se pose évidemment au lendemain de quelques années de recherche et de rédaction. Mais abordée en tant qu’expérience personnelle, la thèse conduit d’abord et avant tout à une meilleure connaissance de soi. Elle porte l’idée qu’une personne totalement engagée vis-à-vis d’un thème ou d’une idée, peut contribuer à une meilleure compréhension du monde, et par cette voie, à la construction du monde lui-même.
La thèse porte l’idée qu’une personne totalement engagée vis-à-vis d’un thème ou d’une idée, peut contribuer à une meilleure compréhension du monde, et par cette voie, à la construction du monde lui-même.
- Emmanuelle Bernheim
Université du Québec à Montréal
Emmanuelle Bernheim est professeure au département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS). Ses recherches portent sur le rôle du droit et des tribunaux au regard des inégalités sociales et ses projets actuels se développent autour de deux axes : psychiatrie et droit – mécanismes juridiques spécifiques, expertise, pratiques controversées – et accès à la justice, notamment pour les personnes n'ayant pas accès aux services juridiques.
- Pierre Noreau
Université de Montréal
Pierre Noreau est professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et chercheur du Centre de recherche en droit public, Centre dont il a été le Directeur de 2003 à 2006. Il est politologue et juriste de formation et travaille plus particulièrement dans le domaine de la sociologie du droit. Pierre Noreau a été Président de l'Association francophone pour le savoir (l'ACFAS) de 2008 à 2012, Directeur du Bureau des Amériques de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) de 2009 à 2013 puis Vice-recteur à la programmation et au développement de l'AUF de 2011 à 2014. Ses recherches portent notamment sur le fonctionnement et l'évolution du système judiciaire, le règlement non-contentieux des conflits, l'accès au droit et à la justice et la diversité ethnoculturelle en droit. Ses publications récentes explorent les questions entourant la déontologie judiciaire, la justice communautaire et les conditions de la recherche interdisciplinaire en droit. Pierre Noreau détient un doctorat de l'Institut d'Études politiques de Paris. Il assure, par ailleurs, la direction scientifique du projet Accès au droit et à la justice (adaj.ca).
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