Jusqu’à mon entrée à l’université, j’étais «brave dernière» de mes classes de biologie. Mais c’est à des expériences naturalistes que je dois mon esprit critique et ma passion pour la biologie expérimentale. J’aime penser que le transfert du savoir se fait à la manière de celui du savoir-faire, le maître qui montre à l’élève, comme à l’époque de Léonard de Vinci, dans un mélange de ferveur, d’admiration ou de fanatisme.
« Les messages électriques voyagent-ils rapidement dans les neurones? » « Moi je sais, je sais! ». Le visage de ce bout de chou se fend d'un large sourire et il poursuit, tout aussi excité : « Les chocs électriques voyagent à la... [moue qui réfléchit]... vitesse de la lumière! » [rires de toute la classe]. C'est évidemment faux et très loin de la réalité, puisque les potentiels électriques voyagent dans les neurones plus d’un million de fois plus lentement que la lumière, soit entre 1 et 250 mètres par seconde.
Je cite ici un gamin parmi la centaine que j’ai rencontrée en tant qu’animatrice bénévole pour la Semaine Cerveau en tête. Du haut de leurs 10 ans, ils ont l’avantage motivationnel de penser que tout est possible – ce qui peut être une embûche pour l’enseignant quand il s’agit de briser les idées préconçues.
Pourquoi j’ai si longtemps traîné de la patte
Jusqu’à mon entrée à l’université, j’étais « brave dernière » de mes classes de biologie. Mitose, méiose, gènes dominants ou récessifs, je n’y voyais pas de liens avec la vraie vie, d’autant plus que notre principal modèle d'étude était Neurospora crassa, une moisissure produisant des spores noires et blanches...
Cet enseignement sclérosé transformait la biologie en une science non vivante. La « platitude » de ces classes contrastait avec la réalité pratique du jardin où j’avais grandi, ce qui causait probablement mon désintérêt. Une des plus grandes frustrations de ma vie fut le jour où je constatai, après avoir compté quatre fois pour être certaine, que le mille-pattes que j’avais capturé n’avait que 300 et quelques pattes. Cette frustration fut aussi une révélation : c’est à ces expériences naturalistes que je dois mon esprit critique (on ne m’y reprendrait plus!) et ma passion pour la biologie expérimentale.
Mes professeurs d’université prirent le relais, m’ouvrirent les portes sur la beauté et l’infini de la recherche, aiguisèrent ma curiosité et consolidèrent mes connaissances. Je n’aurais jamais cru, il y a quelques années à peine, en arriver à poursuivre en recherche si ce n'était pas avec leur encouragement bienveillant. Si la matière qu'on enseigne est une chose, la passion humaine qu'on transmet est encore plus puissante.
Le fruit de la passion
C'est cette même passion qui m'a poussée à m'investir aux côtés de différentes associations bénévoles de vulgarisation scientifique en donnant des ateliers aux écoliers*. La recherche scientifique évoque souvent l'image d'un vieux bigleux, à moitié chauve, aux cheveux blancs en bataille, vêtu d'un sarrau et manipulant des éprouvettes. Ma mission première auprès des enfants était de démolir ce stéréotype avec une preuve en chair et en os : moi-même! Puis, je me suis prise au jeu et j’ai voulu aller plus loin.
J'ai toujours été un rat de bibliothèque, à chercher ce que je ne connaissais pas dans les livres. Mais que pouvons-nous proposer aux enfants qui ne sont pas accros à la lecture ou qu'on a diagnostiqués (parfois à la va-vite) comme souffrant de «déficit d'attention»?
Mon expérience sur le terrain m'a montré qu'on apprend très rapidement quand on est pris par les émotions, bousculé intellectuellement et impliqué. C'est pourquoi je parle de science aux écoliers sous forme de jeu, avec la méthode de «la main à la pâte» : toucher, goûter, sentir, observer, écouter. Après leur avoir fait observer certains faits, je pose aux enfants une ribambelle de questions. Je les laisse donner des réponses jusqu’à épuisement, puis nous éliminons ensemble une à une chacune des hypothèses jusqu’à isoler la plus proche de la réalité. J’ai remarqué que cette démarche et la satisfaction d’arriver à une réponse unique avaient un effet calmant sur l’ensemble de la classe.
Je leur confie aussi ce qu'on ne m’a jamais raconté et qui m’aurait peut-être tenue plus éveillée en classe : de quoi est faite la morve, comment vivent les bactéries sur notre langue, comment naissent les opossums et comment ils servent aux recherches sur la moelle épinière...
Le maître et l'apprenti
J'ai plusieurs mentors, des femmes et des hommes qui m'ont communiqué leur inspiration, leur élan, leur exaltation devant la vie en général. Ce sont tantôt les modèles, tantôt les guides, tantôt les catalyseurs de mes idées farfelues... Ma créativité ne s'est pas développée dans le cadre strict de ma scolarité, mais dans les échanges informels que j'ai eus avec des gens qui ont osé prendre leur passion pour travail ou loisir principal. Apprendre à apprendre, apprendre à aimer apprendre, apprendre à s'intéresser, devraient être les objectifs principaux de l'école. J’aime penser que le transfert du savoir se fait à la manière de celui du savoir-faire, le maître qui montre à l’élève, comme à l’époque de Léonard de Vinci, dans un mélange de ferveur, d’admiration ou de fanatisme.
Quand l'apprenti devient le maître
J’appelle mes collègues à donner un peu de leur temps. Enseigner aux jeunes quand on est étudiant peut se révéler fort efficace, d’une part parce qu’on est encore dans le processus d’apprentissage et de décomposition de la matière, et d’autre part, parce que nous devenons leurs complices en raison de la faible différence d'âge. Je crois en l'éducation populaire. Dans ces classes, on y apprend beaucoup plus que la matière échangée : on apprend à se comprendre en groupe, à s’écouter, à partager et à confronter ses raisonnements avec ceux des autres, et surtout, à s’adapter. La nature faisant bien les choses, le savoir est l’un des rares héritages dont on n’est pas dépossédé en le transmettant.
Quoi de plus réjouissant que de voir ces enfants hauts comme trois pommes qui, après avoir tripatouillé un cerveau de veau pendant leur période de récréation, s’agrippent à moi pour que je reste un peu plus longtemps… Et vous savez quoi? J’ai enfin compris pourquoi la mitose était si utile : sans elle, je ne serais pas ici pour partager avec vous mon histoire.
Note : Quelques liens pour en apprendre plus sur les projets éducatifs scientifiques pour enfants.
- Ha-Loan Phan
Biologiste et vulgarisatrice
Ha-Loan Phan est un papillon en liberté, en évolution perpétuelle. Après les bancs des classes préparatoires vétérinaires, elle se retrouve titulaire d’une maîtrise en sciences biologiques sur la moelle épinière des opossums. Ne sachant pas quoi faire de ce diplôme en papier (à part retourner sur les bancs de l’école!), elle décide d’écrire un livre de vulgarisation scientifique pour enfants sur... l’évolution du vivant. Elle expérimente et tire ses observations en direct du terrain des écoles où elle présente différents aspects de la biologie de façon interactive et sensuelle. Elle aimerait que sa vie soit à l’image des conférences TED dont elle est une admiratrice enthousiaste: c’est décidé, cette année, elle se lance en affaires avec un café arts-techno!
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